L’ASN a identifié dès 2006 le risque de défaut sur la cuve de l’EPR. En 2007 et 2011, Areva réalise des tests qui auraient pu attirer son attention, mais elle est restée confiante. Ce n’est qu’en 2014 que les essais demandés par l’ASN démontrent que la cuve ne respecte pas la réglementation.
Depuis dix ans, les experts du nucléaire craignent que l’acier du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche) présente des défauts. Dès 2006, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) évoque le sujet avec Areva. L’année suivante, des tests donnent corps aux hypothèses pessimistes, mais l’entreprise reste confiante. Ce n’est qu’en 2012 qu’elle propose de faire les vérifications demandées par l’ASN. Certains tests auraient pu être lancés rapidement, mais il faudra attendre fin 2014 pour qu’Areva les réalise et annonce la mauvaise nouvelle à l’Autorité. Entre temps, la cuve défectueuse a été montée.
C’est ce qui ressort des documents fournis par l’ASN, Areva et EDF au Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Ils ont chacun présenté des notes retraçant l’historique de la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville. Ces documents complètent les premières informations publiées il y a un an.
Pour rappel, en avril 2015, l’ASN a annoncé la présence d’une anomalie dans la composition de l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur en construction. Certaines parties de ces deux pièces présentent une concentration trop élevée en carbone (ségrégation du carbone) qui les rend potentiellement plus fragiles. En octobre 2015, Ségolène Royal, ministre de l’Énergie, saisit le HCTISN et pose une question précise : « Pourquoi [l’anomalie] a-t-elle été révélée neuf ans après la fabrication des pièces incriminées ? ». Les trois notes apportent des éléments de réponse à cette question. Contacté, Areva n’a pas souhaité répondre aux questions d’Actu-Environnement.
Le Haut comité a dû insister
La présentation de l’historique s’est déroulée en deux temps. Le 24 mars, l’ASN a présenté sa version dans une note ainsi que l’essentiel des courriers adressés à Areva. L’entreprise n’a fait qu’une présentation « très lisse », selon les termes du secrétaire général du Haut comité. Raison invoquée par Areva : le secret industriel. Cette première réponse a particulièrement irrité les membres du HCTISN. « On sentait bien que les choses n’avaient pas été dites totalement« , résume un membre. Ce n’est que le 29 juin qu’Areva et EDF remettent leur version de l’historique. « On a dû insister, pour s’assurer d’obtenir des informations précises« , indique le secrétaire général, précisant qu’une pré-réunion a été ajoutée au programme de travail. Les deux notes, consultées par Actu-Environnement, confirment les grandes lignes de celle de l’ASN.
Les débats au sein du HCTISN ne s’arrêtent pas à l’historique. Le Haut comité a appris qu’Areva avait sacrifié un fond de générateur de vapeur fabriqué selon le même procédé que la cuve. Objectif de ces tests ? Modéliser d’éventuels défauts sur le fond de cuve et le couvercle de l’EPR dans le cadre du dossier de qualification instruit par l’ASN. Ces essais, réalisés fin 2011, ont mis en évidence des ségrégations du carbone. Celles-ci « sont jusqu’à très récemment (mars 2016) restées inconnues« des équipes en charge de l’EPR, explique la note de l’entreprise. Depuis, l’audit conduit au sur le site de fabrication du Creusot (Saône-et-Loire) a révélé des irrégularités dans le contrôle qualité de l’usine ainsi que des défauts concernant 18 générateurs de vapeur installés sur le parc d’EDF. Le Haut comité s’interroge donc sur la possibilité d’approfondir son enquête : pourquoi Areva n’a-t-elle pas réagit après la découverte de ces ségrégations ? Le HCTISN se saisira-t-il de ces questions ? « Pour l’instant, la décision n’a pas été prise », rapporte la députée Geneviève Gosselin-Fleury (PS, Manche), membre du Haut comité. Pour le secrétaire général du Haut comité, « il est légitime de l’aborder, mais le groupe de travail ne doit pas placer ce sujet au cœur de son travail ».
Areva et EDF ont confirmé qu’elles n’étaient pas en mesure de fabriquer le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR au Creusot. A l’avenir, la fabrication de ces pièces devrait être confiée à Japan Steel Works (JSW). Cette confirmation soulève des commentaires qui dépassent le mandat du groupe de travail, explique un participant. Quel est l’avenir de la filière nucléaire française si Areva ne peut pas fabriquer ces équipements ? Réaliser l’ensemble de la cuve au Japon n’est-il pas plus pertinent ? D’autant que pour l’EPR de Flamanville, JSW a fabriqué le corps de la cuve et le Creusot Forges les deux pièces défectueuses (l’usine française n’ayant pas la capacité technique de fabriquer les autres parties, explique la note d’EDF).
Pour lire le récit historique détaillé de ce fiasco industriel :
http://www.actu-environnement.com/ae/news/hctisn-historique-cuve-epr-asn-areva-edf-27168.php4
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