L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié son rapport annuel le 27 mai. Devant les parlementaires français, le gendarme de la filière a insisté sur l’importance d’anticiper l’arrêt à venir de certains réacteurs.
Anticiper. C’était le maître mot du président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) lors de son audition à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Le gendarme de l’atome a dévoilé jeudi 27 mai son rapport annuel sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Parmi les risques identifiés : un manque de préparation face au vieillissement du parc nucléaire.
Efforts d’EDF, Orano et du CEA
En janvier 2020, le patron de l’ASN n’avait pas pesé ses mots pour dénoncer les « déficiences industrielles » du nucléaire en France. Tout n’est pas encore rose au pays de l’atome. L’autorité salue toutefois les efforts réalisés par EDF, Orano et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) alors que ces protagonistes de la filière ont dû gérer également l’impact de la crise sanitaire. « Les résultats de sûreté et de radioprotection sont globalement en amélioration en 2020, a introduit Bernard Doroszczuk, président de l’ASN. Chez EDF, par exemple, l’ASN considère que la rigueur d’exploitation a progressé avec une meilleure surveillance en salle de commande, un pilotage plus rigoureux des installations et l’amélioration de la gestion des écarts affectant les installations. »
Dans une certaine mesure, la crise sanitaire aurait contribué à ce bilan. L’autorité remarque, en lien avec la pandémie, « une meilleure présence des managers sur le terrain », « une plus grande attention à la réalisation des travaux » et « une pression moindre en ce qui concerne la durée des arrêts ». « Quelques constats viennent nuancer cette appréciation générale positive », nuance toutefois l’ASN, qui mentionne par exemple des écarts de conformité sur les groupes électrogènes de secours à moteur diesel. Ces systèmes d’alimentation sont complétés par les fameux diesels d’ultime secours post-Fukushima.
2040, « le point principal de préoccupation »
Devant les parlementaires, Bernard Doroszczuk a surtout évoqué l’avenir du parc nucléaire français. En février, l’ASN avait donné son feu vert pour prolonger de 40 à 50 ans la durée de vie des réacteurs de 900 MW. Mais le gendarme du nucléaire s’interroge déjà sur l’après. « Le point principal de préoccupation pour l’ASN est celui de l’horizon 2040. C’est-à-dire le moment où la durée de fonctionnement des réacteurs les plus anciens du parc nucléaire atteindra entre 50 et 60 ans », a expliqué le président de l’ASN. « La tentation pourrait être de vouloir prolonger la durée d’exploitation des réacteurs en service pour disposer d’un socle de production électrique pilotable non carboné suffisant. Rien ne permet aujourd’hui de garantir que ce sera possible. Dans ce contexte, nous estimons qu’il est absolument nécessaire d’anticiper », a-t-il poursuivi, mettant en garde contre toute « décision subie ».
L’horizon 2040 paraît éloigné. L’ASN rappelle toutefois la longue durée des chantiers du nucléaire, sans compter le temps du processus de décision. « Il conviendrait de poser dès à présent, dans le cadre de la prochaine PPE, la question de la durée de fonctionnement des réacteurs en exploitation de manière transparente et réaliste », a conseillé Bernard Doroszczuk. « Les centrales nucléaires ne seront pas éternelles. À un moment donné, elles devront être mises à l’arrêt », a souligné le président.
Le Parlement dans l’attente pour les déchets nucléaires
En janvier, le dirigeant avait alerté de la même façon l’exécutif sur la gestion des déchets nucléaires, étant donné les capacités limitées des centres de stockage existants. Le cinquième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) qui doit s’étendre de 2021 à 2025 ne semble toujours pas arrêté. « À défaut de décision prise dans les cinq prochaines années, aucune filière de gestion ne sera opérationnelle dans les 20 ans qui viennent », s’alarme l’ASN. Le président de l’OPECST, Cédric Villani (Europe Écologie Les Verts), semblait aussi dans l’attente : « Pour l’évaluation du PNGMDR, tout bêtement nous sommes coincés par l’absence de publication par l’État. »
Dans cette logique d’anticipation, le président a également appelé à maintenir des marges en matière d’approvisionnement électrique. Selon lui, d’éventuelles tensions sur le réseau électrique, notamment en période hivernale, pourraient aussi avoir un impact sur la sûreté nucléaire : « Il ne faudrait pas que la situation tendue en matière de réseau électrique influence ou conditionne des décisions de sûreté que nous aurions à prendre. »
Si l’ASN ne commente pas les choix du gouvernement, ses propos font écho à une certaine discrétion de l’exécutif sur l’avenir de la filière nucléaire. Fin 2020, les rumeurs allaient bon train sur l’éventuelle annonce d’un programme de construction de six nouveaux réacteurs de type EPR. Emmanuel Macron avait finalement douché les espoirs de la filière, reportant toute décision à la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche). « Au plus tard en 2023 », avait déclaré le président de la République… Mais il n’est pas certain qu’EDF tienne ce calendrier. Sans attendre 2023, le débat sur des nouveaux réacteurs devrait toutefois s’inviter dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2022.
Par Simon Chodorge, publié le 27 Mai 2021 à 15h27
Photo en titre : © abarbaux. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a évoqué l’épineuse question de la prolongation des réacteurs nucléaires français de 900 MW.
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