POUR OU CONTRE LE NUCLÉAIRE ? « À TERME, C’EST UNE IMPASSE »

Le gouvernement a présenté le 2 novembre 2022 son projet de loi pour accélérer la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires pendant que se tiennent des consultations citoyennes. Deux experts débattent de la nécessité de relancer la filière nucléaire.

« À Négawatt, nous sommes convaincus que le nucléaire est, à terme, une impasse. Depuis 10 ans, le coût des énergies renouvelables a considérablement diminué (- 89 % sur le photovoltaïque et – 70 % sur l’éolien terrestre, selon Our World in Data, ndlr), alors que celui du nucléaire est aujourd’hui beaucoup plus cher (+ 26 % entre 2009 et 2019).

Une partie du parc nucléaire à l’arrêt

On constate un vieillissement des installations actuelles qui ont une moyenne d’âge supérieure à 30 ans. On peut les faire durer plus longtemps, à condition que soit réalisée une visite décennale de l’Autorité de sûreté nucléaire, une sorte de contrôle technique. On peut changer un certain nombre de pièces, mais on ne peut pas changer le cœur du réacteur, qui continue de vieillir.

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Une partie du parc nucléaire est aujourd’hui à l’arrêt pour cette raison, mais aussi à cause de la découverte de corrosion sous contrainte à un endroit stratégique du système de refroidissement rapide des réacteurs. Pour prolonger le système de 10 ans, il faut compter à peu près un milliard d’euros pour chaque réacteur !

Quant aux six réacteurs EPR2 annoncés par le président de la République, ils ne sont pas livrables avant 2038, au mieux, voire 2050 (le gouvernement table sur une première mise en service à l’horizon 2035, ndlr). Deux audits réalisés par des groupes de la Cour des comptes sur l’EPR2 montrent bien l’ampleur du problème.

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D’un point de vue technique, on n’est pas sûr d’y arriver, et il est question de baisses de coûts qui induiraient une diminution de fait de la sûreté. Il y a un risque industriel majeur, qui ne répond même pas à l’urgence d’aujourd’hui.

Un rendement faible

On est face à des installations extrêmement complexes qui ont un rendement faible de 33 % ; 67 % de l’énergie est évacuée en chaleur dans les fleuves, les rivières, la mer ou par les cheminées aéroréfrigérantes – c’est intrinsèque au dispositif. Pour avoir un rendement supérieur, au lieu des 350 °C aujourd’hui à l’intérieur du réacteur, il faudrait monter à 1 000 °C, ce que l’on ne sait pas faire. On estime ces pertes à environ 820 milliards de kilowattheures par an, soit plus que le besoin de chaleur de tous les bâtiments de France…

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Si on décide de faire des EPR2, il faut savoir que leur durée de vie est d’à peu près 60 ans : cela veut dire prendre dans la précipitation des décisions extrêmement structurantes pour notre système énergétique pendant à peu près un siècle. Comment imaginer que des engins aussi complexes, chers et à faible rendement soient encore opérants et pertinents à la fin du siècle ?

Sans parler du problème philosophique de l’enterrement des déchets… Le site Cigéo envisagé à Bure (Meuse) n’est pas encore construit qu’il serait tout juste suffisant pour stocker les déchets d’aujourd’hui. Il faudrait donc d’autres sites d’enfouissement si on veut de nouveaux EPR…

Explosion des coûts

Tout ceci ne tient pas la route ! L’EPR de Flamanville n’est pas terminé que son coût est déjà estimé à 19,1 milliards d’euros (selon les prévisions de la Cour des comptes, ndlr), au lieu des 3,3 milliards d’euros de départ. On voit aussi avec l’Ukraine que la question de la sécurisation militaire des centrales est très importante.

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Il faut asseoir la transition énergétique sur trois piliers : la sobriété, l’efficacité et les renouvelables, dont les pilotes existent déjà, contrairement aux EPR. L’équilibre entre la demande et la consommation se fait à la seconde près. Il faut donc régler le problème de la variabilité des énergies renouvelables (dépendantes de la météo, ndlr). Notre vision s’appuie sur l’énergie électrique et la molécule, c’est-à-dire le biogaz d’origine française et renouvelable.

L’un de nos scénarios prévoit une baisse de la demande qui peut entraîner un trop-plein d’électricité en été. On aura alors recours à l’électrolyse pour faire de l’hydrogène et stocker le gaz pour combler les besoins l’hiver si le soleil ou le vent viennent à manquer. On a des capacités de stockage d’à peu près 130 milliards de kilowattheures, ce qui est considérable ! La technologie existe déjà. »

Interview Caroline Vinet, publié le 10/11/2022 à 07h05, mis à jour le 10/11/2022 à 07h05 •

Photo en titre : Thierry Salomon est vice-président de l’association Négawatt, qui vante la sobriété et l’efficacité énergétiques, ainsi que le développement des énergies renouvelables. • COLL. PERSO.

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