NUCLÉAIRE DANS LES DEUX-SÈVRES : ANCIENNES MINES D’URANIUM ET INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE

Pour les besoins du nucléaire, l’uranium a, un temps, été extrait des sols deux-sévriens, vers Mauléon. Aujourd’hui fermées, ces anciennes mines questionnent la souveraineté énergétique, mise en avant dans le débat sur la construction d’EPR.

Du bout de la chaussure, il retourne une pierre de taille moyenne, un des rares éclats de roche jonchant encore le site. Ça pourrait en être. De ses yeux habitués d’ancien mineur, il sait à quoi ressemble la pecheblende, le minerai d’uranium. Il connaît le noir laiteux et veiné de ce caillou radioactif. Ça n’en n’est pas.

« On faisait un trou, on posait les explosifs, on reculait » (Ancien mineur, La Commanderie, Le Temple)

Qu’importe, lui en a déjà vu beaucoup, entre 1974 et 1990, quand il travaillait dans cette mine de la Commanderie, maintenant fermée, aux confins des Deux-Sèvres, à cheval sur la Vendée, l’une des vingt plus grosses mines françaises. Il est toujours en bonne santé, plus de trente ans après être remonté, mais ce n’est pas le cas de tous ses collègues. « Il y en a eu des cancers, y compris du poumon, qui est le cancer type du mineur, raconte-t-il. « J’avais des collègues qui fumaient, même si à l’époque on savait déjà que ça multipliait les risques.« 

Dans les entrailles de la Terre

Les mineurs travaillaient le plus souvent à deux, parfois jusqu’à 450 mètres de profondeur. « On faisait un trou, on posait les explosifs et on reculait« , résume-t-il. Une besogne qu’il juge comparable, en termes de difficulté, à certains métiers actuels du BTP. La difficulté supplémentaire étant que ça se passait sous terre. « J’étais content de ressortir, surtout qu’au début c’était mal ventilé. »

L’ancienne carrière de la Commanderie, au Temple, sur la commune de Mauléon, sert maintenant de réservoir d’eau pour les agriculteurs. Éoliennes et panneaux solaires peuplent aussi le site. © Photo NR, Clément Nicolas

Les « chantiers » sur lesquels il intervenait – comprendre les zones de la mine où la quinzaine de mineurs de la Commanderie récupéraient l’uranium – n’étaient pas non plus sans risques. « On écoutait les craquements du bois pour savoir si une galerie était sécurisée. Une fois, on a quitté un chantier pour aller casser la croûte un peu plus loin. Il s’est effondré juste à ce moment« , frissonne-t-il.

Une production française insuffisante

Quelques collègues morts, des engins écrasés, « les risques étaient permanents« . Il s’est finalement reconverti sans regret dans l’élevage à la fermeture de la mine, en 1990. Entre temps, depuis 1955, cette dernière a permis de produire 3.978 tonnes d’uranium. De Mauléon à Clisson, « le site de Vendée produisait à peu près 500 tonnes par an« , compte-t-il. 80.000 tonnes ont été extraites en tout, jusqu’à 2001, en France. Peu de chose face aux quelque 10.000 tonnes par an dont a besoin le parc nucléaire (aujourd’hui à moitié à l’arrêt) pour fonctionner.

« Quand on a fermé ici, on savait qu’il y avait encore 8.000 tonnes à aller chercher mais le problème, c’est que le rendement n’était pas optimal. On extrayait 1 à 2 kg d’uranium pour une tonne de minerai brut, ce n’était pas assez. » Surtout face aux nouveaux gisements dans des pays étrangers rendus plus proches avec l’accélération de la mondialisation.

« En Australie, les stériles étaient plus riches que nos filons » (Ancien mineur, La Commanderie, Le Temple)

« Au Canada, ils ont trouvé à l’époque 150.000 tonnes concentrées sur l’équivalent géographique d’une seule commune« , imbattable. Et l’une des principales raisons de la fin de l’exploitation : économiquement, il devenait bien plus intéressant de se fournir ailleurs. « En Australie, ils avaient des gisements dont les stériles [les minerais excavés pour rendre accessibles les filons] étaient plus riches en uranium que nos filons ! »

La souveraineté énergétique en pointillés

À l’heure actuelle, la totalité de l’uranium est importée, à partir du Kazakhstan, de l’Australie, du Niger, d’Ouzbékistan, de Namibie et du Canada. Compliqué, donc, de parler de « souveraineté énergétique » comme le fait une grande partie de la classe politique. Ce qui permet cet abus de langage est que l’uranium, par sa fission, produit de la chaleur, qui elle-même va par la suite transformer de l’eau en vapeur et faire tourner des turbines qui vont, enfin, produire de l’électricité. Ce qui est pris en compte est l’endroit de production de la chaleur, pas la provenance des minerais utilisés pour la créer.

Un morceau de pechblende (au centre du carré jaune), le minerai d’uranium. © Photo NR, Clément Nicolas

« L’uranium kazakh et ouzbek transite par la Russie, le continent africain est géopolitiquement sensible et qui peut dire quelles seront nos relations avec l’Australie ou le Canada dans 100 ans ? C’est à cet horizon-là que nous emmènera la construction de nouveaux EPR« , demande Yves Marignac, expert nucléaire à l’association Negawatt, qui promeut la sobriété énergétique et la sortie des énergies fossiles.

L’uranium kazakh et ouzbek transite par la Russie (Yves Marignac, expert du nucléaire Négawatt)

Un autre danger guette à court terme, selon lui, dans les deux derniers pays cités : « La pression de la société pour réduire les extractions minières et réduire la pollution« , d’autant plus que l’uranium ne sert qu’au nucléaire et donc à un nombre très restreint de pays. « L’intérêt économique pour les exportateurs pourrait être remis en question« , avertit-il. Raison de plus d’utiliser prudemment l’argument de la souveraineté énergétique.

Surtout que dans les Deux-Sèvres, comme ailleurs en France, les mines de la Commanderie, de La Chapelle-Largeau, de la Roche Pied Rôti (à Mauléon) et de la Dorgissière (à Saint-Amand-sur-Sèvre) ne sont pas près de rouvrir à cause de l’absence de viabilité économique, donc, et du coût environnemental d’une excavation qu’il faudrait encore plus profonde pour trouver de meilleurs filons.

Complément d’information faisant suite à cet article :

« Ils veulent rester un peu tranquilles »

Autour des sites qui ont accueilli les 250 mines d’uranium françaises, des associations se sont montées pour surveiller et dénoncer la radioactivité des lieux. Les stériles (le minerai excavé pour accéder au filon d’uranium) ont souvent été laissés sur place, à la disposition des entreprises du BTP et des particuliers pour construire maisons et infrastructures diverses.

Ces roches exposeraient les populations à des risques plus élevés de cancer. À La Chapelle-Largeau, une association, Noria, a essayé de publiciser le sujet. Mais devant le manque d’écoute des autorités, « elle a décidé de se mettre en retrait« , indique Arlette Maussan, d’une association similaire dans l’Allier. Orano (ex-Areva) assure contrôler la dangerosité des sites.

Par Clément NICOLAS , journaliste, publié le 21/11/2022 à 06h00, mis à jour le 21/11/2022 à 08h15

Photo en titre : À La Chapelle-Largeau, une locomotive Decauville et un perforateur sont exposés. Ils étaient utilisés dans les mines de la région. © Photo NR, Clément Nicolas

https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/nucleaire-dans-les-deux-sevres-anciennes-mines-d-uranium-et-independance-energetique

NDLR : La soi-disant « indépendance énergétique de la France avec le nucléaire » est très bien expliquée dans cet article. Ce qui compte pour nos gouvernants, ce n’est pas l’origine de ce qui produit de l’énergie, c’est uniquement le lieu où est produite la vapeur qui actionne les générateurs. Donc non seulement le lieu d’où vient l’uranium n’est pas pris en compte pour calculer notre dépendance énergétique mais logiquement, il en est de même pour le gaz où le charbon puisqu’ils ne servent qu’à faire de la vapeur. Certes nous n’utilisons plus de charbon mais nous utilisons encore du gaz pour faire de l’électricité.

Avec ce genre de raisonnement, il suffirait de décréter que pour l’essence, le lieu à retenir pour définir notre indépendance n’est pas le lieu d’origine du pétrole mais le lieu de raffinage pour permettre ainsi de crier fort que la France est indépendante puisque nous raffinons en France. Vous comprenez mieux ainsi le ridicule de notre soi-disant indépendance énergétique que nos gouvernants clament haut et fort pour nous faire « avaler » la relance du nucléaire. CQFD !