Tribune: Au moment où l’examen du projet de loi sur les énergies renouvelables s’ouvre à l’Assemblée nationale, un collectif d’élus, rassemblés à l’initiative du député PS Dominique Potier, invite, dans une tribune au « Monde », à utiliser le levier des collectivités territoriales.
Quels que soient le mix retenu et le niveau de sobriété attendu, la croissance des énergies renouvelables est le point commun de tous les scénarios énergétiques. Or, un peu partout, des controverses s’opposent à la mobilisation des ressources. Certains blocages, de type « pas dans mon jardin », doivent être surmontés au nom de l’intérêt général. D’autres peuvent s’expliquer par une forme d’incurie de la puissance publique : manque de connaissances, de doctrine, de hiérarchie des normes et d’outils de régulation. Notre conviction est que seules une science et une démocratie réconciliées nous permettront de partager une métrique commune des transitions attendues.
Nous sommes à ce titre collectivement en attente d’un éclairage nouveau sur les enjeux de biodiversité. Un même dilemme écologique se pose en effet de l’hydroélectricité au photovoltaïque, en passant par l’éolien terrestre et maritime : protéger la biodiversité locale dans son état actuel, ou y renoncer pour partie afin de protéger la biodiversité globale en luttant contre les effets du dérèglement climatique ?
Cet arbitrage entre « petite » et « grande » biodiversité, évitement et compensation, est un des angles morts des politiques publiques. Nous devons non seulement penser en termes de cycle de vie, mais aussi inventer des instruments de mesure permettant un alignement de nos objectifs du territoire à la planète. Au-delà de cet équilibre, nous devons être vigilants à ce que le déploiement des énergies renouvelables ne remette pas en cause notre sécurité alimentaire, alors que nous serons au défi de nourrir 10 milliards d’êtres humains à la fin du siècle.
La France, pour rattraper son retard, doit faire des énergies renouvelables la grande aventure industrielle et d’aménagement du territoire de la décennie. Nous partageons donc l’idée qu’il faut accélérer… mais dans la bonne direction ! La leçon des dérives observées dans la méthanisation ou l’éolien terrestre doit être tirée afin de les corriger et de ne pas les reproduire pour le solaire et l’ensemble des énergies renouvelables.
L’effort de rationalisation et de justice
Comment avons-nous pu intérioriser à ce point l’idéologie néolibérale pour accepter que le paysage actuel soit dominé par le désordre et l’iniquité ? Une capture de la valeur et des aides publiques au profit d’une poignée de sociétés financières et de propriétaires avec une puissance publique qui donne trop souvent le sentiment de tirer « à hue et à dia » ou encore de commander les nuages…
Nous affirmons ici que l’espace rural n’est pas un no man’s land ! Remettre le territoire au centre du déploiement des énergies renouvelables, c’est faire le choix d’associer le meilleur de la planification écologique, de la science, du progrès et de l’esprit d’entreprise. L’effort de rationalisation et de justice engagé sur tous les territoires de la République depuis des décennies dans les domaines de l’urbanisme, de l’économie ou du cycle de l’eau ne peut être ruiné par une compétition stérile et une logique de rente.
Il est devenu urgent d’engager un processus garantissant le juste partage des sols et de la valeur. Nous proposons trois mesures concrètes en ce sens.
En premier lieu, planifier et maîtriser le sol. Les collectivités territoriales sont à même de produire aux côtés de l’État la cartographie fine des espaces artificialisés publics et privés pouvant de façon réaliste être support d’énergies renouvelables et devant figurer comme tel dans les documents d’urbanisme. La mobilisation complémentaire de réserves foncières doit être fondée sur la règle d’or du moindre impact et donner aux collectivités compétentes les instruments juridiques de maîtrise des surfaces concernées, en prenant appui sur les établissements publics fonciers (EPF) et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer).
« Parc énergie positive »
Les territoires doivent fixer le cahier des charges des régies, concessions ou délégations de service public afférentes. Cette capacité à réaliser des appels d’offres ou à manifestation d’intérêt doit favoriser l’émergence de nouvelles filières de production et de maintenance. Ces cahiers des charges pourront expérimenter les attendus en matière d’impact social et écologique permis par la loi Climat et résilience à l’article 35.
En second lieu, faire des zones d’activité des espaces prioritaires où soient concentrées la production et la consommation d’énergies renouvelables. Différentes options sont ouvertes : élargissement des compétences des autorités gestionnaires, évolution des missions des sociétés d’économie mixte gestionnaires, création d’un statut juridique ad hoc de « Parc énergie positive ». Le plus important est que, sur ces espaces – souvent reliés aux réseaux urbains –, l’essentiel des contraintes environnementales et de propriété soient levées. Dans le même esprit, des avantages fiscaux ou tarifaires seraient justifiés par le caractère vertueux des kilowatts issus de cette fabrique d’énergie circulaire économe de ressources foncières rares, et dont l’acception sociale est acquise sur le plan paysager.
Notre troisième proposition vise l’exploitation du potentiel des infrastructures d’État et des collectivités, non seulement routières, mais également ferroviaires, fluviales et portuaires. Ces espaces recèlent des potentiels inédits générés tant par la nouvelle donne du prix de l’énergie que par l’innovation technologique. Les collectivités traversées par les grands axes de transport ont vocation – sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône – à être associées au portage des projets afin de tirer parti de toutes les synergies possibles, notamment en matière de boucles énergétiques de type hydrogène.
À l’instar des épopées industrielles et énergétiques qui après-guerre ont façonné notre pays, nous sommes convaincus que seule la régulation par la puissance publique est, au long cours, garante de la triple performance économique, sociale et environnementale. À l’aube d’une décennie critique sur le plan écologique, les principes de sobriété dans l’usage de nos biens communs et d’équité dans le partage de l’effort seront déterminants. Sur ces bases solides, nous pouvons écrire, au-delà des clivages partisans, un nouveau pacte entrepreneurial et territorial de l’énergie.
Auteurs de cette tribune :
Dominique Potier, député socialiste de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle ; Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne ; Carole Delga, présidente socialiste de la région Occitanie ; Sébastien Miossec, maire socialiste de Riec-sur-Bélon, président de Quimperlé Communauté, président délégué d’Intercommunalités de France ; Michaël Weber, président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France.
Publié le 22 novembre 2022 à 06h00, mis à jour à 06h01
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