LE JAPON SE PRÉPARE À EXPLOITER SES CENTRALES NUCLÉAIRES AU-DELÀ DE SOIXANTE ANS

Tournant la page de Fukushima, le gouvernement nippon va étendre la durée d’opération de ses centrales par tranches de dix ans.

Profitant, depuis le conflit en Ukraine, d’une sensibilité plus aiguë de l’opinion publique aux enjeux de sécurité énergétique, le gouvernement japonais va présenter, dans les prochains jours, son plan de prolongation de la durée d’exploitation de son parc nucléaire.

Après avoir multiplié, ces derniers mois, les consultations avec les grands électriciens, les élus et l’Autorité de régulation nucléaire (NRA), l’exécutif va proposer de réviser la loi qui encadre aujourd’hui l’utilisation des réacteurs de l’archipel. Déjà amendé après la catastrophe de Fukushima (mars 2011), ce texte fixe, en principe, à quarante ans la durée maximale d’exploitation des tranches du pays mais stipule, sans grande précision, que cette période pourrait être éventuellement prolongée, une seule fois, de vingt ans.

Un système à la française

Jugeant cette option d’un allongement trop floue pour être activée et validée par le grand public, le gouvernement a défini des nouvelles règles plus précises afin de permettre son application. Désormais, les exploitants pourront demander, après quarante années d’exploitation, des extensions de dix ans mais ils devront accepter une grande revue décennale de sûreté avant de recevoir le feu vert de la NRA. « C’est un système assez proche de ce qui se fait en France », remarque un expert du secteur à Tokyo.

Techniquement, les nouvelles règles devraient permettre d’exploiter les tranches au-delà de la limite des soixante ans même si ce « plafond » symbolique ne sera pas effacé de la future loi pour ne pas braquer les communautés locales, au moment où se négocie politiquement le redémarrage de plusieurs tranches.

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Pour gagner un peu de temps d’exploitation, le gouvernement va également modifier les modalités de calcul de « l’âge » de ses centrales. Désormais, les phases d’arrêt, dues aux longs contrôles de sécurité du régulateur ou à des batailles judiciaires avec les autorités locales, ne seront plus comptées comme du temps d’exploitation. Automatiquement, plusieurs tranches, dont celles mises à l’arrêt par précaution après la destruction de la centrale Fukushima Daiichi, vont ainsi gagner, l’an prochain, plusieurs années de « vie » légale.

Le gouvernement conservateur de Fumio Kishida estime que ces aménagements sont indispensables pour maintenir, à moyen terme, le poids du nucléaire dans le mix énergétique du pays. Tokyo souhaite que l’atome génère entre 20 % et 22 % de l’électricité consommée dans l’archipel à l’horizon 2030. Ce ratio doit aider le pays à atteindre ses objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre et à réduire sa dépendance aux énergies fossiles importées, notamment au gaz russe .

Dix réacteurs en opération

Actuellement, le Japon, qui opérait 54 tranches avant l’accident de mars 2011, n’exploite que dix réacteurs. Ces unités, qui ont effectué de longues et coûteuses remises à niveau de leurs infrastructures pour obtenir le feu vert du régulateur, génèrent moins de 8 % de l’électricité du pays.

Pour atteindre son objectif d’au moins 20 % d’atome dans son mix électrique, le pays doit pouvoir rapidement être en mesure d’exploiter une vingtaine de tranches. « D’ici la fin 2023 ou le début de 2024, cinq autres réacteurs devraient être relancés », estime l’expert, qui voit une dynamique positive dans le secteur.

Pointant l’envolée de leur facture énergétique aggravée par le yen faible et leurs résultats financiers dans le rouge, les exploitants envisagent aussi la construction de nouvelles centrales. Officiellement, ils s’intéressent, comme l’a suggéré Fumio Kishida, au développement de nouveaux petits réacteurs modulaires (SMR) mais ils doutent de la capacité des autorités à convaincre des villes d’accepter de nouvelles centrales. Les opérateurs parient donc sur la construction de tranches puissantes sur leurs sites déjà « nucléarisés ». Aucun chantier n’a toutefois été lancé depuis 2011.

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Par Yann Rousseau, (Correspondant à Tokyo), publié le 20 décembre 2022 à 14h50, mis à jour le 20 décembre 2022 à 17h40

Photo en titre : Techniquement, les nouvelles règles devraient permettre d’exploiter les tranches au-delà de la limite des 60 ans même si ce « plafond » symbolique ne sera pas effacé de la future loi pour ne pas braquer les communautés locales. (JIJI PRESS/AFP)

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