L’IMPOSSIBLE FEUILLE DE ROUTE DE LUC RÉMONT, LE NOUVEAU PDG D’EDF

Luc Rémont a six mois pour établir le nouveau plan stratégique d’EDF. Mais le dirigeant n’a pas tous les paramètres en main.

Luc Rémont a-t-il accepté une mission impossible? Dans une lettre du 9 décembre 2022, Élisabeth Borne donne six mois au nouveau PDG d’EDF pour lui présenter un nouveau plan stratégique pour le groupe. «Alors que le projet Hercule a été abandonné, je souhaite que vous puissiez proposer, en lien avec toutes les parties prenantes de l’entreprise, une nouvelle feuille de route stratégique, opérationnelle et financière pour l’avenir d’EDF, au premier semestre 2023», écrit la Première ministre. Et l’État, qui va désormais détenir 100% du capital du groupe, place la barre très haute. «Le gouvernement veut qu’EDF soit un leader mondial de la production, de la distribution et de la fourniture d’électricité décarbonée, dans le nucléaire, l’hydraulique et les renouvelables», a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, le même jour lors d’un déplacement à la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime). Un objectif qui aujourd’hui semble très difficile à atteindre.

EDF a perdu sa place de premier électricien mondial en 2017, au profit d’un groupe chinois, à la suite d’une fusion. Au niveau européen, en 2021, EDF ne pointait plus qu’à la troisième place, derrière le suédois Fortum et l’italien Enel. À cause d’un problème générique de fissures sur 16 des plus puissants réacteurs de son parc, EDF a aussi perdu sa place de premier exportateur d’électricité en 2022. Même si la France était, début 2023, redevenue exportatrice nette de l’électricité grâce aux efforts de sobriété des Français, à un hiver très doux, à l’éolien et «à l’exploit», selon Bruno Le Maire, des équipes d’EDF qui sont parvenues à redémarrer les réacteurs arrêtés pour maintenance, prolongation, contrôle et réparation d’un inattendu problème de corrosion sous contrainte sur le circuit primaire, qui affecte 16 des plus puissants et récents réacteurs du parc français. Début janvier, 45 gigawatts (GW) de capacité étaient disponibles, sur un potentiel de 61 GW.

Las. Dès l’hiver 2022, les arrêts de tranche pour réparation des pièces corrodées, visites décennales, rechargement de combustible et maintenance courante, vont reprendre. Si, à cause des fissures, de la sécheresse et d’une désorganisation du planning des arrêts de maintenance due à la crise Covid de 2020, la production nucléaire d’EDF est tombée à son plus bas historique en 2022 avec 279 TWh, contre environ 380 TWh entre 2016 et 2019, elle ne retrouvera pas de sitôt son maximum, qui était de 430 TWh en 2005. Pour 2023, l’électricien anticipe une production entre 300 et 330 TWh et entre 315 et 345 TWh, pour 2024.

Et si, en cadeau d’arrivé à la tête d’EDF, le 23 novembre, Luc Rémont avait reçu la mise en service du premier parc éolien en mer français, celui de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) d’une capacité de 480 MW (presque la moitié d’une tranche nucléaire), une très mauvaise nouvelle a suivi. Le 16 décembre, EDF annonçait que la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche) allait être retardée de six mois pour cause de traitement thermique à refaire sur des soudures, avec un nouveau surcoût de 500 millions d’euros, portant la facture à 13,2 milliards d’euros. Le chargement du combustible nucléaire est désormais prévu pour le premier trimestre 2024, repoussant la mise en service commerciale au mieux fin 2025, plus probablement en 2026!

Aucune visibilité sur l’après Arenh

Compliqué dans ces conditions de recommencer à produire massivement de l’électricité nucléaire, priorité des priorités de Luc Rémont depuis son arrivée. C’est pourtant le seul moyen, selon Bruno Le Maire, «de restaurer les finances d’EDF» qui traîne une dette de 60 milliards d’euros à fin 2022, et de dessiner la feuille de route financière demandée par Élisabeth Borne. D’autant plus difficile que tous les paramètres ne sont pas à la main de Luc Rémont. À commencer par la manière dont il pourra vendre son électricité. Non seulement le mécanisme qui doit remplacer l’Arenh (Accès réglementé à l’électricité nucléaire historique), qui l’oblige à vendre 100 TWh à un prix bas de 42 euros le MWh à ses concurrents et qui s’achève en 2025, n’est pas connu, mais le marché de l’énergie en Europe est en pleine révision. La Commission européenne ne dévoilera ses propositions d’évolution pour rendre le système moins dépendant des prix du gaz et du charbon qu’en mars. Et s’il se profile la possibilité de signer des contrats de long terme entre consommateurs et producteurs, sur le modèle des renouvelables, rien n’est acté pour le nucléaire.

Or, Luc Rémont doit aussi définir comment il va financer le mur d’investissement qui se dresse devant EDF. Pour construire les trois paires de nouveaux réacteurs EPR2, cela devrait aller. Bruno Le Maire a expliqué que l’État pouvait en supporter le coût, estimé à 52 milliards d’euros, et est en train de négocier des contrats d’achats privés long terme. De grandes entreprises seraient «prêtes à signer des contrats à 100 euros du mégawattheure à l’horizon 2040», a assuré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher lors d’une audition au Sénat début janvier. Mais ce soutien public n’est pas sans contrepartie. EDF doit déjà prouver qu’il peut finir les chantiers de Flamanville 3 et Hinkley Point C en tenant coûts et délais. C’est mal parti. Le chantier du Royaume-Uni a lui aussi déjà dérapé deux fois.

Une réforme du marché de l’énergie en cours

En revanche, c’est à EDF de financer le développement des renouvelables, ce qu’il fait pour l’instant déjà à coup d’émissions de green bond (obligations vertes), mais aussi l’entretien et le développement des installations hydroélectrique et la prolongation du parc nucléaire historique et du renforcement du réseau. Or, le plan Hercule du précédent PDG, Jean-Bernard Levy, avec un EDF bleu 100% public pour le nucléaire, qui aurait comme filiale une quasi-régie pour l’hydraulique permettant de conserver les concessions, et un EDF vert pour les activités concurrentielles, les renouvelables, les services et la distribution électrique d’Enedis, est jeté à la poubelle, assure le gouvernement. Charge à Luc Rémont de proposer une nouvelle organisation, qui assure à la fois l’intégrité du groupe, mais aussi son développement «de manière ciblée» à l’export «en adéquation avec (ses) capacités financières et industrielles», demande Élisabeth Borne, tout en respectant les règles bruxelloises et en renouant avec une génération de cash-flow positif «dans les meilleurs délais». Une gageure.

Non seulement Luc Rémont ne sait pas comment va évoluer le marché de l’énergie en Europe, ni si la doctrine ultralibérale de la Commission va s’infléchir. Mais le PDG d’EDF doit aussi composer avec les 168 000 salariés du groupe très attachés à l’idée que l’électricité est un service public, voire un bien commun, et non une marchandise, et qu’il ne faut en aucun cas scinder les activités du groupe. Ils sont aussi très attachés à leur statut IEG (Industries électriques et gazières), dont le modèle de retraite est remis en cause par le projet de réforme d’Élisabeth Borne. Autant dire que, même si le gouvernent a donné des assurances, Luc Rémont est face à une équation à multiples inconnues.

Par Aurélie Barbaux, publié le 16 Janvier 2023 à 10h00

Photo en titre : Après le Cap 2030 de son prédécesseur Jean-Bernard Levy, Luc Rémont doit définir une nouvelle feuille de route stratégique et une nouvelle organisation pour EDF d’ici à fin juin.

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