LA DÉPENDANCE MALSAINE À L’ATOME RUSSE

La filière du nucléaire civil est dominée par le géant russe Rosatom qui pourrait exercer des pressions sur les centrales occidentales.

L’Europe parviendra-t-elle à réduire sa dépendance à l’atome russe? La Russie est le géant mondial de l’industrie nucléaire civile (constructions de centrales, fourniture de combustible, retraitement, etc.) entretenant des relations commerciales avec plus de 50 pays pour un chiffre d’affaires de près de 140 milliards de dollars sur dix ans. À l’échelle mondiale, Rosatom et ses nombreuses filiales contrôlent 38% de l’uranium enrichi et près de 46% du retraitement des barres d’uranium usagées!

Les centrales suisses ont fortement réduit leurs achats en Russie à la suite des scandales environnementaux liés à la fabrication des crayons de mox (un mélange d’uranium usé et de plutonium), fabriqués dans l’usine sibérienne de Seversk. Mais sont-elles pour autant sevrées? Interrogés par nos confrères du «Tages-Anzeiger», les exploitants des usines nucléaires suisses sont dans l’incapacité de dire si l’uranium qu’elle achète à des intermédiaires étrangers passe encore par les filiales de Rosatom.

Dans la revue «Nature Energy», des chercheurs norvégiens explorent l’empire Rosatom et la menace qu’il fait peser sur l’Occident. Rosatom est le seul groupe au monde qui peut offrir aux États intéressés par l’atome «un guichet unique», couvrant la construction des centrales, leur exploitation, la livraison et le retraitement du combustible, y compris un financement clés en main. Une offre qui a convaincu l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Inde et pourrait séduire beaucoup d’autres États. Si la Finlande et la Slovaquie ont annulé les projets de nouvelles centrales avec la Russie, Rosatom espère pouvoir construire ou moderniser des réacteurs en Hongrie, en Bulgarie et en Arménie notamment.

«Pour les chercheurs, la Russie est en mesure d’exercer des pressions sur tous ces pays, notamment en raison de leur dépendance pour la livraison de combustible mais également en assurant la maintenance des réacteurs de conception soviétique

L’Ukraine, avec l’appui des États-Unis, est sortie de cette dépendance au début des années 2000. Son parc nucléaire a été modernisé et ne dépend plus de Moscou. Kiev est l’un des rares satellites de l’ancienne URSS à avoir anticipé un risque majeur avec Moscou.

En Europe de l’Ouest, la situation demeure particulièrement délicate pour la France. Rosatom est un partenaire commercial et industriel historique d’EDF. L’usine russe de Serversk recycle l’uranium issu du combustible utilisé dans les 56 réacteurs français. La France a en fait maintenu l’idée d’un recyclage de l’uranium usagé, une opération délicate et très sale. La filière, qui permet le retraitement, est aujourd’hui dramatiquement dépendante de Moscou. Paris semble aujourd’hui s’en inquiéter et déclare n’avoir pas renouvelé ses contrats depuis… 2023. Si la France maîtrise la technologie, elle redoute de financer seule une usine capable de remplacer les services offerts par le site industriel sibérien de Serversk. Aussi, vient-elle de créer une coalition de onze États européens (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Plusieurs de ces pays dépendent de la filière russe. Sans doute la France espère-t-elle convaincre ses partenaires d’investir dans des réacteurs de nouvelle génération, notamment ceux qui promettent de pouvoir brûler les déchets nucléaires (génération dite 4) et qui exigent un retraitement du combustible usagé, une opération proscrite aux États-Unis en raison du risque de prolifération et abandonnée par la Suisse. À l’évidence, EDF, virtuellement en faillite, n’a plus les moyens de relancer une filière nucléaire vieillissante et qui a énormément de peine à surmonter l’échec commercial des EPR (réacteurs de 3ème génération).

Par Pierre Veya, publié le 6 mars 2023 à 09h26

Pierre Veya est chef de la rubrique économie auprès de 24 Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimanche. Auparavant, il a été rédacteur en chef du journal Le Temps, de l’Agefi et chef de la rubrique économique à L’Hebdo. Ses domaines de compétences sont la finance, l’économie, les hautes-technologies, l’environnement, le climat et la politique agricole. Plus d’infos

https://www.24heures.ch/la-dependance-malsaine-a-latome-russe-528423432120

Vous pouvez aussi consulter :

. Abo Approvisionnement électrique Greenpeace s’insurge contre l’uranium russe utilisé en Suisse

. Éditorial: L’éléphant nucléaire dans le paquet des sanctions

. Abo Conséquence de la guerre en Ukraine: La fin du gaz russe relance la course au nucléaire

NDLR: Depuis le temps que nous vous répétons que l’atome ne nous rend pas indépendants sur le plan énergétique comme le ressasse nos gouvernants!