COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA CRIIRAD SUR LA RÉORGANISATION DE L’EXPERTISE ET DU CONTRÔLE DES ACTIVITÉS NUCLÉAIRES

L’Assemblée Nationale doit se prononcer cette semaine sur le démantèlement de l’IRSN au profit de l’ASN, du CEA et du ministère de la Défense.

Une décision soudaine, opaque et potentiellement dangereuse

Il s’agissait initialement de dissoudre l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) dans l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), après l’avoir privé de ses missions de recherche (transférées au CEA)1 et de ses compétences en matière de Défense (transférées au DSND)2. Un changement majeur puisqu’à ce jour l’IRSN cumule des missions de recherche et d’expertise, aussi bien pour les activités nucléaires civiles que de défense, alors que l’ASN (le « gendarme » du nucléaire) est en charge de l’élaboration de la réglementation technique et du contrôle des installations nucléaires civiles.

Le démantèlement de l’IRSN a été annoncé le 8 février par un bref communiqué ministériel. L’ambition affichée par le Gouvernement est de « renforcer les compétences,», « l’indépendance du contrôle », de garantir « l’excellence des équipes techniques et scientifiques » mais rien ne vient démontrer que la réorganisation annoncée aura ces effets. La séparation des missions d’expertise et de recherche devrait tout au contraire affaiblir l’expertise et sa capacité d’anticipation. Face aux oppositions, un second communiqué ministériel a d’ailleurs indiqué que recherche et expertise resteraient associées, sans que l’on puisse savoir, tant le projet reste flou, si les changements sont réels ou de façade. En revanche, intégrer l’organisme d’expertise (IRSN) à l’autorité en charge de la décision (ASN) reste au cœur de la réorganisation, ce qui ferait sauter une garantie importante en matière d’indépendance de l’évaluation des risques par rapport à leur gestion et de transparence du processus de décision.

Prise sans concertation ni débat public, la décision n’est assortie d’aucun diagnostic, d’aucune étude d’impact, alors même qu’elle prend le contrepied des conclusions de précédents travaux.

En l’état, les conséquences d’une réforme précipitée, aux motivations douteuses, probablement chronophage et manifestement déstabilisante pour les équipes de l’IRSN, pourraient être de fragiliser le dispositif d’expertise alors que les autorités accélèrent tous azimuts les chantiers du nucléaire. Serait-ce l’effet recherché ? L’objectif prioritaire est en tout cas d’accélérer la relance du nucléaire et de « sécuriser le calendrier des futurs programmes », la dissolution de l’IRSN dans l’ASN devant permettre de « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN pour répondre au volume croissant d’activités lié à la relance de la filière nucléaire souhaitée par le Gouvernement ».

La CRIIRAD alerte l’Assemblée nationale

La réorganisation a été insérée dans le projet de loi sur l’accélération des procédures en matière de nucléaire3 par un simple amendement gouvernemental (au contenu imprécis, voire contradictoire), après l’adoption du texte par le Sénat et sans étude d’impact. On ne sait si la violation des règles démocratiques est due à une impréparation réelle ou si elle est délibérée. L’Assemblée nationale doit se prononcer lors de l’examen du projet de loi, prévu du 13 au 15 mars prochains.

La CRIIRAD appelle les élus à exiger, en préalable à toute décision :

1/ la production d’un dossier justificatif détaillé (avec étude comparative des performances des expertises externes et internes à l’ASN, recherche des causes réelles des retards et bilan de l’ensemble des dysfonctionnements, en incluant l’ASN et l’IRSN mais sans oublier les exploitants, l’État et le Gouvernement);

2/ l’organisation de débats contradictoires et le respect du principe de participation du public aux décisions susceptibles d’affecter leur environnement (ce qui est le cas d’une décision pouvant dégrader les capacités d’évaluation des risques et augmenter la probabilité d’un accident).

3/ dans l’hypothèse du démantèlement de l’IRSN, la présentation détaillée des dispositifs destinés à remédier aux effets négatifs de l’abandon du système dual IRSN-ASN et ainsi que des moyens destinés à vérifier leur efficacité.

>> Lire le texte explicatif n°1

Les priorités sont ailleurs

Un diagnostic précis et complet des dysfonctionnements (incluant l’analyse du fiasco des EPR) est indispensable pour ne se tromper ni de cible, ni de combat. Puisque le Gouvernement a mis à l’ordre du jour la gouvernance du nucléaire, il incombe à la représentation nationale de rechercher les véritables causes des insuffisances et des irrégularités. L’objectif prioritaire ne doit pas être de « sécuriser le calendrier des futurs programmes » mais d’assurer l’évaluation correcte des risques, la protection effective de la population et des travailleurs, un réel droit d’accès aux informations et de participation au processus de décision.

Il faudrait, par exemple, élargir le domaine d’intervention de l’ASN (en matière notamment de sécurité). Et plutôt que rendre l’IRSN dépendant de l’ASN, mieux vaudrait accroître son indépendance vis-à-vis des ministères ; plutôt que de fragiliser l’expert officiel en le privant de moyens de recherche, mieux vaudrait donner des moyens à l’expertise non institutionnelle, quasi-inexistante en France, et ménager des recours contre les études réglementaires défaillantes et les informations erronées, voire mensongères, qui biaisent les débats publics ; plutôt que limiter l’accès du public aux informations dérangeantes, mieux vaudrait renforcer la CADA et rendre ses avis contraignants. Et tout est à faire pour le droit du public à participer effectivement au processus de décision, le débat avorté sur l’opportunité des EPR 2 et la présente réforme témoignant de son état de déshérence.

La CRIIRAD s’inquiète des évolutions annoncées mais ne joint pas sa voix à ceux qui ont protesté contre la réorganisation au motif de « l’excellence » de la gouvernance actuelle du nucléaire.

C’est que les dossiers qu’elle a traités au cours des 10 dernières années n’invitent pas au satisfécit, qu’il s’agisse de sûreté, de radioprotection, de qualité des rapports officiels, de transparence ou de démocratie (un panorama non exhaustif est présenté dans le document explicatif n°2). Citons, parmi les plus récents, les dossiers réglementaires truffés d’erreurs (étude d’impact de Cigéo), les irrégularités sur la participation du public au processus de décision (débat de la CNDP sur la valorisation des déchets radioactifs TFA), les révélations de la CRIIRAD (grâce à une source interne) sur le défaut de conception du plénum inférieur de la cuve EPR, les implications des phénomènes de fissuration par corrosion sous contrainte, etc.

En matière de sûreté, la question la plus importante concerne la capacité des industriels, des experts et du « gendarme » du nucléaire à connaître l’état réel des installations nucléaires. La découverte récurrente de défauts graves, présents depuis des années, remontant parfois à la fabrication ou à la conception des équipements, n’invite pas à l’optimisme (rappelons par exemple le dossier des défauts de résistance au séisme ou celui des soudures).

La remise en cause doit être générale car le fiasco de l’EPR n’est pas seulement industriel, il interroge la gouvernance du nucléaire au sens large. Concepteurs, fabricants, exploitants, sous-traitants, autorités, ASN, organismes agréés, IRSN, OPECST4, HCTISN5, ANCCLI6, CLI… chaque niveau de responsabilité doit être examiné. Il est trop facile de se placer à l’extérieur du dispositif de gestion et de concentrer les critiques sur les seuls industriels.

La résolution des difficultés techniques des EPR de première génération doit en tout cas être un préalable au lancement du programme d’EPR 2. Il faut donner aux experts et à l’ASN le temps et les moyens de travailler sereinement, de caractériser les défauts, d’identifier les causes profondes des erreurs de conception, de déterminer si les parades envisagées apportent un niveau de sûreté suffisant, de répondre aux interrogations persistantes, notamment celles induites par les dimensions inédites du cœur du réacteur (que l’on retrouvera sur les EPR 2 conçus pour être tout aussi puissants).

Lire le texte explicatif n°2

1: Commissariat à l’énergie atomique, devenu en 2010 le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

2: Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense

3: Projet de loi n°762 relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes

4: Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

5: Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire

6: Association nationale des comités et commissions locales d’information

Par la CRIIRAD, publié le 13 mars 2023

https://www.criirad.org/13-03-2023-reorganisation-de-lexpertise-et-du-controle-des-activites-nucleaires?utm_source=sendinblue&utm_campaign=CP%20IRSNASN%2013032023&utm_medium=email