SOUS LA CORROSION DES RÉACTEURS NUCLÉAIRES, LA RÉALITÉ DES FISSURES

Et la réalité fut ! « Enfin », pourrait ajouter l’observateur critique de l’industrie nucléaire tricolore. Quand on a passé des années à enquêter sur EDF et la filière, un élément se révèle en effet très rapidement : la capacité de cette industrie à être dans le déni de réalité. Quand on écoute les dirigeants d’EDF, de Framatome, d’Orano, ou les représentants de l’État, et parfois ceux de l’ASN et de l’IRSN, tout va toujours bien. Et quand apparait un problème, un « écart » dans le jargon de la profession, c’est à chaque fois bénin.

Ce discours a été si souvent martelé, depuis le début de la construction du parc nucléaire en exploitation, que les dirigeants du complexe nucléaire ont fini par y croire. À de rares exceptions près, comme cette interview de Marcel Boiteux (alors Président d’EDF) de 1979, la règle a été respectée à la lettre. Ainsi, l’industrie nucléaire a toujours affirmé qu’il n’y a jamais eu de problèmes rencontrés lors de la construction des réacteurs dans les années 1970 et 1980.

Ce déni de réalité vient de voler en éclats. Si EDF a parfaitement maitrisé la communication au sujet de la corrosion sous contrainte qui affecte une tuyauterie de secours du circuit primaire de ses plus gros réacteurs, la découverte inopinée d’une nouvelle fissure sur cette même tuyauterie d’un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) lève le voile sur une réalité jusqu’à présent indicible : la construction des réacteurs ne fut pas ce long chemin pavé de roses si souvent vanté par toute la filière.

Que nous apprend en effet cette nouvelle fissure ? Erreur de conception de cette tuyauterie (son design), une des causes de la corrosion sous contrainte, et erreur d’exécution et de fabrication, ce qui a obligé à forcer sur une soudure pour que les deux parties de la tuyauterie puissent être alignées. De plus, cette soudure a dû être refaite, entrainant ainsi des contraintes supplémentaires sur l’acier de la tuyauterie, ce qui est à l’origine de la nouvelle fissure découverte Penly.

Et ce cas n’est pas unique. Selon l’ASN, quelque 320 soudures, réparties dans d’autres réacteurs, seraient concernées par le même problème. Du boulot pour les équipes de l’électricien et certainement de nouveaux réacteurs à l’arrêt pour une durée indéterminée, aggravant les tensions sur l’approvisionnement du pays en électricité.

À l’époque, lors de la construction de ces réacteurs, les ingénieurs d’EDF se sont certainement interrogés sur les conséquences à court, moyen et long termes de cette accumulation d’erreurs. Si à ce stade, le résultat de leurs travaux est inconnu (il faudrait qu’EDF ouvre les dossiers de construction pour en savoir plus), une chose est sûre : quelqu’un dans la hiérarchie de l’entreprise a dû estimer que ce n’était pas grave, qu’il n’était pas nécessaire de refabriquer toute la ligne et de la réinstaller, que « ça passerait ». Et non, « ça » n’est pas passé !

Pour éteindre l’incendie qui vient ainsi d’être allumé, les voix officielles, ou officieuses, du complexe, toutes conscientes de l’ampleur des conséquences que ce nouveau problème vient de générer, vont tenter de tuer dans l’œuf la polémique. Sur le thème : « Ce n’est pas grave, ce n’est jamais qu’une tuyauterie de secours qui n’est pas utilisée. De plus, elle est doublée donc aucun risque pour la sûreté du réacteur. »

Ce discours fonctionnera. Ou pas. Car, ce que révèle ce nouveau problème est bien plus grave : EDF n’a jamais respecté toutes les règles qu’elle s’était fixées. Elle a joué et continue de jouer avec la sûreté nucléaire, comme elle le fait avec le droit du travail.

Dans l’enquête Nucléaire, danger immédiat (Flammarion, 2018), coécrite avec Hugues Demeude, nous révélions déjà, documents à l’appui, qu’EDF avait accepté, lors de la construction du parc nucléaire, des pièces défectueuses fabriquées notamment par la célèbre forge du Creusot. Et ces pièces équipaient le circuit primaire de très nombreux réacteurs. L’enquête lancée en 2015 par l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette même forge a confirmé que le problème des fabrications d’équipements pour les réacteurs remonte bien à la construction du parc, et n’est pas limité aux années 2005 – 2015 et à la construction de l’EPR de Flamanville.

Une année avant la sortie de notre livre, un salarié d’EDF, sous le pseudonyme de Nozomi Shihiro, publiait un livre à charge contre son employeur : La farce cachée du nucléaire (Yasnost’Éditions, SDN). Une longue enquête, truffée de rapports internes de l’électricien, consacrée principalement à l’état des enceintes des réacteurs. Ce livre dévoilait notamment le cauchemar rencontré à l’époque par EDF pour construire la double enceinte en béton des réacteurs de 1300 MW de puissance.

Malgré ces révélations, qui se multiplient, EDF et tout le complexe nucléaire, jusqu’au plus haut sommet de l’État, continuent de vouloir faire croire que le nucléaire est une industrie d’excellence à l’avenir forcément rayonnant. Aidés en cela par une grande partie des médias très accommodante. Et non les gars, il va falloir arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. Sous la corrosion se cachait la réalité de votre industrie. Elle vient d’éclater au grand jour. Et de fissurer la coque de mensonges et de manipulations qui contaminent l’information dès qu’on touche à l’atome. 

Au royaume des aveugles de l’industrie nucléaire, les journalistes et les communicants d’EDF sont rois.

Par Thierry Gadault, publié le 12 mars 2023

Photo en titre : Thierry Gadault

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