HONGRIE : LA FRANCE PRÊTE À PARTICIPER AU PROJET DE CENTRALE NUCLÉAIRE DU RUSSE ROSATOM

L’exécutif a donné son feu vert à Framatome pour prendre part à la construction de deux nouveaux réacteurs à la centrale de Paks, en faisant valoir que l’industrie nucléaire n’est pas visée par les sanctions internationales contre la Russie.

En pleine guerre en Ukraine, l’implication d’opérateurs français dans la construction de deux réacteurs nucléaires en Hongrie pilotée par le groupe public russe Rosatom peut paraître inopportune. L’extension de la centrale de Paks, dans le centre du pays, fait pourtant l’objet de discrètes discussions entre Paris et Budapest et a même été abordé lors d’un dîner entre Emmanuel Macron et le premier ministre Viktor Orban à l’Élysée, le 13 mars.

Peu après, le ministre hongrois des affaires étrangères, Peter Szijjarto, a confirmé que la Hongrie comptait sur l’aide de la France afin de contourner les réticences allemandes à livrer le système de contrôle des réacteurs, initialement confié, depuis 2019, à un consortium constitué de Siemens Energy et de Framatome. « Puisque le gouvernement allemand bloque pour des raisons politiques la participation contractuelle de Siemens Energy, nous souhaitons donc nous appuyer davantage sur les Français », a affirmé M. Szijjarto.

Si les dirigeants français et hongrois s’opposent sur différents sujets européens, comme la question de l’État de droit ou les livraisons d’armes à Kiev, ils partagent une croyance commune dans le nucléaire. M. Szijjarto s’est même rendu le 13 mars à Flamanville (Manche) pour visiter le chantier de l’EPR. « Le gouvernement français a donné l’autorisation à Framatome, mais le gouvernement allemand ne l’a pas fait pour Siemens. Nous étudions donc aujourd’hui ce problème en étroite collaboration avec Framatome », indique une source hongroise à propos de la centrale de Paks.

Accord avec Vladimir Poutine

« Les acteurs français de l’industrie nucléaire appuient nos partenaires européens, et notamment la Hongrie, dans toutes leurs démarches et dans tous les projets qu’ils portent sur leur sol dès lors qu’ils respectent strictement le cadre européen des sanctions internationales », dit au Monde l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Or, « à ce jour, les sanctions européennes [contre la Russie] ne visent pas l’industrie nucléaire, rappelle le ministère. Si des acteurs français souhaitent s’engager dans des partenariats avec d’autres acteurs européens, nous n’allons pas les en empêcher ».

L’empressement à honorer le contrat semble aujourd’hui beaucoup plus modéré du côté allemand, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la sortie du nucléaire. Le gouvernement de coalition, majoritairement opposé à l’atome, ne fait pas de commentaire, mais Siemens Energy a confirmé que sa demande de licence d’exportation était toujours en attente de traitement par Berlin. « L’Office fédéral allemand de l’économie et du contrôle des exportations n’a pas encore délivré de licence d’exportation, c’est pourquoi il n’y a pas eu de livraison », déclare au Monde un porte-parole de l’entreprise, située à Munich. Autre élément peu incitatif du point de vue de l’industrie outre-Rhin : les trois dernières centrales sur le sol allemand sont désormais hors service, depuis la mi-avril, douze ans après la décision d’abandon du nucléaire prise à l’initiative de l’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, au lendemain de la catastrophe de Fukushima, au Japon.

Le projet d’extension de la centrale de Paks, installée à une centaine de kilomètres au sud de Budapest, sur les bords du Danube, date de la fin des années 2000. En 2014, Viktor Orban a signé un accord avec le dirigeant russe, Vladimir Poutine, pour la construction par Rosatom de deux réacteurs de 1 200 mégawatts chacun, financés grâce à un prêt de Moscou de 10 milliards d’euros. Le projet avance depuis au ralenti, mais le gouvernement hongrois, connu pour ses positions prorusses, défend mordicus sa pertinence.

Soumis à l’approbation de Bruxelles

Même si la guerre en Ukraine a, par exemple, poussé la Finlande à renoncer à un réacteur du même type, l’autorité hongroise du nucléaire a, quant à elle, délivré sans broncher son permis de construire pendant l’été 2022, quelques mois après le déclenchement de l’invasion russe. Depuis, Peter Szijjarto s’est rendu à de nombreuses reprises à Moscou pour y rencontrer le directeur de Rosatom. « Le projet de construction est en cours », confirme Rosatom, sans donner de détail sur ses relations avec tel ou tel fournisseur. L’heure n’en est encore qu’aux « travaux préparatoires sur le chantier pour le passage à l’étape de construction principale des deux tranches nucléaires ».

Au cours d’un déplacement à Moscou, le 11 avril, M. Szijjarto a annoncé avoir signé un nouvel accord de financement avec la Russie, devenu nécessaire en raison « de la guerre et des sanctions ». Les détails de cet accord n’ont pas été rendus publics mais ils devront de nouveau être soumis à l’approbation de Bruxelles au chapitre des aides d’État. « Nous espérons que la Commission européenne ne veut pas mettre en péril la sécurité à long terme de l’approvisionnement énergétique hongrois », a lancé M. Szijjarto.

En réaction, Oleg Ustenko, conseiller économique du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a, dès le lendemain, appelé les Vingt-Sept à « exercer toutes les pressions possibles » sur la Hongrie afin qu’elle cesse de « collaborer avec le régime du Kremlin » en « finançant ses crimes » par l’intermédiaire de ses approvisionnements énergétiques. En plus du nucléaire, Budapest continue en effet d’importer abondamment du pétrole et du gaz russe et a annoncé de multiples fois qu’il mettrait son veto à tout projet de sanction européenne dans le domaine nucléaire.

Exporter le savoir-faire

Si Siemens Energy doit s’abstenir, faute d’autorisation gouvernementale, la donne est différente pour Framatome, où l’on se refuse au moindre commentaire. Les autorités espèrent non seulement une relance du nucléaire sur le sol français, mais aussi exporter en Europe le savoir-faire de la filière. L’entreprise appartient aux trois quarts à l’électricien EDF – en voie de renationalisation –, par ailleurs sur les rangs pour construire un réacteur en République tchèque. Le conglomérat russe Rosatom, fournisseur de combustible et bâtisseur de réacteurs, est aussi un client important pour les turbines françaises Arabelle.

Malgré l’emprunt contracté par la Hongrie auprès de la Russie, « les bénéficiaires finaux » des travaux seront les Hongrois, fait valoir le ministère français, insistant aussi sur la nécessité climatique de se passer de centrales à charbon ou au gaz. Selon un décompte de 2020, le nucléaire pesait pour près de la moitié de la production électrique de la Hongrie, soit 46 %. Et c’est déjà Framatome qui avait livré les systèmes de contrôle commande de sûreté pour les quatre réacteurs actuels de Paks : des unités mises en service dans les années 1980, de technologie soviétique.

Par Jean-Baptiste Chastand(Vienne, correspondant régional), Adrien Pécout et Philippe Ricard, publié le 27 avril à 15h50

Photo en titre : Le chantier de construction d’une extension de la centrale nucléaire de Paks, en Hongrie, le 10 septembre 2022.

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/27/hongrie-la-france-prete-a-participer-au-projet-de-centrale-nucleaire-du-russe-rosatom_6171229_3210.html

NDLR : Un très ancien proverbe disait « L’argent n’a pas d’odeur ». On pourrait désormais dire : « Le nucléaire, tout comme l’argent, n’a pas d’odeur ».