EDF CONDAMNE LE STATUT DU NUCLÉAIRE DANS LE TEXTE SUR L’INDUSTRIE VERTE DE L’UE

EDF condamne le statut inférieur et « incohérent » dévolu au nucléaire dans le projet de règlement de l’UE pour une industrie décarbonée (Net-Zero Industry Act, NZIA).

Présenté par la Commission européenne en mars, le règlement de l’UE sur l’industrie verte (NZIA) vise à garantir que puisse être produit sur le sol des États membres de l’UE au moins 40 % des technologies qu’elle juge « stratégiques » pour atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici 2050.

Cependant, bien que l’énergie nucléaire ait été répertoriée parmi les technologies zéro émission, elle n’a pas été incluse dans la liste des technologies dites « stratégiques » qui doivent être produites à 40 % en Europe. À ce titre, elle ne bénéficie pas des procédures d’autorisation accélérées et d’un contrôle plus souple des aides d’État de la part de l’UE.

Les technologies stratégiques recouvrent notamment l’énergie éolienne, l’énergie solaire, les batteries et les électrolyseurs.

Selon la proposition de la Commission, seuls les petits réacteurs modulaires (SMR) et les « technologies avancées » produisant de l’énergie à partir de processus nucléaires « avec un minimum de déchets issus du cycle du combustible » pourraient être qualifiées de « stratégiques ».

« Le nucléaire de pointe est à sa place dans des domaines spécifiques, mais pas dans tous », a expliqué la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à l’issue d’un sommet de l’UE en mars, provoquant un tollé sur les réseaux sociaux.

Neutralité technologique

Les eurodéputés examinent actuellement le texte dans le but d’obtenir un accord avec les États membres avant la fin de l’année.

Pour les défenseurs du nucléaire, le rapport de Christian Ehler, eurodéputé conservateur (Parti populaire européen, PPE) allemand en charge du dossier pour le Parlement européen, est plus que discutable. L’eurodéputé a en effet proposé de supprimer la distinction entre les industries stratégiques et non stratégiques dans le règlement.

Julie Oddou, directrice déléguée aux affaires européennes au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), un organisme de recherche financé par le gouvernement français, a déclaré qu’elle était d’accord avec M. Ehler pour « la suppression de la distinction entre technologies incluses, stratégiques et non stratégiques ».

« Cette double catégorisation arbitraire ne se justifiait pas », a-t-elle déclaré à EURACTIV dans des commentaires envoyés par courriel.

En revanche, M. Ehler a suggéré d’utiliser, à la place, la taxonomie verte de l’UE, qui classe les industries en fonction de leur contribution aux objectifs climatiques de l’UE. Situation à laquelle le CEA s’oppose, arguant que le règlement sur l’industrie verte et la taxonomie poursuivent des objectifs différents.

« La taxonomie a été créée pour orienter les investissements privés sur des critères environnementaux, tandis que le règlement sur l’industrie verte a pour objectif de renforcer les chaînes industrielles européennes indispensables à l’atteinte de nos objectifs climatiques », explique Mme Oddou.

De plus, la proposition de M. Ehler ne fait référence qu’à l’article 10.1 de la taxonomie, qui couvre les technologies « durables », et non à l’article 10.2, qui traite des technologies « de transition » telles que l’énergie nucléaire — ce qui, selon Mme Oddou, « revient (encore) à exclure l’énergie nucléaire ».

Or, « chaque pays européen est libre de [composer] son bouquet [énergétique], dans le cadre de l’objectif commun de neutralité carbone en 2050 » dans le respect du principe européen de neutralité technologique, a rappelé Mme Oddou, regrettant que l’énergie nucléaire « continue d’être pénalisée » à travers la législation européenne.

L’énergéticien français, EDF, semble encore plus amer, dénonçant l’« incohérence » d’ignorer une technologie éprouvée comme l’énergie nucléaire et qui, de surcroit, n’émet presque pas de dioxyde de carbone.

« Le seul nucléaire qui est inclus c’est celui qui n’existe pas encore — les petits réacteurs modulaires [SMR] », a déclaré Erkki Maillard, vice-président senior pour les affaires européennes chez EDF retourné sous la pleine propriété de l’État cette semaine.

Comme pour le CEA, EDF argue que, dans de telles circonstances, la règle d’or pour les décideurs politiques est de respecter strictement le principe de neutralité technologique.

« Et là, clairement, nous n’y sommes pas, estime M. Maillard. Il faut donc trouver un moyen de rendre ce texte plus neutre, comme ils le font aux États-Unis avec l’IRA [Inflation Reduction Act] qui soutient indifféremment toutes les technologies qui contribuent à une réduction d’émissions », a-t-il déclaré à EURACTIV.

Un million d’emplois en Europe

Pour EDF, l’enjeu va au-delà de la construction de nouvelles centrales nucléaires en France — qui se fera avec ou sans le soutien de l’UE : il s’agit de renforcer la chaîne de valeur européenne dans la fabrication de composants clés comme les valves par exemple.

« Il y a actuellement très peu d’acteurs en Europe qui peuvent le faire. C’est typiquement le type d’industrie où on risque d’importer d’Asie si on ne renforce pas la base industrielle en Europe », a mis en garde M. Maillard.

L’ajout complet de l’énergie nucléaire au nouveau règlement permettrait également d’accélérer l’obtention des permis pour les usines nécessaires à la fabrication des composants des SMR, que la Commission européenne a classé comme « stratégiques ».

« Et pour que ces usines sortent de terre, il faut des permis. Si ces permis sont octroyés plus rapidement aux États-Unis ou en Chine, l’Europe aura alors un désavantage compétitif », a averti M. Maillard.

« Pour le nucléaire existant, l’enjeu est le même : les usines de composants peuvent aussi bénéficier de procédures accélérées de permis de construire sans que cela ne mette en cause les normes de sûreté sur la construction des centrales elles-mêmes », a-t-il ajouté. Ce, contrairement aux propos tenus par le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, lors d’une audition devant les sénateurs, rapportée par EURACTIV France.

Un autre exemple cité par EDF est la formation des employés travaillant à la maintenance des centrales nucléaires existantes, qui peuvent être originaires de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et l’Espagne.

« Il y a un million d’emplois sur des équipements clés pour l’industrie nucléaire qui ont besoin d’être soutenus pour qu’il y ait une base industrielle européenne », a souligné M. Maillard, précisant qu’environ un quart de ces emplois sont situés en France.

« Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser les facilités du règlement de l’UE sur l’industrie verte pour la formation sur le nucléaire existant ? Ça n’a pas de sens. Donc là encore, il faut appliquer le principe de neutralité technologique. »

Au Parlement européen, le soutien se renforce également sous la forme d’un groupe interpartis de législateurs pronucléaires dirigé par Christophe Grudler, un eurodéputé français.

« Il est clair que pour moi le règlement sur l’industrie verte fonctionnera si c’est neutre technologiquement », a expliqué M. Grudler à EURACTIV, appelant à ce que l’énergie atomique soit pleinement reconnue dans le règlement de l’UE, aux côtés d’autres technologies à faible émission de carbone.

« Aucun pays ne devrait se sentir lésé par le principe de neutralité technologique », a déclaré M. Grudler, avertissant que les législateurs pronucléaires au Parlement européen étaient suffisamment nombreux pour bloquer l’adoption du règlement si nécessaire.

Les législateurs du Parlement ont jusqu’au 19 juin pour déposer des amendements au règlement sur l’industrie verte.

La commission de l’Industrie (ITRE) du Parlement européen, qui est en charge du dossier, devrait voter sur la proposition en octobre 2023, avant un vote en séance plénière prévu le mois suivant.

Cela ouvrira la voie à des discussions décisives avec les États membres de l’UE et la Commission européenne pour finaliser l’adoption de la loi.

Par : Frédéric Simon | EURACTIV.com, traduit par Anna Martino, Édité par Anne-Sophie Gayet et Paul Messad, publié le 12 juin 2023 à 15h09, mis à jour à 15h35)

Photo en titre : Bien que l’énergie nucléaire ait été répertoriée parmi les industries à zéro émission, elle n’a pas été incluse dans la liste des technologies « stratégiques » qui doivent être produites à 40 % en Europe, et ne bénéficie par conséquent pas des procédures d’autorisation accélérées et d’un contrôle plus souple des aides d’État de la part de l’UE. [EPA-EFE/CHRISTOPHE PETIT TESSON]

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