NUCLÉAIRE : LE CASSE-TÊTE DU FINANCEMENT NE SERA PAS RÉSOLU AVANT FIN 2024

Qui de l’État, du consommateur ou d’EDF assumera les frais de la construction des six réacteurs EPR voulus par le gouvernement, évalué à 51,7 milliards d’euros hors coût de financement ? Interrogé mercredi soir par les députés, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a assuré que cette question épineuse sera résolue « d’ici à fin 2024 ».

Pour y répondre, trois critères essentiels devront être remplis, a-t-il rappelé : un coût du capital faible, c’est-à-dire la rémunération versée à ceux qui prêtent l’argent, l’acceptabilité par les contribuables et les consommateurs, mais aussi l’aval de la Commission européenne, généralement opposée aux aides d’État. Un numéro d’équilibriste !

Comment financer la construction des six nouveaux réacteurs nucléaires de 3ème génération (EPR) souhaités par le gouvernement, au moment même où la dette d’EDF culmine à plus de 60 milliards d’euros et que l’exécutif entend équilibrer les finances publiques, le tout en passant sous les fourches caudines de Bruxelles, opposée à trop d’aides étatiques ? Pour résoudre cette équation épineuse, la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a passé sur le gril le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et son homologue à la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, ce mercredi soir.

Résultat : « Rien n’est arrêté » aujourd’hui, mais le « schéma de régulation et de financement devra être précisé d’ici à fin 2024, pour que l’entreprise [EDF, ndlr] puisse prendre formellement sa décision d’investissement », a précisé Bruno Le Maire face à des députés friands de réponses. Mobilisation du livret A, prêts à taux zéro, recours à la dette de l’État et à celle des acteurs privés, ou encore appel aux fonds propres d’EDF, malgré ses difficultés financières : « Nous n’excluons aucune option », a-t-il assuré.

Au global, il s’agit de trouver au moins 51,7 milliards d’euros d’ici à 2042, soit le montant nécessaire pour ériger 6 EPR hors coûts de financement, avec une première mise en service à l’horizon 2035, selon un rapport gouvernemental publié l’an dernier. Soit 43,1 milliards d’euros de coûts directs, et 8,6 milliards de provisions pour risques sur le démantèlement et la gestion des déchets.

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L’option du livret A n’est pas écartée

« Nous devons regarder les avantages de chaque option », a ainsi précisé le ministre mercredi. Lequel n’a pas écarté le recours à l’épargne populaire, via le Livret A, dont 60% revient à la Caisse des Dépôts. De fait, l’institution financière publique est connue pour ses financements de long terme (de 30 à 80 ans), notamment dans le logement social et les infrastructures, comme les réseaux énergétiques. « Sur le Livret A, l’encours total est de 450 milliards d’euros, dont 160 utilisés pour logement social. Il reste de la marge de manœuvre ! L’avantage, c’est qu’il présente un taux stable, avec un capital garanti et un investissement de très long terme », a clarifié Bruno Le Maire. En effet, la Caisse des dépôts peut prêter de l’argent sur une très longue période à un taux bien plus faible que sur les marchés financiers.

Deuxième possibilité : les subventions étatiques. Leur atout : pas de rémunération du capital, et par là même pas de remboursement, ce qui en fait l’option « la moins chère », a souligné le ministre. Mais aussi « la plus coûteuse pour le contribuable », avec un impact « direct sur le déficit et la dette ». Or, il faut trouver une solution « acceptable » pour les citoyens français, qui soit par ailleurs conforme au régime européen sur les aides d’État, a-t-il averti.

De l’importance du coût du capital

Le tout, en intégrant donc un autre critère « essentiel » : le fameux « coût du capital ». Et pour cause, le prix final de l’électricité reste extrêmement sensible à ce paramètre, qui constitue la rémunération versée à ceux qui prêtent l’argent. Par exemple, avec un taux d’intérêt de 2%, le mégawattheure (MWh) sortirait à 40 euros. À 8%, le prix grimperait à plus de 90 euros le mégawattheure. À 11%, il dépasserait la barre des 120 euros le mégawattheure, précise EDF dans son dossier de maître d’ouvrage produit dans le cadre du débat public en cours sur la relance du nucléaire.

« Aujourd’hui, l’État emprunte à raison de 3% pour des emprunts à 10 ans. Plus vous prenez la décision d’investissement tôt, moins le coût du capital est élevé. […] Mais si vous avez recours à de la dette privée, le taux de rémunération grimpe, de 5 à 7% par an. Enfin, si l’on s’appuie sur les fonds propres EDF, on parle de 7 à 10% par an ! », a expliqué Bruno Le Maire.

« Selon l’AMF [autorité des marchés financiers, ndlr], lecoûts de financement peuvent représenter plus de 50% des coûts d’un projet ! », a complété Agnès Pannier-Runacher. « C’est pour ça que les États interviennent il s’agit de diminuer [ces] coûts », afin de « trouver des acteurs privés » prêts à assumer la prise de risque, a-t-elle justifié.

Et de citer l’exemple de l’EPR britannique Hinkley Point C, financé intégralement par EDF et son co-actionnaire chinois, mais qui dispose d’un « prix de sécurité de vente » fixé à 120 euros le MWh, via un contrat pour différence signé avec les pouvoirs publics. Concrètement, au terme de ce contrat, l’électricité produite par la centrale sera vendue sur le marché de gros, et si le prix du marché est inférieur à 120 euros/MWh, l’État remboursera la différence à l’exploitant.

Enfin, pour diminuer ces coûts du capital et attirer les investisseurs, il faudrait « que les politiques publiques de l’UE prennent davantage en compte l’impact positif du nucléaire », n’a pas manqué de glisser Agnès Pannier-Runacher. Ce qui rejoint le fameux débat sur la taxonomie européenne, cette liste des activités « durables » établie par Bruxelles, dont l’atome civil fait finalement partie après des mois de lutte acharnée par l’Hexagone, mais sous des conditions très strictes.

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Quid d’EDF ?

Une chose est sûre : « L’investissement dans le nouveau nucléaire ne pourra pas être porté par EDF seul », a clarifié Bruno Le Maire. Certes, le parc existant, avec ses 56 réacteurs, a été financé par l’entreprise grâce à l’emprunt, à l’époque où sa santé financière s’avérait « très bonne » et qu’elle bénéficiait d’une « protection de l’État via son statut d’EPIC [établissement public de caractère industriel et commercial, ndlr] ». Mais en quarante ans, la situation a bien changé, et l’énergéticien essuie désormais une dette colossale, avec une note de crédit dégradée par agences de notation. Par ailleurs, EDF n’évolue plus dans un cadre monopolistique, lequel lui a permis, jusqu’en 2007, de fixer un niveau de prix de vente de l’électricité lui garantissant de couvrir ses coûts.

Il n’empêche, l’entreprise, dont l’État a récemment acquis 100% des parts, devra être mise à contribution, a affirmé Bruno Le Maire. « Est-ce que nous attendons d’EDF qu’elle ait les résultats financiers les meilleurs possibles, avec des niveaux de rentabilité les plus élevés possibles, ou que ce soit une grande entreprise de service public qui garantisse la compétitivité économique de l’industrie française et l’accès de tous les Français à l’énergie décarbonée la plus accessible possible ? Pour moi, la meilleure option, c’est la deuxième », a-t-il clarifié.

Un débat qui renvoie à la question des prix du MWh qui sera issu des fameux EPR, que l’exécutif espère le plus bas possible. Sans surprise, le sujet a d’ailleurs fait naître des tensions entre la direction d’EDF et le gouvernement. « EDF n’est pas nationalisé, il a un actionnaire à 100% ! », a ainsi lancé le PDG du groupe, Luc Rémont, en ouverture du colloque de l’Union française de l’électricité (UFE) le 8 juin dernier. Signe que ces questions restent aujourd’hui irrésolues, malgré l’ampleur des enjeux.

Par Marine Godelier, publié le 13 juillet 2O23 à 12h13

Photo en titre : crédit Reuters

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