NUCLÉAIRE ET RENOUVELABLES : LE DIALOGUE DE SOURDS SE POURSUIT DE BRUXELLES À VALLADOLID

En marge du conseil informel de l’énergie du 11 juillet se tenait une réunion du groupe des « amis du renouvelable » réunissant 12 États membres. Une nouvelle fois, la France n’a pas été invitée, au prétexte qu’il ne s’agissait pas d’une réunion des « amis du renouvelable ».

À Valladolid en Espagne, le premier conseil « Énergie » informel de la présidence espagnole du conseil de l’UE le 11 juillet dernier fut l’occasion de deux nouvelles réunions des groupes « amis du renouvelable » et « alliance du nucléaire ».

Depuis mars, les deux groupes se font face sur l’importance que doit prendre le nucléaire dans la transition énergétique de l’UE. La réunion pro-renouvelable menée par la ministre autrichienne de l’Énergie, Leonore Gewessler, s’oppose à celle pro-nucléaire de son homologue française, Agnès Pannier-Runacher.

Afin de s’assurer qu’il s’agissait bien de réunions pour défendre les renouvelables plutôt qu’opposées au nucléaire, la France a rapidement revendiqué sa volonté de participer aux réunions autrichiennes. Le 9 mai, Mme Gewessler satisfaisait la demande française dans une lettre à Mme Pannier-Runacher l’invitant aux prochaines réunions de son groupe.

La réunion du 19 juin qui s’en suivit démontra le contraire : la France n’y était pas invitée, mais cela ne devait pas créer de précédent, déclarait l’Autriche.

Le 10 juillet dernier, à la veille du conseil « Énergie » de Valladolid, le cabinet de Mme Pannier-Runacher assurait donc à la presse que la France serait « de toutes les prochaines réunions » des amis du renouvelable, dont une était pressentie le lendemain en marge du conseil.

Le jour même, la ministre espagnole Teresa Ribera, qui préside la réunion du conseil, annonce qu’elle participera à la réunion « renouvelable » à l’issue du conseil, mais le doute subsiste toujours sur la survenance et l’horaire de la réunion. 

Finalement, Vienne confirme à EURACTIV France l’organisation d’une réunion de pays « qui partagent des valeurs communes sur les renouvelables » (« like-minded friends of renewables » en anglais). Nous apprenons, par suite, que la France n’est pas invitée.

Coup de boutoir, quand, à Paris, on croit d’abord que Mme Pannier-Runacher s’y rendra, avant d’entendre que la réunion aurait été annulée.

Rien de cela, nous répond Vienne : la réunion a bien eu lieu, mais à la subtilité près qu’elle ne réunissait plus les pays « qui partagent des valeurs communes sur les renouvelables » comme annoncé quelques heures auparavant, mais les États pro-renouvelable défendant des « intérêts communs » (« like-minded » en anglais) sur la réforme en cours du marché européen de l’électricité.

N’étant pas une réunion des « amis du renouvelable », aucune raison donc de crier à l’exclusion de la France, d’autant qu’elle défend une position tout à fait contraire à l’Autriche, l’Allemagne ou le Luxembourg sur le financement possible du nucléaire existant grâce à des mécanismes réformés dans le cadre du marché européen de l’électricité. 

Mais si l’on y regarde de plus près, 10 des 12 participants à la réunion du 11 juillet — Autriche, Belgique, Estonie, Espagne, Danemark, Allemagne, Irlande, Portugal, Pays-Bas et Lettonie, selon nos informations — étaient déjà présents parmi les 14 participants de celle du 19 juin. Il s’agissait, à l’époque, d’une réunion officielle des « amis du renouvelable » dont l’éviction de la France avait été justifiée, de la même façon que ce 11 juillet, par des divergences sur la position à adopter concernant un texte européen. 

En résumé, la France a donc été exclue, pour les mêmes raisons, de deux réunions qui ont eu lieu dans des conditions similaires, ont traité d’objets comparables et on réunit sensiblement les mêmes États membres. Et pourtant, l’une des deux seulement fut une réunion des « amis du renouvelable ».

Face à ces coïncidences, un autre diplomate européen nous assure, pour conclure le dialogue de sourds auquel il déclare ne pas participer, que la réunion du 11 juillet était bien, tout comme celle du 19 juin, une réunion des « amis du renouvelable » et non pas seulement une réunion « like-minded » tel que présentée par l’Autriche. 

De plus, les Pays-Bas ont, eux, bien participé aux deux réunions, alors même qu’ils s’inscrivent de plus en plus dans le sillage français concernant la défense du nucléaire et des actifs existants. 

L’heure est donc peut-être venue d’un exercice de clarification sur le rôle des réunions instiguées par l’Autriche. Fin juillet, un autre diplomate européen nous confiait qu’il pourrait en effet être opportun d’annoncer, en amont des réunions à venir, un ordre du jour. Ainsi, d’éviter les situations ubuesques, la confusion et les mauvaises interprétations. 

Pour le moment, la France joue le jeu sémantique de l’Autriche et pèse ses mots. « La ministre autrichienne a confirmé cet après-midi à Agnès Pannier-Runacher que les ‘amis des énergies renouvelables’ ne se réuniraient pas aujourd’hui, et que seule une autre réunion présidée par les Autrichiens sur la réforme du marché aurait lieu », confie à EURACTIV France l’entourage de la ministre après la réunion du 11 juillet. 

Par cette déclaration, Paris semble vouloir éviter la polémique après avoir obtenu des avancées considérables sur la reconnaissance du nucléaire dans un certain nombre de textes européens comptant pour la transition climatique — au nez et à la barbe de ses fervents opposants comme l’Autriche, l’Allemagne ou le Luxembourg.

Il serait donc inopportun de remuer le couteau dans la plaie alors que le combat n’est pas terminé, notamment sur la question du nucléaire existant dans la réforme du marché européen de l’électricité et le règlement sur l’industrie verte de l’UE (Net-Zero Industry Act — NZIA).

En outre, les ministres autrichienne et française de l’Énergie entretiennent de bonnes relations, nous assure-t-on. Il en va toutefois de la crédibilité de la réunion des « amis du renouvelable » de rassurer sur son but réel, qu’il soit de défendre le déploiement des énergies renouvelables ou de contrer le regain d’intérêt pour le nucléaire en Europe. Sinon, elle n’aura plus d’intérêt pour les renouvelables que le nom.

Par Annita ElissaiouFrédéric SimonKira TaylorNikolaus J. Kurmayer et Paul Messad | EURACTIV.fr | traduit par Anna Martino, publié le  26 juillet 2023 

https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/nucleaire-et-renouvelables-le-dialogue-de-sourds-se-poursuit-de-bruxelles-a-valladolid/

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