LA CONSTRUCTION DE DEUX RÉACTEURS EPR EN ANGLETERRE PAR EDF POURRAIT COÛTER PLUS DE DEUX FOIS LE COÛT BUDGÉTÉ.

EPR HINKLEY POINTLes grandes manœuvres sont lancées autour du projet très controversé de construction par EDF de deux réacteurs nucléaires de type EPR à Hinkley Point, dans le sud de l’Angleterre. Après une réunion confidentielle lundi à l’Élysée, c’est au tour du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron — qui soutient ouvertement le projet —, d’inviter lundi 18 juillet les fédérations de l’énergie et de la métallurgie. Les syndicats CGT, CFE-CGC et FO demandent depuis plusieurs mois le report des travaux. Estimé officiellement à 18 Mds£, soit 21,7 Mds€ au cours actuel, Hinkley Point pourrait coûter bien plus cher, 44,5 Mds€ selon nos informations.

Une direction divisée

Plusieurs membres de la direction d’EDF, que nous avons rencontrés, font état de profonds désaccords jusque dans l’entourage du PDG, Jean-Bernard Lévy. « Nous craignons que Hinkley Point — dans lequel EDF a déjà dépensé plus de 3 Mds€ — ne mette sérieusement en danger les finances du groupe et avec elle les 158 200 salariés qui y travaillent, témoigne l’un de ces cadres dirigeants. Depuis l’année dernière, il a en effet été décidé que le projet serait entièrement financé sur les fonds propres de l’entreprise. Le risque est gigantesque. » Une situation qui a poussé le directeur financier Thomas Piquemal à démissionner en mars, qualifiant le chantier de « suicidaire ». L’investissement est jugé d’autant plus risqué que le groupe est plombé par une dette abyssale, officiellement de 37,5 Mds€. Mais, par le truchement d’opérations comptables, et surtout par la présence de dette hybride, elle serait en réalité plus près de 70 Mds€ !

Un coût sous-évalué

En mai, la très sérieuse Autorité des marchés financiers (AMF) a tapé du poing sur la table en sommant EDF de revoir ses estimations à la hausse. Lors de l’assemblée générale des actionnaires le 12 mai, le patron de l’électricien Jean-Bernard Lévy a donc dû démontrer la capacité d’EDF de financer, si besoin était, le projet à hauteur de 20,7 Mds£ (24,7 Mds€ au cours actuel). « C’est encore largement insuffisant, alerte un cadre de la direction financière d’EDF. En réalité, ce n’est pas entre 20 et 25 Mds€ que ce projet pourrait coûter, mais plutôt 40 à 50 Mds€, soit presque le double ! »

Des investissements onéreux

Au moment du lancement du projet Hinkley Point en 2008, EDF achète British Energy, propriétaire du parc nucléaire en Grande-Bretagne. Soit seize réacteurs répartis sur huit sites. Montant : 12,5 milliards de livres (15,7 Mds€), largement surpayé selon les analystes. En effet, pas moins de sept sites sont dotés de réacteurs de type AGR (graphite gaz), une technologie dépassée et vouée à disparaître. Alors pourquoi un tel prix ? « Pour mettre la main sur des sites susceptibles d’accueillir les EPR à venir », justifient alors les dirigeants d’EDF. En omettant que les terrains du futur projet de Hinkley Point étaient déjà achetés. Le montant du surcoût de British Energy, 5,75 Mds£ (7,2 Mds€), a même été publié dans le document de référence d’EDF de 2010.

Un planning intenable

Le béton nucléaire du premier réacteur de Hinkley Point doit commencer à être coulé en juin 2019. Pour une mise en service prévue en décembre 2025. Soit 78 mois (six ans et demi) de chantier. Idem pour le second réacteur avec une mise en service prévue en juin 2026. « De tels délais sur une technologie qui n’est pas encore développée, c’est complètement illusoire », précise un cadre travaillant pour le Septen (Service études et projets thermiques et nucléaires), Et cet expert de comparer avec les quatre autres EPR en construction. « Que ce soit celui d’Olkiluoto en Finlande, les deux de Taishan en Chine, ou celui de Flamanville dans la Manche (lire ci-dessus), aucun ne sera achevé en moins de dix ans, minimum ! » Hors frais financiers (20 % du budget global), le coût de Hinkley Point est estimé à 2,9 Mds€ par an. Quatre ans de retard représenteraient un dépassement de 11,6 Mds€.

Ventes à perte

Pour trouver au plus vite de nouvelles sources de financement, EDF prévoit de vendre pour 10 Mds€ d’actifs d’ici 2020 : des centrales gaz et charbon notamment en Pologne, des réseaux et des contrats de gaz en Italie, et surtout la moitié de RTE, la filiale chargée du transport de l’électricité en France, hautement stratégique. « Le groupe va perdre 4 Mds€ en vendant à un moment où le marché est au plus bas », s’insurge ce cadre de la direction financière. Autre piste envisagée, selon nos informations, EDF étudierait la possibilité de faire monter la part des partenaires chinois de CGN (China general nuclear) de 33 % à 49 % dans le tour de table de Hinkley Point.

Avec le Brexit, rien ne change officiellement, mais…

Theresa May, qui va remplacer David Cameron au poste de Premier ministre, a déjà fait part hier de son souhait de faire baisser le prix de l’électricité. Ce qui revient indirectement à remettre en cause le contrat passé avec EDF, qui prévoit de vendre la future production des deux EPR à 92,5  £ (119 €) le mégawattheure. La bataille de Hinkley Point est donc loin d’être terminée.

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