Donald Trump menace de dénoncer le Traité START sur l’armement nucléaire. Malgré les tensions entre Moscou et Washington, il demeure l’un de rares secteurs où les deux puissances collaborent bien afin d’assurer la stabilité stratégique de la planète.
Est-on à l’aube d’une nouvelle course aux armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis? Plusieurs signaux font craindre un retour de l’équilibre de la terreur entre Washington et Moscou digne de la Guerre froide. Récemment, la Russie a commencé, à en croire le New York Times, à déployer sur son territoire des missiles de croisière de portée intermédiaire capables de frapper des villes européennes. Les Américains en sont convaincus. C’est une grave violation du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) conclu en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.
La suprématie nucléaire en jeu
Et le 28 janvier dernier, lors d’une conversation d’une heure avec Vladimir Poutine, le nouveau président américain Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait dénoncer le nouveau traité START de réduction des armes stratégiques conclu par l’administration de Barack Obama. Il a réitéré ses doutes dans une interview accordée la semaine dernière à Reuters: «Nous avons pris du retard par rapport à notre capacité nucléaire. Je suis le premier qui aimerait voir un monde sans arme nucléaire, mais nous n’allons jamais nous faire dépasser par quelque pays que ce soit, même un pays allié.»
Insistant sur la nécessité pour les États-Unis de maintenir une suprématie nucléaire, Donald Trump s’est montré très critique de START: «C’est un accord déséquilibré. Il accorde (aux Russes) des choses que nous n’aurions jamais dû céder. C’est un mauvais accord (conclu par les États-Unis) comme l’accord sur le nucléaire iranien.» L’ex-ambassadeur américain auprès de l’ONU à New York, le néoconservateur John Bolton, abonde dans le même sens: «D’un point de vue américain, le traité START est exécrable, […] un échec diplomatique.»
Les déclarations intempestives de Trump ont produit l’effet d’une… bombe. La perspective d’une annulation du traité glace déjà le sang des experts militaires et de la sécurité à Washington et à travers le monde. Ce d’autant que START n’était pas défavorable à l’Amérique. À en croire les câbles de WikiLeaks que Le Temps avait pu consulter en 2010, le chef négociateur russe déclarait un jour à Genève qu’il était hors de question que son pays «capitule» devant les exigences américaines.
Expiration du traité en 2021
Négocié à Genève en pleine phase de remise des compteurs à zéro entre Russes et Américains (reset), signé en avril 2010 à Prague par les présidents Barack Obama et Dmitri Medvedev et ratifié par le Congrès et la Douma, START est d’ailleurs le dernier traité auquel les spécialistes de la stabilité stratégique souhaiteraient toucher. Le document impose aux deux parties de réduire à 1550 têtes nucléaires déployées et à 700 les vecteurs (missiles et bombardiers) d’ici au 5 février 2018, soit sept ans après l’entrée en vigueur de l’accord. Cela équivaut à une réduction de 30% par rapport aux arsenaux existants en 2002. Mais le traité expire en 2021. Le maître du Kremlin a apparemment voulu anticiper en proposant à son homologue américain de prolonger le traité START de cinq ans comme le leur autorise le document. Or aujourd’hui, après les déclarations de Donald Trump, tout semble incertain.
Une transparence nécessaire
Dans une période où la non-prolifération nucléaire reste un édifice très fragile, le nouveau traité START revêt une importance capitale. Même si le nombre de têtes déployées et de vecteurs fluctue tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, il «n’y a pas lieu de s’inquiéter de cet effet de yo-yo», confiait naguère au Temps Rose Gottemoeller, ex-cheffe négociatrice du traité négocié à Genève et actuelle numéro deux de l’OTAN à Bruxelles, qui a bon espoir que les objectifs soient atteints tant par Moscou que par Washington. Au-delà des réductions de têtes nucléaires, le traité a une fonction plus importante encore: le contrôle mutuel des arsenaux nucléaires. Ce dispositif a commencé au lendemain de la fin de la Guerre froide quand Mikhaïl Gorbatchev et George Bush père conclurent le premier traité START, lequel sera reconduit une première fois en 2002 avec le traité de Moscou.
Le document autorise Américains et Russes à procéder à 18 inspections par an des sites recensant des missiles balistiques intercontinentaux ou des lanceurs à partir de sous-marins. START permet aussi l’échange de données télémétriques sur des essais éventuels de missiles et offre un cadre clair pour la conversion des bombardiers stratégiques nucléaires en bombardiers conventionnels. Il précise aussi la relation complexe entre armes stratégiques offensives (têtes nucléaires par exemple) et défensives (bouclier antimissile, etc.). La transparence qu’il offre à la Russie et aux États-Unis est un facteur évident de stabilité.
A Washington, sept anciens responsables de la US Strategic Air Command ont tous appuyé à l’époque le traité START, soulignant qu’il permet de maintenir une force de frappe nucléaire substantielle. Les États-Unis peuvent ainsi encore déployer 240 missiles dotés chacun jusqu’à huit têtes nucléaires. Ils détiennent aussi quelque 400 missiles balistiques intercontinentaux et 60 bombardiers stratégiques capables de transporter jusqu’à 1150 armes nucléaires. Là où les Américains brouillent le message, c’est en matière de modernisation de leurs arsenaux chiffrée à près de 1000 milliards de dollars sur trente ans. Avec START toutefois, les États-Unis ne sont pas contraints de dépenser des milliards pour tenter d’évaluer l’arsenal nucléaire russe. Ce sont autant de ressources qui peuvent être allouées à autre chose.
«Dénoncer START, c’est se tirer deux balles dans le pied»
Andrew Weber a été le principal conseiller des secrétaires américains à la Défense Robert Gates, Leon Panetta et Chuck Hagel pour les programmes de défense nucléaires, chimiques et biologiques. Il a beaucoup négocié avec les Russes. Il livre son analyse.
Le Temps: Que vous inspire la menace proférée par Donald Trump de dénoncer le nouveau traité START?
Andrew Weber: Si l’administration Trump devait décider de dénoncer le traité START, ce serait se tirer deux balles dans le pied. Pour l’heure, il importe toutefois de rester prudent. Jusqu’ici, la politique nucléaire de la Maison-Blanche n’est pas claire. Le président américain a dit des choses très contradictoires. Et ce faisant, il a encouragé les milieux qui professent les idées les plus extrêmes en la matière, qui parlent de reprendre les tests nucléaires, de développer de nouvelles armes nucléaires et d’en accroître le nombre. Il prend le risque de remettre en question la politique nucléaire des cinq derniers présidents. A ce stade, difficile de savoir s’il va construire un argumentaire raisonnable ou s’il va écouter les faucons pour échafauder sa politique nucléaire.
– Donald Trump laisse entendre que START est un mauvais traité…
– C’est un très bon traité. Même ces dernières années où on a vu une recrudescence des tensions entre Moscou et Washington, le nouveau traité START a été appliqué par les deux parties de façon très rigoureuse. Cela offre aux deux puissances davantage de transparence, de prévisibilité et de stabilité stratégique. L’accord est très favorable aux Américains. Mais Vladimir Poutine lui-même voit lui aussi un intérêt à demander une prolongation du traité au-delà de 2021.
– Le traité START a-t-il d’autres vertus?
– Il offre aux deux puissances une chance unique d’être pionnières dans l’élimination des armes nucléaires et des missiles de croisière. Sans le traité, les États-Unis perdent de vue l’état des arsenaux nucléaires russes. Actuellement, la Defense Threat Reduction Agency, une agence du Pentagone, obtient des accès réguliers aux sites nucléaires russes. Quand on pense par ailleurs que le Congrès mène une nouvelle initiative pour arrêter de financer le système de monitoring géré par l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires qui nous est par exemple très utile pour contrôler les tests effectués par la Corée du Nord, il y a de quoi s’inquiéter.
(Propos recueillis par S. Bu.)
https://www.letemps.ch/monde/2017/02/27/moscouwashington-une-nouvelle-course-larme-nucleaire
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