À 30 km au nord-est de la centrale de Fukushima des habitants de l’arrondissement de Tsushi, dans la ville de Namie, reviennent visiter leur ancienne habitation au cœur de la zone d’évacuation. Les lieux sont restés en l’état, sept ans après. Les étagères de l’épicerie adjacente à la maison sont vides. Des futons d’un rouge lavé par les saisons sont entassés dans le coin de la pièce principale. Dans la vaste cours qui s’étend devant la maison, monsieur T. mesure un hot spot de 11.9 microsievert/h. Depuis l’accident, le seuil défini par les autorités pour la décontamination obligatoire est de 0.23 microsievert/h. « On nous a dit qu’il y avait des billes de césium ici. J’en avais jamais entendu parler jusqu’alors. Je ne sais pas ce que c’est ».[1]
Des billes de césium dans les filtres d’échantillonneurs atmosphériques
C’est dans cette région que furent découvertes des billes de césium par l’institut de recherches météorologiques situé à 170 km au sud de la centrale, dans la ville de Tsukuba (préfecture d’Ibaraki). Afin de déterminer la qualité de l’air, ce centre utilise des équipements spécifiques appelés High-volume air sampler, qui filtrent l’air afin de capturer les particules qui s’y trouvent en suspension. Ces échantillonneurs ont enregistré des données depuis plus de 60 ans.
Les billes de césium ont été en premier lieu découvertes, il y a quatre années, dans les filtres utilisés au moment de l’explosion. « Juste après l’accident, quand la radioactivité était la plus forte, on a enregistré des taux 10 millions de fois plus élevés que les échantillons prélevés avant l’accident » relate Kôji Adachi, responsable du centre. Ces filtres observés au microscope ont permis de déterminer la taille des billes mesurée à 2.6 micromètres, soit une taille équivalente à 1/10e d’un grain de pollen de pin. Autrement dit, ces billes sont suffisamment fines pour être inhalées par les êtres vivants.
Les particules sont emprisonnées dans du verre fondu provenant de matériaux de la centrale
Depuis leur décèlement, le professeur SATO Tatsuhiko travaillant au centre de recherche international associé de l’agence d’énergie atomique japonais a retrouvé ces billes à maintes reprises dans des prélèvements de terre effectués autour de la centrale. Le professeur Sato émet l’hypothèse d’un englobement des particules de césium par du verre compris dans les matériaux composants les parois du réceptacle du cœur en fusion. Le verre aurait fondu sous l’effet de la chaleur et se serait mêlé aux particules de césium pour les enclore, avant de se refroidir et redevenir solide. Les particules les plus légères ainsi enserrées dans leur armure vitrée auraient été emportées par les vents hors du réacteur 2. Le 15 mars, au moment où les vents ont rabattu le plumeau radioactif sur le continent, ses billes de césium auraient été transportées jusque dans le département de Shizuoka, à 450 km au sud de la centrale de Fukushima Daiichi.
Quelles différences entre les billes de césium et les particules de césium à nu ?
La particularité de ces billes est qu’elles ne se dissolvent pas dans l’eau contrairement aux particules de césium nues. On peut de fait craindre des conséquences particulièrement lourdes sur l’environnement et la santé. Dans le département d’Ibaraki, à Tokaimura, le laboratoire de particules nucléaires de l’agence d’énergie atomique japonaise poursuit les recherches sur les conséquences relatives à la contamination par ces billes de césium. Ce laboratoire procède aux analyses via des programmes de simulation permettant de mesurer l’impact de ces billes de césium dans le corps humain. En émettant l’hypothèse que le césium se serait introduit dans les poumons, on note, dans le cas des particules de césium nues, une répartition en de nombreux micro-éclats alors que dans le cas des billes de césium, la radioactivité reste concentrée en un point plus dense sur lequel l’irradiation est beaucoup plus intense.
Les particules de césium nues se dissolvent dans l’eau et les recherches menées sur le sujet laissent à penser qu’elles se répartissent uniformément dans le corps. La contamination en serait d’autant réduite que ces fines particules pourraient être rejetées. Les billes de césium, quant à elles, se concentrent sur un point et resteraient emprisonnées dans les poumons en cas d’inhalation. Bernd Grambow, directeur de l’unité de recherche Subatech (école des mines de Nantes, CNRS) qui avait participé à des travaux sur la question en 2016, soulignait déjà la dangerosité de ces micro-billes dont la densité les rend plus irradiantes que d’autres aérosols. La demi-vie du césium 137 étant de trente ans, il est probable que leur piège de verre ralentisse d’autant ce processus. Jean-René Jourdain, directeur adjoint de la protection de l’homme à l’Institut de Radioprotection et de Sécurité Nucléaire avait également mis en garde sur la possibilité d’augmentation de cancers radio-induits par ces billes de radioactivité compactes et insolubles. Néanmoins, accompagnant la politique menée par le gouvernement d’abolition de la zone d’évacuation autour de la centrale, ce même organisme (IRSN) reste impliqué dans le programme ETHOS qui propose aux habitants un enseignement pour apprendre à continuer à vivre dans les territoires contaminés.[2]
Des billes de césium retrouvées dans les cours d’eau
Le 7 mars 2018, le professeur Sato de la JAEA (Agence d’énergie atomique japonaise) rend public une nouvelle découverte. Après avoir analysé les échantillons de terre, il s’est attaché aux cours d’eau pour y déceler la présence ou non des boules irradiantes. Ses enquêtes de terrain lui ont permis de mettre à jour la présence de billes de césium dans les cours d’eau du département de Fukushima, lieu des recherches. Une équipe de l’université de Tokyo dirigée par le professeur Yoshio Takahashi, spécialisé en radio-chimie, confirme cette trouvaille, après prélèvements d’échantillons dans les cours d’eau des villes au nord – ouest de la centrale. Selon le professeur, on détermine la présence moyenne à hauteur d’une bille de césium pour 100 litres d’eau. Ces nouvelles révélations, sept années après l’accident, font ressurgir les inquiétudes relatives à la contamination interne des habitants.
Le 5 mars dernier, la commission chargée de l’enquête sanitaire limitée au seul département de Fukushima annonçait simultanément la hausse des cancers de la thyroïde chez les enfants de moins de 18 ans à 197 individus sur un échantillon de 380 000 personnes, et la volonté de mettre fin à l’enquête. Les recherches sur les conséquences sanitaires relatives à ces billes de césium, elles, sont toujours en cours. S’agissant d’un phénomène jamais observé jusqu’alors, les chercheurs avancent pas à pas, hypothèse par hypothèse, sur un terrain inconnu. Pendant ce temps, les villes de l’ancienne zone d’évacuation sont rouvertes une à une à l’habitat, contraignant la population à retourner vivre dans des environnements où l’incertitude règne.
[1] Témoignages enregistrés par Nippon News Network (NNN) diffusés le 6 mars 2018.
[2] Voir à ce sujet notre article dans le journal du CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-fukushima-la-…
http://leblogdejeudi.fr/billes-de-cesium-a-fukushima-incertitude-scientifique-contre-certitude-politique/
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