POINT DE VUE : COMPARAISON N’EST PAS RAISON

S’apprêtant à commémorer le centenaire de l’Armistice, le président de la République vient de donner une interview à Ouest-France qui m’a choqué. Parler de ressemblance entre les événements que traverse actuellement le monde et ceux de « l’entre-deux-guerres » néglige en effet les considérables évolutions qu’a connues l’humanité depuis cette époque.

Certes, la nature humaine, celle de nombreux chefs d’État, n’a pas vraiment changé. Trop souvent, des despotes, obnubilés par leur pouvoir, n’hésitent pas à recourir à la force, au détriment des principes démocratiques et des droits humains.

Et pourtant, on constate que notre monde est bien différent de celui des années 1930. De nouvelles puissances ont émergé, la décolonisation a modifié la structure de plusieurs continents, la prédominance américaine est contestée, les relations économiques internationales se sont intensifiées, le progrès technique a modifié des comportements.

Il est donc hasardeux d’affirmer que «le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres» et de suggérer ainsi, en s’appuyant sur l’adage selon lequel «les mêmes causes engendrent les mêmes effets», que l’Europe pourrait connaître prochainement une guerre, qui serait certainement mondiale. Est-il utile de rendre ainsi le climat plus anxiogène, alors que l’on s’inquiète que l’Europe soit «divisée par les peurs» ?

L’arme atomique inadaptée

Ceci amène obligatoirement à se demander comment se protéger si la Troisième Guerre mondiale se déclenchait. Dans la période qui a précédé 1940, la ligne Maginot devait assurer une défense inviolable du territoire français. On sait ce qu’il en est advenu !

Depuis près de cinquante ans, c’est l’armement nucléaire français qui est censé apporter une garantie ultime de sécurité à la France. Or, il est facile de constater que ces armes et le concept qui leur est associé sont inutiles et même lourds de risques pour l’avenir (1). Alors que nous avons vécu de nombreuses révolutions techniques, que les nouvelles armes et leurs capacités d’action sont sans commune mesure avec celles du siècle précédent, l’arme atomique est inadaptée à la gestion des crises de notre monde.

De plus, nous sommes entrés dans une nouvelle ère où la menace cyber, inconnue il y a une dizaine d’années, vient poser de nombreuses interrogations sur la crédibilité des forces de dissuasion nucléaire. Avec ce risque, l’assimilation de la dissuasion à la fameuse ligne Maginot correspond de plus en plus à la réalité.

Il est désolant de constater que les États nucléaires continuent à perfectionner leurs arsenaux et qu’ils mettent le monde à la merci d’une erreur d’appréciation ou d’une escalade incontrôlée.

Puisque le Président souhaite que l’Europe se ressaisisse et qu’elle «résiste», je lui recommande de faire étudier ces mesures simples que pourrait prendre la France et qui contribueraient à un renforcement de la stabilité et de la sécurité internationales :

– Engager un processus de médiation entre États-Unis et Russie pour maintenir le traité FNI (forces nucléaires à portée intermédiaire) et obtenir le retrait des ANT (armes nucléaires tactiques) américaines déployées en Europe, en échange du retrait total des ANT de la Russie de son territoire européen.

– Abaisser le niveau d’alerte des forces nucléaires.

– Adopter une attitude constructive à l’égard du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté à l’Onu par deux tiers de ses membres.

C’est par de tels gestes que la France pourrait offrir une perspective nouvelle de paix dans le désordre actuel du monde.

  • Lire L’illusion nucléaire, livre de Paul Quilès, Jean-Marie Collin et Michel Drain, et sur le blog de Paul Quilès

Article rédigé par Paul QUILÈS, ancien ministre de la Défense.et publié le 05/11/2018 à 07h05

https://www.ouest-france.fr/reflexion/point-de-vue/point-de-vue-comparaison-n-est-pas-raison-6052370