Le Sénat a refusé de reverser aux organismes de surveillance et d’information nucléaire une partie de la taxe de 1% prélevée par l’État aux centrales nucléaires
C’est une nouvelle qui lui reste en travers de la gorge. Le 6 décembre, le président de la commission locale d’information (CLI) de la centrale nucléaire du Blayais Alain Renard a reçu une réponse inquiétante de la part de la Commission des finances du Sénat, qui planche actuellement sur le projet de loi de finances 2019. C’est le sénateur de Charente-Maritime Daniel Laurent (1), un des porteurs du dossier, qui lui a transmis la nouvelle : l’État ne reversera pas une part des 1% de taxe prélevée aux centrales nucléaires comme promis deux ans plus tôt.
Depuis la création des CLI à la fin des années 1990, ces associations indépendantes composées de bénévoles (lire ci-dessous) sont adossées aux Départements, qui les subventionnent selon leur bon vouloir. La CLI de la centrale de Blaye bénéficie de 90 000 € annuel de la Gironde servant essentiellement à payer l’ingénieur du Département détaché au service de la CLI du Blayais, des supports administratifs et l’achat de matériels. L’État met également la main à la poche : 35 000 € annuel pour la CLI du Blayais. Une somme un peu juste, selon Alain Bernard, pour mener toutes les enquêtes et expertises nécessaires pour répondre à toutes les questions et problématiques posées par les citoyens mais aussi les élus, agriculteurs, industriels, pêcheurs et autres professionnels du secteur dans le cadre de leurs activités, projets d’activités ou d’aménagement du territoire. « Il y a des études qui demandent un niveau d’expertise que nous n’avons pas et qui nécessitent une sous-traitance de compétences qui ont un coût », explique Alain Renard.
Il y a deux ans, un nouveau texte de loi prévoyait la création d’une taxe de 1% prélevée sur le chiffre d’affaires des centrales, dans l’objectif d’en reverser les bénéfices à différents organismes publiques, dont les CLI du nucléaire. Un amendement devait en préciser la répartition et les modalités ultérieurement. Le projet de loi de finances devait donc permettre de statuer à ce sujet. Plusieurs députés et sénateurs ont donc été chargés par leurs élus locaux de porter le sujet dans leurs différentes instances. La décision de la commission de finances du Sénat finalement tombée ce 6 décembre est sans appel : la fameuse taxe de 1% continuera d’être prélevée, mais ne sera pas reversée comme prévu.
« Un manque de respect pour le travail des CLI »
Pour étayer sa décision, la Sénat avance deux arguments. Dans un mail aux sénateurs, le président de la commission des finances écrit que l’amendement demandé est irrecevable « en ce qu’il prévoit que 1 % du produit de la taxe sur les installations nucléaires de base est affecté aux commissions locales d’information et à l’Association nationale des comités et commissions locales d’information, ce qui incite ces organismes à dépenser davantage ». Un argument qui fait bondir Alain Bernard. « Je trouve que c’est un manque de respect pour le travail des CLI et une insulte aux bénévoles qui interviennent. Nos besoins de financements ne le sont pas pour se payer des soirées et des nuits dans des palaces ! On ne se rembourse même pas nos déplacements… », s’insurge l’élu. Il trouve d’autant plus désobligeant ces soupçons sur les CLI d’être dispendieuses, à l’heure où certains zonages de sites nucléaires comme celui du Blayais sont en passe d’agrandissement. « Un périmètre plus grand nécessite plus de moyens humains, techniques et financiers », poursuit l’élu, rappelant que les missions de la CLI n’ont rien de superficielles. Il y a deux ans, la CLI du Blayais avait par exemple mené un grand exercice de simulation de propagations de (fausses) fumées toxiques parmi les habitations proches de la centrale, qui avait permis de mettre en place des outils de prévention et de sécurité avec les élus locaux et les riverains.
L’article 40 de la Constitution brandit comme paravent
Le deuxième argument de la commission de finances ne convainc pas plus Alain Renard. Toujours dans son mail, le président de la commission explique le reversement des parts de la taxe de 1% « aggraverait une charge publique au sens de l’article 40 de la Constitution. » Pour rappel, l’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958 stipule que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique». En clair, l’État ne compte pas se passer de cette ressource financière qu’il n’avait pourtant pas prévu de conserver à son budget général, deux ans plus tôt.
Trouvant l’argutie un peu fort de café, le président de la CLI du Blayais ne compte pas se laisser faire. « Nous comptons attirer l’attention des sénateurs et des députés pour leur montrer à quelle point la réponse de la commission est d’une rare goujaterie ». Des courriers leurs seront prochainement adressés pour leur demander d’agir. Le sujet sera également soulevé le 18 décembre lors de la prochaine session du Département de Gironde, dont Alain Renard est un des vice-présidents.
(1) Contacté, Daniel Laurent n’a pu être joint.
C’est quoi, une CLI ?
Créées à la fin des années 1990, les commissions locales d’information (CLI) ou comité local d’information et de suivi (CLIS) sont des structures d’information et de concertation obligatoires mises en place autour de certaines installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) (en France), comme les sites SEVESO et les centrales nucléaires. Il existe aujourd’hui une cinquantaine de CLI à travers la France dont 38 dédiées aux centrales nucléaires. Sans se substituer à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), la CLI joue un rôle complémentaire et surtout de mission de service public auprès du grand public. D’un côté, l’ASN assure au nom de l’État, la réglementation et le contrôle du nucléaire pour protéger le public, les patients, les travailleurs et l’environnement. De l’autre, les CLI du nucléaire sont des associations indépendantes faisant de la médiation auprès du public en matière de sûreté et de suivi d’impact des activités de l’installation. En plus de vérifier et de rendre accessible à tous des données complexes liées au fonctionnement et à la sécurité des centrales, la CLI relaie les questions des élus et riverains, interroge, enquête, s’assure des respects de la réglementation et travaille à la prévention des risques, sur l’homme et sur l’environnement. Ces associations sont généralement composés de maires, de représentants d’associations environnementales, des Chambres (d’industrie, d’agriculture, etc) et de syndicats professionnels. La CLI de Blaye est composée de 60 membres.
Par Anne-Lise Durif
http://www.aqui.fr/politiques/loi-de-financement-l-independance-des-cli-nucleaires-mises-a-mal,17778.html
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