NOËL 2019, J’AI FAIT UN RÊVE…
Au coin du feu, un soir de décembre 2019, quelque part en Bretagne…
C’était le dimanche 29 septembre dernier. La rentrée scolaire était déjà loin derrière nous. Les clubs sportifs avaient relancé leur saison. Les terrains et les salles de sport bruissaient, chaque fin de semaine, depuis un mois, des cris et manifestations auditives relatives aux exploits plus ou moins hasardeux de la masse de sportifs amateurs du pays.
Les habitudes de chacun, dans sa spécialité, écolier, collégien, lycéen, employé, artisan, acteur de la santé, des loisirs, libéraux, artistes… tous avaient repris la routine du « job » depuis la fin août.
Les trains, avions et navires trimballent leurs cargaisons diverses et variées à travers le monde et par-dessus les océans.
Les dépressions atlantiques se précipitent sur la face ouest de l’Europe, l’une après l’autre, dans un flux qui annonce l’automne et les frimas iodés de l’hiver.
En fin de semaine, avant le lundi 30 septembre, deux dépressions ont tracé la route, comme une coulée pour avalanche, entre les anticyclones des Açores et de l’Arctique.
Ce dimanche 29, c’est la troisième dépression qui arrive. Les anciens marins la surnommaient « la fille ». C’était toujours la plus furibonde des cinq dépressions traditionnelles : le père, la mère, la fille, la grand-mère et le grand-père, dans l’ordre, selon les vieux pêcheurs de Douarnenez.
Ce dimanche soir, centrée sur l’entrée de la Loire, « la fille » s’engouffrait plein Sud-Ouest-Nord et, sur toute la façade atlantique du pays, particulièrement dans la Gironde.
Les riverains de toute cette côte maritime qui passaient leur soirée en famille avaient entendu, entre deux émissions, la météo annoncer un coup de vent et colorer les côtes ouest de la couleur rouge attribuée à la vigilance la plus nécessaire. Et les familles allaient se calfeutrer dans les rêves de lendemain mouillé. Les images de surfeurs, sur la côte basque, faisaient toujours leur effet sur les derniers veilleurs aux dernières infos. Le vent forcissait et la nuit était annoncée très très agitée.
Quelques derniers cinéphiles des bourgades de la Gironde se cramponnaient les uns aux autres en rejoignant leur voiture. La gendarmerie de Royan se configura en mode tempête. Plusieurs voitures avaient subi des rafales définitives. Déjà plusieurs blessés avaient été hospitalisés. Les pompiers étaient en alerte maximale, dès 23 h.
Les premiers coups de boutoir de la tempête se fracassaient sur le cap de Saint Georges de Didonne. Les autorités maritimes avaient signalé un monstrueux tanker, en fuite, dans l’embouchure de la Gironde. Il était attendu à Bordeaux le dimanche matin, avec sa cargaison de containers venus de Chine. Le « Schifonia » ne répondait pas, il était soupçonné d’être en perdition.
Le lundi 30 septembre commençait, vers minuit et demi, par des rafales atteignant 200 k/h et la pluie noyait les villes et villages du bord de l’estuaire, dans la nuit noire.
La préfecture de Bordeaux avait lancé une alerte météo générale, vers 2h, ainsi que le plan ORSEC. La circulation était de plus en plus périlleuse sur les axes secondaires. Les chutes d’arbres ne se comptaient plus. Toutes les mairies du front de mer étaient mobilisées, les équipes d’agents municipaux activaient les tronçonneuses et les groupes électrogènes. Toute la côte d’Aquitaine était en alerte rouge !
Le Médoc était déjà sous l’eau, lundi 30, vers 3h. La marée montante et son coef de 116, pulsait un flot de plus en plus monstrueux, appuyé par le vent qui continuait son implacable bal destructeur.
La Gironde faisait marche arrière ! Elle remontait vers Bordeaux.
Un peu plus tard, il est 4h50, peu avant la plus grande hauteur d’eau. Le flux maximum de la marée montante ne se calme pas.
Boosté par un vent d’enfer, le « Schifonia » vient s’empaler sur le plateau technique de la centrale nucléaire du Blayais, directement dans les deux réacteurs ouest. Le monstre emporté par son inertie et ses milliers de tonnes, s’enfonce dans la centrale comme un couteau dans du beurre.
La centrale, transpercée, submergée par un mascaret géant encombré de déchets de toutes sortes, dont des véhicules désarticulés, des arbres enchevêtrés, des cadavres d’animaux et d’humains, vient d’échapper complètement à tout contrôle.
La succession de vagues a noyé la centrale.
Les circuits de refroidissement, crépines d’alimentation complètement obstruées par le déluge de matériaux, ont lâché tous ensembles. Les circuits de secours, gavés de déchets de toute sorte, sont, eux aussi, en rade, dégradés sous l’effet de l’inondation. Les lignes haute tension qui alimentaient toute la logistique sont déjà par terre depuis plusieurs heures, balayées par la tempête et les chutes d’arbres, quand ce n’était pas des camions fous qui avaient percuté tel ou tel pylône.
L’antenne météo de l’aéroport de Mérignac annonce des rafales… record à 290 k/m.
Il est 6 h du matin.
Le flot avec l’appui du vent établi à près de 200 k/h, a complètement submergé la centrale, noyé les conduites et court-circuité tous les équipements électriques. Les réacteurs est ne sont plus refroidis depuis le lever du jour. Les tours des deux réacteurs ouest, éventrées, ont déjà des allures de vestiges, de bateaux en perdition.
Un énorme nuage noir, au-dessus du complexe d’EDF, est balayé par le vent en furie qui pousse le panache, vers Angoulême. De nombreuses explosions ont été perçues par la population.
Les informations d’alerte se succèdent en boucle sur les chaines d’info et les radios. Le premier ministre a rassuré le peuple dès 8 h. « Nos techniciens sont mobilisés, la centrale est en phase d’arrêt d’urgence. Depuis le 28 décembre 1999, nous savons comment faire face ! »
Les réseaux sociaux pullulent de vidéos montrant le panache de fumée, couché par le vent, balayé vers le nord-est. Quelques-unes ont filmé des séries d’explosions rougeoyantes dans la fournaise, au-dessus de la centrale en perdition. Les réseaux étalent à l’envie l’inanité des discours lénifiants des autorités. L’heure n’était visiblement pas à la langue de bois : les smartphones crachent l’info, sans contrôle des « autorités »
La population a déjà compris. Ce n’est pas une fake news !
La centrale est en catastrophe !
1 er Octobre 2019, organisation de la survie. Chacun pour soi. Les autorités du pays ont délimité une zone de sécurité de 50 km, en demi-cercle vers le N/Est que la population doit évacuer.
Autant la mer et son mascaret géant, poussé par le vent, a envahi toute la plaine alluvionnaire des rives de la Gironde en balayant, au passage, la centrale du Blayais, autant la population a entamé sa transhumance vers la Vendée et Nantes. Les écoles sont vides… les bords de la Gironde désertés par le mascaret de fuyards, d’émigrés du nucléaire.
La côte des Landes et le bassin d’Arcachon sont submergés, le cordon de dunes a cédé en brèches destructrices.
Il ne reste que les pompiers et les hélicos de l’armée et de la marine qui cerclent autour du monstre, entré en fusion bien avant les onze heures de délais proclamées par les autorités. Un hélico d’une chaîne tv a été refoulé dès le lever du jour. Aucun accès à la zone de cinquante Km de rayon n’est autorisé.
Toute la rive droite de la Gironde est bouclée sur une largeur bien supérieure aux 5 km préconisés par les plans d’urgence d’origine, réaffirmés depuis décembre 1999.
Les images, en boucle, défilent sur les écrans de tv, et surtout des tablettes et des smartphones. Filmées depuis la rive sud, zoomées à l’envie, elles montrent l’apocalypse, à portée de main. Les opérateurs amateurs sont aux premières loges, sans contrôle possible. Devant eux, depuis Saint Estèphe ou Pauillac, à moins de 7 km au nord, sur la rive d’en face, le spectacle final de l’industrie du nucléaire entre dans sa dernière phase. Le Shifonia, à marée basse, épave fumante et désarticulée, comme un poignard, enfoncé entre les deux réacteurs en fusion. L’apocalypse.
Prévue depuis longtemps, annoncée par des « prophètes de malheur », démentie par les thuriféraires d’Edf et de Polytechnique, vilipendée par les perroquets de la politique, suggérée par quelques écologistes has been, présente dans l’inconscient collectif depuis Fukushima et Tchernobyl, la fin est, là, devant eux, « d’inévitable » le monstre emballé, tel un attelage en furie, devient « tétanisant ». Le mox des réacteurs, corium en fusion descend dans les entrailles de la plaine. La radioactivité se répand sous le vent et sous la rive du fleuve… Jusqu’où ?
Les deux réacteurs est ne sont plus refroidis, ils ont échappé à tout contrôle.
Dans la foulée de cette catastrophe annoncée, d’une apparence presque « naturelle », sous son ciel délavé où les nuages de pluie commencent à se déchirer, le flot d’images et de reportages audio décrivent maintenant les inondations multiples qui s’enchainent depuis le bassin d’Arcachon jusqu’à l’embouchure de la Loire. Toute la côte ouest a morflé.
Reproduisant les conséquences néfastes d’une urbanisation foutoir sur le front de mer, continuée après une récente catastrophe à La Faute Sur Mer, en 2010, on ne compte plus les « nouveaux » quartiers inondés, les routes de bord de mer coupées par la conjugaison de la grande marée et de la tempête.
La façade atlantique est figée, incrédule, blessée à cœur. La population hébétée, tétanisée, voit des errances de désespoir surgir aux quatre coins des bourgades désarticulées.
Dès le 1er octobre, il était temps de se retrousser les manches et de se taire.
Au boulot !
Comme toujours la réaction du peuple commençait à s’organiser. Convois de bénévoles vers les points névralgiques de la destruction générale. Les hôpitaux saturés embauchaient à tour de bras, les services de voirie, la SNCF constituait des brigades de nettoyage des routes, des voies. Les radios appelaient au rassemblement des énergies.
Pendant ce temps, la bourse s’était absentée. Les grosses fortunes s’étaient évanouies dans les mers du sud, on n’entendait plus du tout les pontes d’EDF ou du nucléaire. La place était à la sauvegarde générale. Comme à Tchernobyl, le béton allait couler. Les techniciens allaient colmater, les polytechniciens allaient expliquer…et les politiques, récupérer.
Le triangle délimitant la zone contaminée, depuis la pointe sud ou gisait la centrale de Blaye, les côtés remontaient jusqu’à Nantes, à l’ouest, et jusqu’à Nevers au nord-est était sous contrôle de l’armée. Les populations furent munies, jusqu’à épuisement des stocks, de pastilles d’iode. Les enfants évacués, dès que possible, dans les familles ou bien accueillis dans les villes hors périmètre. Seuls restaient les habitants irréductibles, souvent les plus vieux, pour éviter le pillage qui se répandait comme un cancer supplémentaire, dans les villes et villages à l’abandon.
La France venait de se doter d’un « phare ouest » linguistiquement sur mesure où le « chacun pour soi » allait peu à peu s’ériger en ultime manifestation de survie pour ceux qui décidaient de rester !
Noël 2019, tristesse d’une fin du monde, de la fin d’un monde.
Le nombre des victimes du 30 septembre reste inconnu. Sur les 59 centrales encore debout, une quinzaine sont en arrêt… définitif ? Le confinement du cratère radioactif de Blaye est en cours. Les bétonneurs sont à la fête. Les enfants et ados ont repris le chemin de l’école, des lycées, des facs, dans le désordre général de l’improvisation et de la bonne volonté des enseignants.
Les activités du pays sont au ralenti. L’électricité est coupée chaque jour, de 22 h à 4 h, sauf pour les hôpitaux. Chacun transforme son mode de vie, on revient au bois, les panneaux solaires sont en rupture de stock, même en plein hiver ! Les citoyens se vêtent au plus chaud, se couchent tôt. Le contrecoup festif n’a pas eu lieu. Un tiers du pays est quasiment no man’s land, comme une enclave qui le traverse du sud-ouest au nord-est, un triangle depuis Blaye jusqu’à Nantes et Nevers et même au-delà.
La gestion de l’enclave a été dévolue à l’armée. Les populations d’animaux domestiques ont été évacuées. On dit que des loups vont revenir en Auvergne avec des ours, comme à Tchernobyl.
Le pays est groggy, un peu comme après les « Lips » ou pendant le « Larzac ». La montée des contestations est perceptible même dans les ateliers et les bureaux, sans parler des lycées et des facs. C’est « Plogoff », en VRAI.
Il n’y a plus d’injonctions ni de dogmes dans la bouche des médiateurs ou des élus locaux. Les citoyens de ce pays se regardent dans les yeux. Les pro-nucléaires baissent le regard en premier. La marine nationale a mis le pavillon en berne. Les sous-marins nucléaires font faux mac, au fond de leurs bases.
Il y a comme un souffle de désespoir bientôt dissimulé par la routine du quotidien, il faut survivre.. En attendant le retour des banquiers, des « banksters »
Les assurances se défilent devant la destruction d’un territoire immense qui se vide. Les comptables se battent comme des chiffonniers pour séparer les dommages de la tempête et ceux de l’évacuation due au nucléaire en java… Les nettoyeurs sont noyés dans l’indifférence de la population qui ne pense qu’à oublier, survivre…
Çà et là, peu à peu, malgré l’hiver, les expulsés du nucléaire retrouvent accueil et secours auprès de connaissances, de famille plus ou moins proche, au gré du hasard et des réseaux.
Le printemps 2020 s’annonce avec un grosse gueule de bois. Cette fois ci, EDF va devoir se convertir au « sans nucléaire »… Il aura fallu presque cent ans pour que la certitude fallacieuse des grosses têtes bien pleines soient démenties par l’inévitable…
Devant la cheminée, toute la petite famille bretonne se souvient des manifs de Plogoff, racontées cent mille fois par Papy… Il ne commente pas les événements. Son silence en dit lourd sur ses pensées. Liza, 21 ans, vient le prendre dans ses petits bras et le serre très fort contre elle. « Papy, joyeux Noël ».
Et d’un air mystérieux, paupière plissées, un peu inquiète :
« Papy raconte-moi… encore… Torey Canyon, Olympique Bravery, Erica, Gino, Tanio, Boehlen, Amoco, Plogoff… »
Elle laisse sa tête reposer sur l’épaule dans les cheveux blancs…
Par jobmoro, lundi 31 décembre 2018
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/vous-avez-dit-violence-211201
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