Les retards pris dans des opérations de maintenance pourraient avoir un impact sur l’approvisionnement électrique au cours de l’hiver.
Peut-on garantir la sûreté des installations nucléaires par des contrôles effectués à distance ? Dans quelles conditions les salariés et les prestataires du secteur travaillent-ils ? Et quels sont les enjeux propres au déconfinement ? C’est à ces questions que le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a répondu lors d’auditions devant des commissions du Sénat puis de l’Assemblée nationale, mardi 28 et mercredi 29 avril.
Depuis le début du confinement, seules les centrales nucléaires d’EDF – qui fournissent en temps normal plus de 70 % de la demande d’électricité du pays – et les activités nécessaires au fonctionnement des réacteurs se poursuivent. De nombreuses installations dont le fonctionnement n’est pas indispensable à la continuité de l’activité ainsi que les opérations de démantèlement ont été mises à l’arrêt. « Les enjeux de sûreté sont concentrés sur un nombre réduit
Pour garantir le niveau de sûreté de ces installations, le gendarme du nucléaire ne s’est appuyé que sur des inspections à distance : les contrôles sur site ont été suspendus le 17 mars – sauf nécessité particulière – et le recours au télétravail généralisé. Dans un courrier adressé lundi au président de l’ASN, le réseau Sortir du nucléaire s’inquiète des conséquences de ce choix. « Cette situation entraîne un risque accru de non-qualités de maintenance et de fraudes, écrit cette fédération regroupant 900 associations. N’est-ce pas justement en situation de fonctionnement dégradé que des inspections in situ doivent être maintenues ? »
Des équipes « fatiguées et stressées »
Selon Bernard Doroszczuk, 35 inspections à distance et une inspection sur site ont été réalisées au cours des quatre dernières semaines, contre 40 inspections par mois en temps normal. « Les inspections à distance conviennent pour la très grande majorité des contrôles opérés par l’ASN, a-t-il affirmé. Il n’y a pas eu de baisse de notre niveau d’exigence. »
« Lorsqu’on fait des inspections sur site, on passe une partie du temps dans une salle à examiner des documents, a aussi précisé Olivier Gupta, le directeur général de l’institution. On peut très bien le faire à distance. Les inspecteurs se sont même aperçus que comme on leur transmettait ces documents en amont, ils avaient encore plus de temps pour les éplucher. » Un outil de visualisation en temps réel des données d’exploitation des installations, permettant un suivi précis du fonctionnement des réacteurs, a également été mis en service.
L’ASN a toutefois annoncé que les inspections sur site allaient reprendre, en complément des contrôles à distance, pour superviser la réalisation de certains gestes techniques, mais aussi veiller aux conditions de travail directement liées au risque de contamination par le coronavirus. La période de déconfinement, avec le redémarrage de certaines installations et activités, est particulièrement à risque. « Il est difficile de respecter tous les gestes barrières, notamment quand on est préoccupé par la réalisation de gestes techniques. Il faudra que la reprise soit très lente », recommande l’ASN, qui appelle les exploitants à une « surveillance renforcée ». Cette reprise va intervenir « dans un contexte de surcharge d’activité, avec des équipes fatiguées et stressées », a insisté Bernard Doroszczuk.
Fin mars, l’association Ma zone contrôlée et des syndicats avaient notamment relayé les inquiétudes de personnels concernant le manque de moyens de protection, des portiques de détection insuffisamment désinfectés ou encore des situations empêchant la mise en œuvre des mesures de distanciation sociale. Des salariés ont fait valoir leur droit de retrait sur certains sites. L’ASN, qui est aussi inspecteur du travail sur les installations nucléaires, a d’ailleurs alerté EDF le 26 mars sur la situation de salariés d’entreprises prestataires. « EDF a manqué de masques et a dû les attribuer en priorité aux salariés les plus exposés, a confirmé Bernard Doroszczuk. Depuis lundi, tous les personnels intervenant sur les sites nucléaires sont équipés de masques chirurgicaux. »
Un risque pour l’approvisionnement électrique
La pandémie a par ailleurs mis en lumière les risques liés à la capacité du pays en termes d’entreposage des combustibles usés. Le site de retraitement des déchets de La Hague a connu un arrêt temporaire en raison de discussions sur les conditions de travail. Un arrêt prolongé aurait pu se révéler problématique. « Il y a urgence à mettre en place des capacités supplémentaires d’entreposage des combustibles usés pour les besoins naturels, mais aussi pour faire face au risque d’aléas », a alerté Bernard Doroszczuk.
Au-delà des enjeux de sûreté, la crise pose un défi particulier en termes de continuité des approvisionnements électriques. En raison du ralentissement des activités, les arrêts de réacteurs pour des travaux de maintenance et des rechargements en combustible sont beaucoup plus longs que prévu. Ces opérations sont habituellement effectuées au printemps et à l’été pour permettre un redémarrage en automne et en hiver, lorsque la demande en électricité est la plus forte. Par effet domino, ces retards auront un impact jusqu’au printemps 2021, voire jusqu’en 2022.
« Cela peut poser un problème d’équilibre entre l’offre et la demande » au cours des deux prochains hivers, a reconnu le président de l’ASN. Pour faire face à cette situation, EDF et l’ASN réfléchissent à reporter de quelques mois certains arrêts ou encore à en « sauter » d’autres, prévus pour un simple rechargement partiel du combustible. Dans un communiqué publié mardi, la ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, insiste sur « l’importance d’une bonne coordination des arrêts de réacteurs nucléaires dans les semaines et les mois à venir », afin de maximiser la disponibilité du parc de production pendant l’hiver.
« Le plus important est qu’EDF maintienne des marges, a rappelé Bernard Doroszczuk. Si EDF prévoit une capacité de production trop juste au moment des pics d’hiver, on peut avoir un problème en cas de défaillance fortuite sur un ou plusieurs réacteurs qui nous conduirait à demander l’arrêt de ces installations. Nous aurions alors un véritable conflit entre sécurité de l’alimentation électrique et enjeux de sûreté. »
Par Perrine Mouterde, publié le 30 avril 2020 à 10h08, mis à jour à 15h45
Photo en titre : La centrale nucléaire de Fessenheim, le 13 février. Vincent Kessler / REUTERS
https://www.lemonde.fr/energies/article/2020/04/30/coronavirus-l-autorite-de-surete-nucleaire-appelle-a-une-vigilance-particuliere-lors-du-redemarrage-des-activites_6038236_1653054.html
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