NUCLÉAIRE: LE CLIENT FINLANDAIS D’AREVA « TRÈS INQUIET POUR LE FUTUR »

finlandeEntre la France et la Finlande, le courant ne passe plus. Le producteur d’électricité finlandais TVO, futur exploitant du réacteur EPR que construit Areva à Olkiluoto, est « en colère » contre EDF et sa gestion du dossier depuis la restructuration de la filière nucléaire française.

 Interview.
C’est un projet pharaonique qui aura fait couler beaucoup d’encre. Le réacteur EPR que construit Areva en Finlande, le premier à voir le jour, suscite toujours de vives tensions entre les parties prenantes. Alors que la France s’est lancée dans une vaste restructuration de la filière nucléaire, avec la reprise de la branche construction d’Areva par EDF, la vice-présidente de TVO (le futur exploitant finlandais) Anna Lehtiranta, fait part à L’Express de son inquiétude « sur le futur de la maîtrise de cette technologie ». Visiblement, entre TVO et EDF, le courant ne passe toujours pas. 
Où en est-on des travaux sur l’EPR d’Okiluoto (dit OL3)? 
Quand on a commencé la construction, nous voulions la technologie la plus avancée. On a passé contrat avec le consortium Areva-Siemens, et, comme vous le savez, il y a eu beaucoup de retards. Il était censé être livré en 2009 et maintenant, la production opérationnelle est prévue fin 2018.  
Ça veut dire qu’il y aura un nouveau retard? 
Non, il y a une confusion. Nous sommes dans une phase de tests, mais nous n’avons plus de problèmes techniques à régler. Nous avons demandé la licence opérationnelle et on devrait l’avoir début 2018. Avec cette licence, on pourra commencer le chargement nucléaire. Cela signifiera le début de la production d’électricité. C’est à la fin de cette phase de test que l’on sera définitivement opérationnel.
En fait, nous n’avons pas changé grand-chose depuis le nouveau plan qui a été dressé par notre fournisseur en 2014. Le timing est respecté. C’est un peu comme une maison. Vous achetez sur plan et on construit pour vous. Là c’est la même chose.
Et vous l’aimez cette nouvelle « maison »? 

On l’aime beaucoup, mais on n’aime pas la manière dont ça s’est déroulé. Les délais nous ont coûté beaucoup d’argent [coût initial 3,2 milliards d’euros, coût final 8,5 milliards selon Areva], nous ont causé des pertes importantes et nous ne sommes pas contents. Mais on est convaincu que l’EPR est une bonne technologie. 
Que reprochez-vous concrètement à Areva <http://lexpansion.lexpress.fr/areva-accuse-4-8-milliards-de-pertes-un-record_1657656.html> ? Pourquoi avez-vous lancé des actions en justice? 
Il y a une procédure devant la Chambre de commerce internationale [un tribunal arbitral] pour des dédommagements [Areva-Siemens réclame 3,5 milliards à TVO, TVO demande 2,6 milliards d’euros à Areva], et une autre à Nanterre pour obtenir des informations. Elles sont toujours en cours. Nous attendons des décisions, ce dossier est très long. En fait le retard du projet a causé des pertes aux deux parties. Mais c’est plutôt surprenant de voir le fournisseur réclamer de l’argent à son client. 
Comment avez-vous réagi en voyant la séparation d’Areva et la restructuration  en cours avec EDF? 
Nous sommes très tristes de cette situation, surtout que l’on est tout prêt de finaliser le projet, après tant d’années difficiles. Nous sommes inquiets pour l’avenir.
Pourquoi? 

Nous sommes juste des exploitants, pas des fabricants. Nous allons faire tourner cette centrale pour soixante ans et nous avons besoin de soutien technique disponible, d’expertise, pour être sûrs que l’on peut maintenir en état cette centrale. C’est tragique que cela arrive maintenant et nous sommes très préoccupés sur les ressources que l’on pourrait nous allouer. On se demande qui va s’occuper de TVO? Quelles compétences seront disponibles? Et plus globalement comment vont-ils terminer ce projet?  
Vous échangez avec EDF sur ces sujets? 
En fait, la seule chose que l’on apprend d’EDF, c’est ce que l’on lit dans la presse. Nous avons les grandes lignes, mais on veut des détails. On demande des informations qui sont vitales et que nous n’avons toujours pas reçues.
Vous êtes inquiets?  

Nous sommes très inquiets sur le futur de la maîtrise de cette technologie. EDF va devoir faire face à plusieurs projets en même temps, Flamanville, Hinkley Point … Si quelques chose tourne mal quand on sera opérationnel, ou si on a besoin de réajuster un élément sur le réacteur, nous devons avoir en face de nous une entreprise avec de l’expertise disponible. On comprend très bien qu’Areva a besoin de se restructurer  on soutient la recapitalisation, mais on attend aussi d’être traité correctement.
EDF vous donne le sentiment de se désengager d’Olkiluoto? 

Comment peut-on être sûr que l’on aura le soutien de cette nouvelle structure? EDF devrait voir dans OL3 une opportunité de montrer au monde le potentiel de cette centrale, que l’EPR est une technologie compétitive. C’est le premier réacteur EPR européen qui sera en activité, ça devrait être une référence pour EDF. Le déroulement du projet n’était pas une grande réussite, mais la centrale en est une. Nous en sommes très fiers. Je sais qu’EDF préférerait utiliser Flamanville comme vitrine, mais OL3 avance bien. C’est une référence pour la filière nucléaire française. On aimerait bien voir la France être aussi fière que nous de ce que l’on fait à Olkiluoto.   
Et ce n’est pas le cas selon vous? 
Ils ont parlé d’un projet « toxique » auquel ils ne voulaient plus toucher. En fait nous sommes un peu en colère contre ça. Quand on lit les déclarations des uns et des autres, ça nous fait mal. 

http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/nucleaire-le-client-finlandais-d-areva-et-d-edf-tres-inquiet-pour-le-futur_1861195.html