À TCHERNOBYL, « IL FAUT AGIR AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD »

TchernobylTrente et un ans après la catastrophe nucléaire, rien n’est prévu pour démanteler le réacteur ukrainien sinistré.

Le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl explosait, provoquant la plus grave catastrophe de l’histoire de l’atome civil. Trente et un an après, le risque nucléaire en Ukraine reste « très préoccupant », estime Michel Chouha, spécialiste de l’Europe de l’Est à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l’établissement public français chargé de la recherche et de l’expertise dans ce domaine.
La pose, fin 2016, d’une arche géante sur le réacteur accidenté, destinée à assurer son confinement pendant cent ans, a été largement médiatisée. La situation est-elle désormais sécurisée ?
La nouvelle arche de confinement constitue une avancée très significative dans la sécurisation du vieux sarcophage [construit dans l’urgence après l’accident et très dégradé depuis] et, de manière plus générale, du site de Tchernobyl. Mais il ne faut pas en exagérer la portée. Sa construction visait trois objectifs : protéger le vieux sarcophage des agressions climatiques pour qu’il ne se dégrade pas davantage ; éviter la dispersion des matières radioactives qu’il renferme dans l’environnement ; permettre son démantèlement et l’enlèvement de toutes les matières radioactives dans des conditions optimales.
Le dernier objectif est de loin le plus important. Car le but ultime est la transformation du site de Tchernobyl, à terme, en un site « écologique » sûr. Or, sans le démantèlement du vieux sarcophage et l’enlèvement de toutes les matières radioactives qu’il renferme encore, ce résultat ne pourra jamais être atteint et l’arche n’aura pas rempli sa mission. Elle représente une étape, certes majeure, mais le plus important reste à réaliser et doit commencer le plus tôt possible. L’arche est conçue pour durer cent ans, mais cela ne veut nullement dire que l’on peut attendre cent ans. L’état de l’ancien sarcophage ne permet pas d’attendre. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard.
Le réacteur accidenté contient toujours une énorme quantité de matériaux radioactifs. Existe-t-il un plan pour le démanteler ?

Au moment de l’accident, le cœur du réacteur contenait environ 200 tonnes de combustible nucléaire – uranium et plutonium –, dont près de 90 % sont encore ensevelis sous le vieux sarcophage, avec les ruines du bâtiment du réacteur (principalement des structures métalliques et du béton). Il faut y ajouter les 5 000 tonnes de matériaux divers (métaux, sable, argile, bore, etc.) qui ont été déversés sur l’installation dans les jours qui ont suivi l’accident, pour éteindre le feu et enterrer le cœur très radioactif du réacteur détruit.
A ce jour, les programmes de démantèlement du vieux sarcophage et de retrait des matières radioactives ne sont pas encore établis. Les technologies qu’il faudra mettre en œuvre pour assurer ces opérations, qui devront se réaliser en grande partie de manière robotisée, ne sont pas non plus au point. Les politiques et les programmes à suivre devront d’abord être définis par les autorités ukrainiennes locales et nationales. Il faudra ensuite développer les outils et les méthodes appropriés, pour enfin procéder au démantèlement et à l’enlèvement de toutes les matières radioactives. Tout cela nécessitera au moins plusieurs décennies. Aujourd’hui, il n’existe même pas de stratégie arrêtée.
L’Ukraine a-t-elle les moyens scientifiques, techniques et financiers de mener à bien un tel chantier ?
L’Ukraine est un pays de tradition scientifique et technique. Mais ses moyens sont sans commune mesure avec les défis de ce démantèlement. Les opérations à mener, de haute technicité, n’ont encore jamais été réalisées à pareille échelle. Pour ce chantier exceptionnel, l’Ukraine aura besoin d’un concours international. La tâche sera plus difficile et plus longue que la construction de l’arche, et une coopération sera nécessaire avec des pays avancés dans le domaine des hautes technologies.
Les coûts seront eux aussi très lourds. Il est très probable que l’Ukraine se retrouve dans l’incapacité de faire face seule à cet immense défi. Elle fera alors très vraisemblablement de nouveau appel à la communauté internationale pour un effort commun, comme cela a été le cas pour l’arche dont le coût, de près de 1,5 milliard d’euros, a été financé par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, avec le concours d’une quarantaine de pays, principalement européens.
L’Ukraine reste un pays très nucléarisé avec, outre la centrale de Tchernobyl dont le dernier réacteur a été arrêté en 2000, quatre autres complexes atomiques de conception ancienne. La sûreté de cette filière est-elle assurée ?
Avec un parc de 15 réacteurs en exploitation, la part d’électricité d’origine nucléaire atteint environ 50 % en Ukraine, ce qui en fait l’un des cinq premiers pays au monde selon ce critère. Elle possède en outre des réacteurs de recherche, des installations d’entreposage de combustible nucléaire usé, ainsi que des installations de traitement et d’entreposage de déchets radioactifs, avec des volumes accumulés très importants. Tout cela constitue une source de risque qui exige une veille constante, pour maintenir une sûreté sans faille en toute circonstance.
Les instabilités politiques ou sociales sont, de façon générale, des facteurs défavorables. Les conditions économiques dégradées le sont tout autant. Or, depuis trois ans, l’Ukraine est en conflit ouvert avec son grand voisin, la Russie. Ce conflit, très dommageable au plan global, revêt un caractère particulièrement critique pour ce qui concerne le secteur nucléaire. Les 15 réacteurs de l’Ukraine sont tous de conception russe. Le conflit pourrait isoler l’exploitant ukrainien de son fournisseur. Des pièces détachées pourraient manquer. La maintenance des réacteurs risque d’en pâtir. Sans compter le problème de la fourniture de combustible, que l’Ukraine tente de résoudre en recourant à des fournisseurs étrangers, avec les risques qui en découlent.
Tous ces éléments réunis rendent la situation très préoccupante. D’autant que l’exploitant a décidé de prolonger d’une vingtaine d’années la durée de fonctionnement de ces réacteurs. L’Ukraine est vraisemblablement le pays qui présente aujourd’hui le niveau de risque nucléaire le plus élevé en Europe.

Article de  Pierre Le Hir

http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/04/25/a-tchernobyl-il-faut-agir-avant-qu-il-ne-soit-trop-tard_5117038_3244.html