Mort en novembre 2014, Alexandre Grothendieck (1928 – 2014) était considéré, par nombre de ses pairs, comme le plus grand mathématicien du XXème siècle. Médaille Fields 1966, il était le co-fondateur du mouvement de scientifiques critiques « Survivre et Vivre » qui édita la première revue d’écologie politique française éponyme (août 1970-juin 1975). Nous publions un texte de réflexion qui interpelle fondamentalement chacun-e de nous sur la raison d’être, l’essence et la finalité de la science et de la recherche scientifique. Et celles de nos choix, de nos pensées et de nos comportements.
Extraits de l’article :
Au début, nous pensions qu’avec des connaissances scientifiques, en les mettant à la disposition de suffisamment de monde, on arriverait à mieux appréhender une solution des problèmes qui se posent. Nous sommes revenus de cette illusion. Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques, mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation…
… Le basculement pour Grothendieck provient de la guerre du Viêt Nam. La science y tue par centaines de milliers. Face à la compromission de la quasi-totalité des disciplines scientifiques − physique, chimie, microélectronique, anthropologie, etc. −, qui trouvent au Viêt Nam un champ d’expérimentation grandeur nature, il entreprend de moraliser les chercheurs.
Puis, l’été 1970, il découvre les mouvements de scientifiques nord-américains en lutte contre le complexe scientifico-militaro-industriel. Sur un modèle proche, il fonde le mouvement Survivre qui se donne comme objectifs de dégager la recherche de ses liens avec l’armée et de lutter pour la survie de l’espèce humaine, menacée par la puissance de destruction des technosciences. (5)
À Survivre, où il est rejoint par d’autres mathématiciens aux sensibilités plus libertaires, il prend conscience du rôle oppressif qu’il a tenu jusque-là en tant que grand savant. Intégrant la critique soixante-huitarde, il analyse la recherche comme une activité répressive, tant pour les techniciens et les « scientifiques moyens » que pour les profanes.
Pour Survivre, la prétention de la science à l’universalité, son monopole sur la vérité, dépossèdent en effet tout un chacun de formes de connaissances autres, détruisant les cultures non technico-industrielles et nous soumettant à l’autorité hétéronome d’experts de tous poils. Le mouvement s’attache alors à désacraliser la science, et tout particulièrement à déconstruire le mythe de la science pure, qui masque son rôle crucial dans la poursuite d’un développement industriel désastreux.
« Lutter pour la survie de l’espèce humaine, menacée par la puissance de destruction des technosciences.«
Survivre, devenu « Survivre et Vivre« , participe de l’émergence en France d’une critique radicale de la science, menée par les scientifiques eux-mêmes (6), au sein de laquelle il se signale par ses accents écologistes, libertaires et technocritiques (7). Sa critique du scientisme s’ancre en effet dans celle de la société industrielle et l’amène à se lier aux mouvements écologistes naissants. Au petit groupe de scientifiques parisiens s’adjoignent alors des groupes de province engagés dans des luttes et alternatives locales, tandis que les numéros de sa revue, Survivre… et Vivre, tirés à plus de 10 000 exemplaires, s’épuisent rapidement.
Aux côtés de son ami Pierre Fournier, Grothendieck s’investit tout particulièrement dans la lutte antinucléaire. Son invitation au CERN témoigne alors de l’écho rencontré durant les années 1970 par ses critiques radicales de la recherche dans les milieux scientifiques, traversés par le doute et un profond malaise quant à leur rôle social.
Céline Pessis
Coordinatrice éditoriale de l’ouvrage collectif « Survivre et Vivre ». Critique de la science, naissance de l’écologie (L’Échappée, février 2014)…
Pour lire la totalité de l’article et des notes :
http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2017/07/06/R%C3%A9flexions-%3A-Allons-nous-continuer-la-recherche-scientifique-Un-texte-d-Alexandre-Grothendieck-%281928-2014%29
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