« LA POSTURE NUCLÉAIRE AMÉRICAINE CRÉE DES POSSIBILITÉS D’ESCALADE »

Un entretien de François d’Alançon avec Benoît Pelopidas, professeur associé à Sciences-Po

François d’Alançon: L’évolution de la posture nucléaire américaine augmente-t-elle le risque de prolifération et de conflit nucléaire ?

Benoît Pelopidas : La posture ne dit pas la réalité de l’arsenal nucléaire américain tel qu’il est aujourd’hui ou tel qu’il sera à la fin de ce mandat présidentiel. Ceci dit, en termes de conditions d’emploi, ladite posture affiche un abaissement du seuil nucléaire. Si par conflit nucléaire, on entend emploi d’armes nucléaires initié par les États-Unis, ce document annonce que cette possibilité est aujourd’hui plus grande.

D’aucuns avanceront que ces gesticulations sont au service d’un effet dissuasif et ne changent pas grand-chose. Mais en annonçant que l’on va dissuader d’éventuels adversaires d’utiliser en premier, même de façon limitée, l’arme nucléaire en augmentant soi-même les options nucléaires, on crée des possibilités d’escalade en cas de crise ou de guerre.

L’affichage de l’administration Trump donne des arguments à ceux qui veulent défendre des investissements pour une augmentation quantitative et qualitative de l’arsenal nucléaire dans leur propre pays.

Cependant, le désir de prolifération, comprise comme la possibilité pour de nouveaux pays de se doter d’armes nucléaires, ne va pas renaître soudain à la suite de l’affirmation américaine. 

D’une part, la modernisation massive de l’arsenal nucléaire américain ainsi réaffirmée avait été amorcée sous l’administration précédente. D’autre part, le souhait de développer des systèmes d’armes nucléaires n’est pas universel. La plupart des États n’ont jamais tenté de se doter de ce type de systèmes d’armes et un grand nombre a préféré y renoncer, pas seulement par incapacité, comme la Suède et l’Afrique du Sud.

On compte très peu d’États proliférant après la guerre froide et l’accord sur le nucléaire iranien résout la question de l’Iran au moins pendant le temps de son application.

F.A.: L’Allemagne appelle l’Europe à lancer de nouvelles initiatives pour le désarmement. La France et le Royaume-Uni sont restés très discrets. Comment analysez-vous ce décalage ?

Le document de la coalition gouvernementale à Berlin ne marque pas de changement majeur d’orientation politique de l’Allemagne : elle a traditionnellement soutenu la maîtrise des armements et des zones exemptes d’armes nucléaires avec pour objectif de long terme un monde sans armes nucléaires. Dans le même temps, l’Allemagne maintient qu’une négociation avec la Russie est un préalable à tout changement relatif à la présence des armes nucléaires tactiques de l’Otan sur son sol.

En France, il semble que les partisans d’investissements substantiels dans l’arsenal nucléaire ne souhaitent pas ouvrir la discussion sur le sujet. Les rares voix qui s’expriment présenteront plutôt les dépenses engagées par les autres États nucléaires dans leurs arsenaux comme un argument en faveur des dépenses de modernisation. C’est un moyen d’escamoter une réflexion stratégique large sur la question et de présenter comme une évidence dictée par des circonstances extérieures, un choix qui engage la communauté politique sur des décennies.

F.A.: Les accords de désarmement entre les États-Unis et la Russie sont-ils menacés?

Les deux accords principaux de maîtrise des armements entre les États-Unis et la Fédération de Russie sont le traité New Start, entré en vigueur en février 2011, et le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (INF) entré en vigueur en juin 1988. Le premier expire en février 2021 et il est très improbable que les deux États parviennent à un accord d’ici là.

Le second traité (INF) est menacé dans la mesure où la Russie l’a violé en déployant un missile de croisière prohibé, selon les accusations américaines émises depuis 2014. De son côté, le Congrès américain a approuvé le développement par les États-Unis d’un missile de croisière qui, lui aussi, violerait l’accord. Ce texte, qui marquait un progrès inédit au moment de sa signature avec la suppression d’une classe entière de systèmes d’armes nucléaires, semble à l’agonie.

Propos recueilli par François d’Alançon ,

https://www.la-croix.com/Monde/posture-nucleaire-americaine-cree-possibilites-descalade-2018-02-16-1200914231