AU JAPON, DES PARTICULIERS SURVEILLENT LA RADIOACTIVITÉ

Sous les élégantes courbes du toit du temple bouddhiste Seirinji de la région de Fukushima se niche un ornement inhabituel: un compteur Geiger, qui mesure les radiations en temps réel.  

Le petit appareil envoie ses données à Safecast, une ONG née après la catastrophe nucléaire de mars 2011, et qui affirme avoir constitué, grâce à son réseau de bénévoles, le plus grand ensemble de données du monde dans ce domaine.

Comme bien des Japonais, le prêtre de Seirinji, Sadamaru Okano, a perdu confiance dans l’État après la catastrophe, survenue il y a exactement sept ans. «Le gouvernement ne nous a pas dit la vérité, il ne nous a pas donné les vraies mesures de la radioactivité», raconte-t-il à l’AFP assis dans son temple vieux de 150 ans.

Il était bien placé pour douter de la parole officielle, ayant accumulé en amateur des connaissances dans le domaine nucléaire après l’explosion de la centrale de Tchernobyl en URSS en avril 1986.

Dès 2007, au grand étonnement de sa famille et de ses amis, il se met à mesurer la radioactivité autour de lui. Lorsque le désastre frappe sa région, il dispose donc déjà de données de référence.

«Les niveaux étaient vertigineux (…) 50 fois la radioactivité naturelle», se souvient cet homme de 51 ans. «Je n’en revenais pas (…). Aux informations on nous disait que tout était normal, l’administration nous disait qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter».

Safecast est née de cette indigence d’informations fiables, explique son cofondateur Pieter Franken, qui se trouvait à Tokyo avec sa famille lorsqu’a frappé le tsunami qui a dévasté la centrale de Fukushima.

Franken et plusieurs de ses amis ont eu l’idée de collecter des données en attachant des compteurs Geiger fabriqués par Safecast sur des voitures. Ils ont rapidement constaté que la zone d’exclusion de 20 km déclarée par le gouvernement n’était pas fondée sur les taux de radioactivité, explique-t-il.

Des choix informés

Il affirme que dans certains cas «des évacués ont été transférés de régions moins contaminées vers des zones où la radioactivité était plus élevée».

La zone d’exclusion a finalement été redessinée mais le gouvernement a perdu la confiance de nombre d’habitants.

Sadamaru Okano a évacué sa mère, son épouse et son fils et est resté avec ses ouailles. Mais au bout d’un an, se fondant sur ses propres données, il a décidé de faire revenir sa famille.

Il a appris l’existence de Safecast et, en 2013, a installé un compteur sur le temple, situé à quelque 70 km de la centrale, en partie pour rassurer les pratiquants. «Je leur ai expliqué que nous mesurions la radioactivité au quotidien et que s’ils se rendaient sur le site internet (de Safecast) ils pouvaient décider si un lieu est sûr ou non».   

À une quarantaine de kilomètres, dans la ville de Koriyama, Norio Watanabe aide patiemment sa classe d’adolescentes vêtues de blazers et de jupes écossaises à assembler câbles et diodes pour construire des versions rudimentaires de compteurs. M. Watanabe est un bénévole de Safecast de la première heure et a un compteur Geiger dans sa voiture.

Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, les évacués affluaient à Koriyama, qui se trouvait en dehors de la zone d’exclusion et il supposait donc que sa ville était sûre. «Mais après avoir commencé à effectuer des mesures, je me suis rendu compte qu’il y avait ici aussi un risque élevé», raconte-t-il.

Transparence et confiance

Il a alors fait partir ses enfants mais est resté pour s’occuper de sa mère, une décision qui, se dit-il maintenant, a pu contribuer à un cancer de la thyroïde diagnostiqué en 2015. «D’un point de vue scientifique, je dirais que les chances que cela soit dû à l’accident de Fukushima pourraient être de 50-50 mais dans mon cœur, il me semble que c’est probablement là la cause».

Sa glande thyroïde a été retirée et il est à présent en bonne santé mais il s’inquiète pour ses élèves qui, craint-il, «porteront ce risque toute leur vie». «Si personne ne continue comme moi à suivre les niveaux de radioactivité, cela tombera dans l’oubli».

Safecast détient à présent 3.000 appareils à travers le monde et des données provenant de 90 pays. Les bénévoles décident eux-mêmes l’endroit où ils les placent: leur maison, leur école, leur lieu de travail. Leurs mesures corroborent les relevés officiels pris sur des lieux différents mais sont plus en phase avec leur vie quotidienne.

Pour M. Franken, cette organisation a contribué à pousser le gouvernement japonais à prendre conscience que «la transparence est très importante pour engendrer la confiance».

«Le pouvoir de la science participative c’est qu’on ne peut pas l’arrêter et qu’on ne peut pas l’ignorer».

http://www.liberation.fr/planete/2018/03/11/au-japon-des-particuliers-surveillent-la-radioactivite_1635322