Selon le baromètre 2019 de l’IRSN réalisé avant l’incendie de l’usine Lubrizol, plus de la moitié des sondés considèrent les risques liés aux installations chimiques et nucléaires comme «élevés». Et ils ne font pas confiance aux autorités.
Quelle perception avons-nous des risques chimiques et nucléaires, entre toutes les menaces sécuritaires, sociales, économiques et environnementales qui planent potentiellement sur nos têtes ? Cela fait plus de trente ans que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) passe au crible les petites et grandes peurs des Français vis-à-vis de ces «situations de risques». Mais alors que l’inquiétude des habitants de l’agglomération rouennaise est à son comble quant aux retombées potentiellement toxiques de l’incendie de l’usine Lubrizol, les résultats du Baromètre IRSN 2019 rendus publics ce mercredi matin auront sans doute une résonance particulière.
Menée il y a près d’un an en face à face par l’institut de sondages CSA auprès d’un échantillon représentatif de 1 039 personnes, cette enquête d’opinion pointait déjà à l’époque une forte perception du risque lié aux installations chimiques : l’un des plus «élevés» pour 55 % des répondants, au même niveau que celui inhérent aux centrales nucléaires (54 %). L’inquiétude était encore plus forte vis-à-vis des déchets chimiques et radioactifs, qui présentent un risque élevé ou très élevé pour respectivement 60 % et 59 % des sondés. «Il y a fort à parier que dans la prochaine édition de notre baromètre, l’an prochain, le risque lié aux sites Seveso sera en forte progression dans les réponses qui nous seront faites. La perception est évidemment fortement liée à l’actualité», rappelle Ludivine Gilli, qui a coordonné cette enquête d’opinion au sein de la direction de la prospective de l’IRSN.
Un Tchernobyl possible pour 1 Français sur 2
De la même manière, en ce qui concerne le nucléaire, gros morceau de ce baromètre, Tchernobyl devrait encore prendre des points comme «l’événement catastrophique le plus effrayant» dans l’esprit des Français, devant Fukushima. La catastrophe de Tchernobyl (1986) avait été supplantée ces dernières années par celle de Fukushima (2011) car elle «était plus proche dans la mémoire des gens». Mais la diffusion de la série télé Chernobyl est passée par là.
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Et quid de la possibilité d’une catastrophe nucléaire en France ? L’IRSN, dont la mission est d’apporter une expertise technique pour prévenir le risque atomique auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), se félicite du fait que «la perception de la possibilité d’un accident en France a baissé de manière sensible [-17 points, ndlr] pour atteindre 49 %», contre 69 % en 2011. Mais les sondés sont assez nombreux à penser qu’un accident nucléaire pourrait se produire dans un futur proche : 8,8 % le voient survenir «au cours de l’année prochaine» et plus de 27 % dans les dix prochaines années.
Pour Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’IRSN, ce baromètre «nous aide à mieux comprendre et améliorer les actions à mener au sein de l’Institut pour prévenir et gérer les risques, mais aussi à apporter des outils de mesure fiables aux autorités sur l’état de l’opinion vis-à-vis de ces risques». Au vu de la communication de crise pour le moins chaotique qui a suivi le gigantesque panache noir provoqué par l’incendie du site Seveso de Rouen, les autorités en question, du préfet de région au sommet du gouvernement, ont semble-t-il bien besoin de reprendre la température de l’opinion.
La vérité est ailleurs
Cela tombe bien, l’institut de sondage a posé une question sur «la confiance» accordée aux autorités françaises «pour leurs actions de protection des personnes» dans différentes situations de risque. D’après ce baromètre IRSN réalisé bien avant l’incendie de Lubrizol, la défiance de la population est palpable : 35 % des personnes interrogées ne font pas confiance aux pouvoirs publics pour les protéger du risque lié aux installations chimiques, 32 % «plus ou moins», et 30 % seulement répondent par l’affirmative (3 % ne se prononcent pas). L’explosion de l’usine meurtrière de l’usine AZF en 2001 est encore dans toutes les mémoires. Même punition pour les centrales nucléaires : 37 % des sondés ne font pas confiance aux autorités pour les protéger d’un possible accident et 32 % «plus ou moins», contre 29 % répondant positivement.
Dans le même ordre d’idées, à l’heure des infox et du complotisme sur tous les réseaux, les Français sont nombreux à penser qu’on ne leur dit pas «la vérité» sur les dangers environnementaux et sanitaires : ils sont plus de 21 % à ne pas croire «du tout» ce qu’on leur dit du risque lié aux installations chimiques et 26,4 % à ne pas y croire «vraiment». Le camp de la confiance l’emporte d’une courte tête entre ceux qui estiment qu’on leur dit «tout à fait», «assez» ou «plus ou moins» la vérité. Mais ça, c’était avant les incendies de Notre-Dame et Lubrizol, et leurs retombées chargées en plomb, métaux lourds et autres substances réputées toxiques… Les résultats sont quasi similaires en ce qui concerne la vérité sur le risque nucléaire. Personne n’a oublié le nuage radioactif de Tchernobyl qui s’était prétendument arrêté à nos frontières.
Conclusion sans surprise de cette enquête de l’IRSN, personne n’a envie de côtoyer ce risque au quotidien. Seuls 9 % des sondés se disent prêts à vivre près d’une centrale nucléaire, alors qu’ils étaient 37 % à répondre par l’affirmative en 1982. Et la proportion de réponses positives tombe carrément à 4 % pour les installations chimiques et à 2 % pour les sites de stockage de déchets radioactifs.
Par Jean-Christophe Féraud, publié le 2octobre 2019
Photo en titre : vue de l’incendie, jeudi à Rouen.Photo Jocelyn Moras. AFP
https://www.liberation.fr/france/2019/10/02/les-francais-ont-pleinement-conscience-des-risques-chimiques-et-nucleaires_1754783
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