MOMENTS CHAUDS DE LA GUERRE FROIDE

Ces moments de tension extrême, où la Guerre froide a failli tourner à l’affrontement direct entre les deux puissances nucléaires.

Nous célébrons, ce mois-ci, le trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin

Le mur de la honte, érigé pour empêcher les Allemands de l’Est de fuir, dans la partie occidentale de la ville, l’oppression et la misère qu’’y faisait régner le régime communiste ! Ce fut le symbole de la coupure d’une nation, l’Allemagne et au-delà, de l’Europe elle-même, en deux alliances politiques et militaires sur le pied de guerre et prêtes à en découdre pendant plus de quarante ans. Ce n’était pas vraiment la fin officielle de la Guerre froide : il restait plus de cent mille soldats soviétiques en RDA. 

Mais tous ceux qui ont vécu ce moment historique sur place, en Europe centrale, comme c’est mon cas, se souviennent de l’extraordinaire euphorie ressentie. Certes, à la suite de la réunification de l’Allemagne, démocratiquement réclamée au cours d’élections enfin libres, l’unification avérée des peuples européens interviendrait plus tard, avec les élargissements de l’Union européenne de 2004 et 2007. Mais d’ores et déjà, l’Europe de l’Ouest avait compris qu’elle devait la fin de la Guerre froide au soulèvement de ses frères séparés d’Europe centrale. Une affaire infiniment dangereuse s’achevait à la satisfaction générale. 

Car, on l’oublie, mais le monde est passé, à plusieurs reprises tout près de l’enfer nucléaire

Oui. Ce fut le cas lors de la guerre de Corée en 1950-51 : le général MacArtur a réellement proposé d’utiliser des bombes atomiques ! Mais aussi, à la fin de 1962, lorsque les États-Unis découvrirent que les Soviétiques avaient installé des rampes de lancement destinées à recevoir des missiles dans l’île voisine de Cuba. On s’en souvient. Mais on a tendance à oublier combien dangereuse apparaissait la situation internationale au tournant des années 1970 et 1980.

Cela est fort bien documenté dans un livre qui vient de paraître, Histoire mondiale de la Guerre froide, due à un historien norvégien, Odd Arne Westad. Il rappelle que ce regain de Guerre froide a commencé vers la fin de la présidence de Jimmy Carter. Au Nicaragua, les sandinistes avaient pris le pouvoir et les Américains redoutaient leur influence au Salvador. L’intervention de soldats cubains, discrètement encadrés par des Soviétiques dans des conflits en cours – 30 000 en Angola, 15 000 en Ethiopie, l’intervention de l’Armée rouge elle-même en Afghanistan avaient convaincu ce président démocrate que « pèse des menaces extrêmement graves pour la paix », comme il le dit dans son dernier grand discours télévisé. 

L’explosion des dépenses militaires

Son Conseiller à la Sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, décrivit un « arc de crise », depuis la Corne de l’Afrique jusqu’au bord de l’océan Indien en passant par la mer Rouge. Cette inquiétude des Américains face à une Union soviétique qui semblait partout à l’offensive fut l’une des causes principales de la victoire électorale du Républicain Ronald Reagan. Les dépenses militaires avaient déjà considérablement augmenté lors de la dernière année du mandat de Jimmy Carter. Elles vont exploser sous Reagan. « Au début des années 1980, écrit Westad, la guerre froide prend une allure extrêmement périlleuse, probablement plus qu’elle ne l’a jamais été depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. » (p. 521)

Non seulement Reagan arme, au Nicaragua, les « contras » antisandinistes, mais il met un embargo sur une partie des exportations de gaz et de pétrole, par lesquels l’URSS finançait ses énormes emprunts en Occident. Il réplique à l’installation des missiles balistiques mobiles à trois têtes nucléaires SS-20 en décidant l’installation de missiles à moyenne portée Pershing II et de missiles de croisière en Europe de l’Ouest. Il lance le projet extravagant d’un bouclier anti-missiles à base de lasers, déployé dans l’espace.

C’est à Reagan et à Gorbatchev que l’on doit la fin de la guerre froide

En septembre 1983, alors que l’inamovible dirigeant suprême de l’URSS, Leonid Brejnev est mort l’année précédente, l’armée de l’air soviétique abat un avion de ligne sud-coréen égaré dans son espace aérien. A bord, soixante-et-un citoyens américains, dont un membre du Congrès. Reagan vient à la télévision dénoncer un « crime contre l’humanité ». Juste après, on frôle réellement la guerre lors des manœuvres de l’OTAN, dites Able Archer 83. Elles simulent l’escalade d’un conflit est/ouest jusqu’aux premières frappes nucléaires. Moscou place sa flotte aérienne en état d’alerte. On est à la merci d’une erreur d’interprétation tragique sur les intentions réelles de l’adversaire.

Et pourtant, si l’on suit bien Westad, c’est Ronald Reagan qui va entamer la désescalade. D’un tempérament optimiste, il est persuadé de la supériorité technologique des États-Unis. Il déteste l’armement nucléaire. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev devient le nouveau Secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique, en 1985, ces deux hommes vont s’entendre pour réduire à la fois les dépenses consacrées aux armements et le soutien aux mouvements visant à déstabiliser l’autre à l’étranger. C’est la dernière étape de la Guerre froide, celle qui mènera à la paix, à travers la dissolution du Pacte de Varsovie.

Le Tour du monde des idées par Brice Couturier, publié le 06/11/2019

https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-mercredi-06-novembre-2019