C’EST L’EFFONDREMENT DE L’INDUSTRIE NUCLÉAIRE QUI ENTRAINE LE REPLI DU MOUVEMENT ANTINUCLÉAIRE

Réponse à l’ « article » (ou plutôt au plubli-reportage pronucléaire) du Monde du 17 juillet (à lire sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/17/le-nucleaire-est-devenu-un-peril-parmi-tant-d-autres-la-lutte-contre-l-atome-ne-fait-plus-recette_6046444_3244.html )

C’est un bien étrange texte qui a été publié le 17 juillet par Le Monde, sous le titre « La lutte contre l’atome ne fait plus recette« . La thèse avancée est que le succès des mobilisations pour le climat a rendu inaudible le rejet de l’atome, les auteurs suggérant même que, même si sa situation n’est actuellement pas florissante, l’industrie nucléaire pourrait finalement profiter de ses émissions relativement modérées de CO2 pour trouver un nouveau souffle.

Passons sur l’idée méprisante selon laquelle la lutte antinucléaire aurait jusqu’alors « fait recette« , alors que c’est un engagement noble et désintéressé de millions de gens de par le monde depuis des décennies.

L’article s’ouvre sur une autre ineptie, laquelle consiste à faire passer Mme Pompili, nouvelle ministre de l’écologie, pour une antinucléaire radicale alors que tout son parcours, similaire à celui de son acolyte François de Rugy, a consisté à sentir tourner le vent : non pas pour faire fonctionner des éoliennes mais pour obtenir de lucratifs strapontins, passant allègrement d’EELV à la cour de M. Valls puis à celle de M. Macron. Totalement pronucléaire, ce dernier sait ne courir aucun risque avec la si « raisonnable » Mme Pompili…

Les auteurs citent ensuite des représentants de diverses associations ou mobilisations effectivement assez peu concernées par le nucléaire… ce qui leur permet d’accréditer à bon compte leur thèse, y compris en citant une « massive » mobilisation d’une… cinquantaine de militants pro-atomes. Et dire que les manifestations antinucléaires ont pendant des décennies été jugées insuffisantes car ne rassemblant « que » des dizaines de milliers de personnes !

La vraie raison de la baisse – réelle – des mobilisations antinucléaires est tout de même abordée dans l’article du Monde, mais évoquée de façon incidente voire conjoncturelle, alors qu’elle est… centrale : c’est tout simplement l’incroyable effondrement de l’industrie atomique, en France et ailleurs sur Terre.

Les deux géants mondiaux du nucléaire, Westinghouse (USA) et Areva (France), ont d’ores et déjà fait faillite, précédant seulement leurs pairs promis au même sort, à commencer par EDF qui est financièrement et industriellement dans une situation totalement désespérée.

Cette Bérézina en cours ne sera qu’à peine freinée par la possible construction en Chine de quelques dizaines de réacteurs : cela peut paraitre impressionnant vu d’ici mais ne constitue là-bas qu’une « niche« , totalement submergée par les investissements dans les énergies renouvelables.

Au début des années 2000, des dizaines, voire des centaines de réacteurs étaient annoncés aux USA où, finalement, seule une centrale est en construction, et avec des retards, malfaçons et surcoûts que ne renieraient pas Areva et EDF sur leurs chantiers respectifs et catastrophiques des réacteurs EPR de Finlande et de Flamanville (Manche).

Rappelons aussi le scandale inouï des milliers de pièces défectueuses produites par Areva dans les usines du Creusot, et dont des dizaines sont encore installées dans divers réacteurs en France et à l’étranger.

Nous entrons dans une période d’une vingtaine d’années au cours de laquelle les informations concernant le nucléaire seront presque exclusivement des annonces de fermetures de centrales : la plupart de celles encore en service sur Terre approchent de leur fin de vie et sont de toute façon définitivement non rentables, sapées à la fois par le coût exponentiel des rénovations et mises à jour post-Fukushima et, d’autre part, par l’effondrement du coût des renouvelables.

C’est dans un étrange parallèle avec l’industrie qu’il combat depuis des décennies que le mouvement antinucléaire est en effet aujourd’hui lui-même déclinant et vieillissant, mais aussi en partie décontenancé : ce n’est pas qu’il aurait failli ou manqué l’opportunité de « faire recette« , il est tout simplement confronté à la sidérante et irréversible déconfiture de son adversaire qui, tel le mur de Berlin avant 1989, semblait impossible à renverser mais s’est effondré comme un château de cartes.

L’engagement antinucléaire, parfaitement compatible et cohérent avec les luttes pour le climat, la biodiversité, la justice sociale, etc…, va néanmoins rester indispensable pendant des décennies pour tenter d’éviter les désastres promis par la fin de l’industrie atomique : outre de nouvelles catastrophes telles Tchernobyl et Fukushima, encore plus menaçantes du fait des centaines de réacteurs délabrés encore en service, il reste tant à faire à propos du démantèlement des installations atomiques et de l’impossible « gestion » des déchets radioactifs.

Qu’elles le veuillent ou non, les jeunes générations vont très vite être bien obligées, en sus des mobilisations déjà évoquées, de reprendre le flambeau antinucléaire. C’est bien là la seule victoire des adorateurs de l’atome…

Par Stéphane Lhomme, Directeur de l’Observatoire du nucléaire, texte reçu par mail le 6 août 2020 à 16h22 (site de l’Observatoire du nucléaire : http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?rubrique3)