Cette année, la France a mis en route ses centrales à charbon bien plus tôt que d’habitude. La raison : quatre réacteurs nucléaires sur dix sont à l’arrêt, du fait d’opérations de maintenance décalées à cause du Covid mais aussi de la sécheresse, qui rend impossible le refroidissement des installations.
C’est une décision lourde de conséquences, équivalent à l’émission en CO2 de plusieurs millions de véhicules. Ces dernières semaines, la France a décidé de rallumer ses centrales à charbon pour faire face à une diminution de la production électrique. Des panaches de fumée s’échappent à nouveau des hautes cheminées. Selon les données du Réseau de transport d’électricité (RTE), les centrales à charbon fournissent, en ce moment, 2 % du mix électrique national, soit plus de 800 mégawatts-heure.
Le recours au charbon est, cette année, extrêmement précoce alors même que les températures en septembre sont anormalement élevées et que les radiateurs ne sont toujours pas allumés. D’ordinaire, les centrales à charbon ne sont utilisées qu’au cœur de l’hiver pour affronter des pics de consommation. Le candidat Emmanuel Macron s’était d’ailleurs engagé lors de la campagne présidentielle à les fermer en 2022 avant de finalement revoir son calendrier. On sait déjà qu’au moins l’une des quatre dernières centrales, celle de Cordemais, en Loire-Atlantique, sera maintenue en activité jusqu’en 2024 voire 2026.
La situation actuelle est aggravée par la défaillance du parc nucléaire français ou, pour parler comme RTE, par « son manque de disponibilité ». Sur 56 réacteurs, 24 sont actuellement à l’arrêt, soit près de la moitié. Les causes dépassent largement la fermeture récente de Fessenheim. La sécheresse, les avaries techniques d’EDF et le décalage d’opérations de maintenance à cause du Covid-19 ont profondément bousculé la gestion des centrales nucléaires.
« On n’arrête pas de nous présenter le nucléaire comme une énergie sûre, pilotable et fiable mais elle a aussi ses intermittences, analyse Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire. La crise que nous traversons aujourd’hui prouve à quel point cette énergie est vulnérable aux aléas extérieurs, tant climatiques que sanitaires. »
« Un véritable conflit entre sécurité de l’alimentation électrique et enjeux de sûreté »
Sur les 24 réacteurs à l’arrêt, 19 le sont pour des raisons de maintenance. Habituellement, les travaux se déroulent au printemps ou à l’été lorsque la demande en électricité est moindre. À cause du confinement, ils ont été décalés et l’afflux de ces chantiers à l’automne a été mal anticipé, créant comme une sorte d’embouteillage. « Si une vague de froid s’abat en France fin octobre, la situation risque d’être tendue », note Charlotte Mijeon. Dans ses rapports, RTE reconnaît que « l’hiver 2020-2021 demeure toujours sous « vigilance particulière », même si cela ne correspond en rien à un risque de black-out sur l’ensemble du pays ».
Ces opérations arrivent dans un contexte où EDF a lancé un grand plan d’économie, qui prévoit notamment une baisse de 100 millions d’euros dans la maintenance. À cela s’ajoutent également des difficultés structurelles dans plusieurs centrales. Placés sous surveillance renforcée, les deux réacteurs de Flamanville (Manche) sont à l’arrêt depuis près d’un an, après de graves négligences environnementales constatées sur place. À la centrale de Paluel, en Seine-Maritime, les problèmes techniques se sont aussi enchaînés depuis 2016, à la suite de la chute d’un générateur de vapeur — une pièce de 460 tonnes — sur le sol du réacteur.
En avril dernier, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, l’Autorité de sûreté nucléaire avait déjà donné l’alerte. « Si EDF prévoit une capacité de production trop juste au moment des pics d’hiver, on peut avoir un problème en cas de défaillance fortuite d’un ou plusieurs réacteurs qui nous conduirait à demander l’arrêt de ces installations. Nous aurions alors un véritable conflit entre sécurité de l’alimentation électrique et enjeux de sûreté », avertissait Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN. « La reprise des travaux est à surveiller de très près au vu de la fatigue et du stress des travailleurs », ajoutait-il.
Un autre facteur est également à prendre en compte. Cet été, le dérèglement climatique a provoqué l’arrêt temporaire de plusieurs centrales. Juillet 2020 a été le mois le plus sec depuis 1959. À Chooz, dans les Ardennes, les deux puissants réacteurs, de 1.450 MW chacun, sont encore fermés aujourd’hui à cause de leur pression sur le débit de la Meuse. Un accord transfrontalier entre la France et la Belgique détermine les seuils de débits permettant aux utilisateurs belges de disposer en permanence d’une ressource en eau suffisante pour le fonctionnement de leurs installations. Or, pour la première fois, ces seuils critiques ont été dépassés. La Meuse a vu son débit divisé par dix. Jamais les deux unités n’avaient été arrêtées en même temps.
« C’est préoccupant car les Ardennes ne sont pas une région sèche ou méridionale, relève Charlotte Mijeon. On risque de voir se multiplier dans le pays les conflits d’usage autour de l’eau. » L’enjeu est d’autant plus inquiétant qu’une étude du ministère de la Transition écologique prédit une baisse de 10 à 40 % du débit moyen des cours d’eau à l’horizon 2050-2070.
Le phénomène est donc amené à se répéter de manière plus fréquente et plus violente, mais il n’est pas pour autant inédit. Plus tôt dans la période estivale, d’autres centrales avaient dû s’arrêter. Cette fois-ci à cause des conséquences environnementales du rejet d’eau chaude dans les rivières. Au-delà de 28 °C, la température des cours d’eau menace la faune aquatique et EDF n’a plus le droit ni de puiser ni de rejeter de l’eau. Le 31 juillet, le réacteur 2 de la centrale Golfech (Tarn-et-Garonne) a ainsi été mis à l’arrêt pour deux jours. D’autres ont également vu leur puissance réduite, comme celle du Blayais (Gironde) le 12 août 2020. Pour éviter de s’arrêter, la centrale de Civaux (Vienne) a, quant à elle, puisé largement dans les réserves du lac de Vassivière en amont des réacteurs. À Cattenom (Moselle), en raison du faible débit de la Moselle, l’accès à la retenue d’eau du Mirgenbach n’a plus été autorisé au public à partir du 6 août 2020 pour la réserver au refroidissement des centrales nucléaires.
Manque d’actions menées pour réduire la consommation électrique et tendre vers une forme de sobriété
Déjà, en 2003, un quart du parc nucléaire français avait dû être stoppé en raison de la canicule. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait montré que certains matériaux sont particulièrement vulnérables aux fortes chaleurs. À l’époque, on avait aussi vu des salariés arroser à la lance à eau l’extérieur des réacteurs de Fessenheim pour les refroidir. En 2018, six centrales avaient également réduit leur puissance au plus fort de l’été.
Une boucle de rétroaction préoccupante est en train de se réaliser. Le réchauffement climatique affecte le parc nucléaire et pousse EDF à relancer de manière temporaire les centrales à charbon, qui alimentent à leur tour le dérèglement climatique. Si ces centrales ne sont plus que quatre en France, elles représentent tout de même 30 % des émissions de CO2 de la production électrique.
Les associations écologistes craignent que cette situation nourrisse de « faux débats ». « Les pronucléaires vont s’engouffrer dans la brèche pour dire que la fermeture de Fessenheim était une mauvaise idée et que l’on ne peut abandonner le charbon en sortant du nucléaire », note Cécile Marchand, des Amis de la Terre.
L’enjeu est pourtant ailleurs. « Fessenheim est une goutte d’eau qui ne peut résumer, à elle seule, le véritable problème de gestion du parc nucléaire », estime Charlotte Mijeon. RTE avait d’ailleurs admis dans un document que la fermeture de Fessenheim ne menaçait pas la sécurité d’approvisionnement en électricité. Pour Cécile Marchand, la situation actuelle a plutôt le mérite de montrer que « l’énergie nucléaire suppose des coûts de maintenance considérables et difficilement anticipables ».
Elle révèle aussi le manque d’actions menées pour réduire la consommation électrique et tendre vers une forme de sobriété. « En France, la [pointe de consommation électrique] est 55 % plus élevée que dans les autres pays européens », souligne l’association négaWatt. En cause, le développement massif du chauffage électrique depuis les années 1970 et bien d’autres usages tout aussi dispendieux, à commencer par le déficit de rénovation énergétique.
Dans un communiqué, le Réseau Action Climat affirme qu’on ne pourra sortir du charbon sans faire d’effort sur la pointe électrique et notre consommation générale. Or, sur ce sujet, « quasiment rien n’est fait depuis des années », regrette Cécile Marchand.
Par Gaspard d’Allens (Reporterre), publié le 24 septembre 2020
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