Par Corinne LEPAGE.
La ténacité est une qualité ; l’entêtement, un défaut qui peut conduire à la catastrophe. Celle-ci est annoncée avec les choix faits par le gouvernement -mais visiblement la droite n’en ferait pas de différents- sur le nucléaire.
La catastrophe annoncée est d’abord financière ; elle est ensuite économique; elle peut être enfin technologique.
Elle est d’abord financière. Au terme d’un marchandage dont le contenu nous a bien entendu été caché -certains députés européens évoquent un appui de la France au Royaume-Uni pour que celui-ci conserve, dans le cadre du Brexit, tous les avantages pour la City (ce qui serait évidemment, si c’était vrai, une trahison au regard des intérêts français et européens)- Madame May a finalement accepté de signer pour Hinkley Point, avec un certain nombre de réserves qui n’ont évidemment pas davantage été rendues publiques. Pourtant, le surcoût pour les consommateurs britanniques est astronomique (39 milliards de livres selon l’équivalent britannique de la Cour des Comptes) même si c’est en définitive le contribuable français qui prend à sa charge tout le risque lié à la construction d’un EPR que ni AREVA, ni EDF n’ont été capables jusqu’à présent de mener à terme. D’où l’attitude des syndicats d’EDF qui continuent, avec juste raison, à critiquer une décision prise en violation flagrante de toutes les obligations liées au fonctionnement normal d’un conseil d’administration et qui met en péril à terme leur entreprise. Il faut en effet rappeler que la notation d’EDF ne cesse de baisser et Standard&Poors a ramené la note de A à A- à la suite de l’annonce de la réalisation de Hinkley Point. Le cours de l’action a baissé de 80 % en quelques années et, aucune banque n’accepte de financer les EPR de telle sorte que seuls les fonds propres peuvent être utilisés. Cela signifie très clairement que les 2 milliards de recapitalisation d’EDF sont de la roupie de sansonnet à côté des sommes astronomiques que l’État français, c’est-à-dire le contribuable, va devoir sortir pour satisfaire aux besoins d’EDF : certains parlent de 40 milliards soit 20 milliards indispensables pour assurer les investissements sur les centrales françaises et 20 milliards pour Hinckley Point…. Mais, la France aura bien du mal à soutenir qu’il ne s’agit pas d’une aide d’État et ce d’autant plus que les 2 milliards de recapitalisation du mois de juillet ne semblent pas avoir été soumis à l’aval préalable de la Commission européenne. En réalité, la tragédie financière d’EDF qui s’ajoute à une tragédie économique réédite avec quelques années de retard le drame d’Aréva.
En effet, la tragédie économique est patente. Pour la comprendre, il suffit de comparer la politique intelligente que Madame Kocher a présenté pour Engie, qui présente de nombreux points communs avec celle choisie par EON en 2014 à celle d’EDF. La révolution énergétique qui booste le renouvelable et la décentralisation énergétique est antinomique, incompatible, avec le choix nucléaire. De même que la diligence n’a pas gagné contre la voiture, le nucléaire ne peut pas gagner contre le renouvelable. Pourtant, EDF s’entête et avec lui le gouvernement. Cet entêtement est d’autant plus redoutable que le coût du renouvelable ne cesse de baisser, que le marché de l’électricité est interconnecté et que par voie de conséquence EDF va rencontrer de plus en plus de difficultés à vendre son énergie nucléaire, et a fortiori à un prix qui équilibre a minima son coût de revient. Malgré tous les efforts faits par EDF et le gouvernement pour réduire au strict minimum les choix des Français et des collectivités locales en faveur du renouvelable et de l’autonomie énergétique, le mouvement se lance. Certes, la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie que la ministre de l’écologie vient de mettre en consultation est un modèle de communication pour tenter de dissimuler le maintien d’un choix du tout nucléaire, incompatible même avec le 50 % de nucléaire en 2025… En effet, aucune décision n’est annoncée, hormis Fessenheim, pour réduire la part du nucléaire et c’est à EDF que revient le choix… et la responsabilité de prendre cette orientation… dont chacun sait qu’il ne veut pas la prendre. Nous sommes donc en « Absurdie » puisque la politique officiellement menée en faveur des énergies renouvelables est incompatible avec la politique officieusement menée en faveur du nucléaire. Le résultat en est des textes qui restent au milieu du gué, l’absence d’une grande filière française du renouvelable et un choix énergétique qui fera à terme de notre pays un de ceux où l’énergie coûte le plus cher.
Tout ceci est grave mais l’est infiniment moins que ne le serait une catastrophe nucléaire dans notre pays. Or, même si l’autorité de sûreté nucléaire veille très sérieusement, les sources d’inquiétude sont immenses. D’une part, l’enquête diligentée à la suite des défauts constatés sur la cuve de Flamanville a mis en évidence les défauts affectant une série de réacteurs… en fonctionnement. Du coup, sept ou huit réacteurs sont à l’arrêt pour une durée indéterminée, ce qui prouve au passage que la France pourrait parfaitement fonctionner avec une petite dizaine de réacteurs en moins. Ces défauts graves viennent s’ajouter à toutes les faiblesses déjà détectées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire, qu’elles soient systémiques comme par exemple la corrosion des enveloppes de combustible ou particulières à tel ou tel réacteur. De plus, la légèreté dont fait preuve EDF pour élaborer des scénarios d’accidents fait frémir si l’on se réfère à l’incident de Paluel, la chute d’un générateur de vapeur de plusieurs centaines de tonnes, dont l’exploitant avait refusé de faire l’analyse de risque au motif qu’il s’agissait d’un accident impossible. Le manque criant de moyens financiers d’EDF et très certainement les pressions croissantes qui vont s’exercer sur l’autorité de sûreté nucléaire pour qu’elle se montre « compréhensive » constituent un risque majeur sur la sûreté de nos installations.
D’une certaine manière, moins nous investissons pour le renouvelable et l’efficacité énergétique, plus nous restons dépendants du nucléaire, plus nous nous condamnons à faire fonctionner des centrales qui devraient être arrêtées, plus nous sommes en situation de risque.
En définitive, au cours de ce quinquennat, les questions fondamentales autour du nucléaire n’auront pas été réellement posées et tout aura été fait pour faire croire qu’il est possible de développer simultanément les énergies propres et le nucléaire. Le débat se sera focalisé sur Fessenheim et aura donné l’impression d’une querelle intra-majoritaire entre le parti socialiste et les Verts. Il est temps de comprendre que la réduction de la place du nucléaire n’a pas à être faite pour faire plaisir aux écologistes, comme le soutient la droite mais parce que c’est l’intérêt de la France.
Espérons que le débat présidentiel qui s’ouvre permettra, même si nous sommes déjà assurés de la parfaite entente entre Les Républicains et le Parti socialiste pour maintenir le tout nucléaire (malgré quelques nuances), de poser les vraies questions et de sortir du déni hexagonal dans lequel ils veulent nous enfermer.
http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/lentetement-sur-le-nucleaire-nous-pousse-a-la-catastrophe/?xtor=AL-32280680
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