Au 1er février 2017 pas moins de 3 directeurs différents se seront succédé en 4 ans à la tête de la centrale nucléaire EDF du Tricastin. A croire qu’une fois la promotion acquise chacun n’a qu’une idée en tête : fuir au plus vite cette vieille guimbarde. Ils n’ont pas tort. Revue de détails d’une histoire mystificatrice.
La construction de la centrale atomique du Tricastin débute en 1974 (réacteurs atomiques n° 1 et n°2) et 1975 (n°3 et n°4) sur une zone sismique et inondable au long du canal de Donzère-Mondragon dans lequel les réacteurs puiseront leurs eaux de refroidissement indispensable à leur fonctionnement.
Cette construction s’inscrit dans le plan d’abandon et de liquidation à terme des autres énergies mises en œuvre alors par EDF (hydraulique, thermique gaz et thermique fuel et charbon) ou pouvant être développées (marée-motrice, géothermie, bio-masse,…), et de la volonté d’entretenir la bombe atomique tricolore en couvrant le territoire de plus de 200 réacteurs nucléaires (il n’y en aura finalement « que » 58 de construits) pour répondre aussi, selon les experts en énergies, à une soi-disant et inéluctable demande croissante d’électricité des français. Malgré « l’obligation » de construire les nouveaux logements et locaux commerciaux en « tout électrique » la demande en électricité finira par stagner puis, aujourd’hui, par régresser sans jamais atteindre les prévisions des experts. Le parc nucléaire actuel, bien qu’en ruine et dangereux, est cycliquement en surproduction.
Les 4 réacteurs nucléaires de 900 MW du Tricastin sont mis en service le 1er décembre 1980 (réacteurs 1 et 2) et en 1981 (réacteurs 3 et 4). Ils obtiennent par les autorités étatiques et préfectorales des autorisations de rejets continus radioactifs dans l’atmosphère et dans l’eau. Ils génèrent aussi à chaque instant des déchets solides et liquides radioactifs mortels dont on ne sait pas (déjà à l’époque) que faire.
Les réacteurs de type à eau pressurisée (REP) exploités par EDF sont construits par une société créée de toute pièce par des sociétés privées du groupe Schneider, de Merlin Gerin et de Westinghouse Electric avec l’aval de l’État: la « FRanco-AMéricaine de Constructions ATOMiques » (Framatome). Objectif principal : exploiter la licence États-unienne Westinghouse de réacteur nucléaire pour la France. Les réacteurs nucléaires français sont donc… américains. Framatome change de nom le 1er mars 2006 pour s’appeler désormais Areva NP (https://fr.wikipedia.org/wiki/Areva_NP).
En 1996, alors qu’à Chooz (Meuse, Ardennes) et Civaux (Vienne, Nouvelle Aquitaine), la construction du 57ème et du 58ème réacteurs nucléaires français s’achève, le Commissariat à l’énergie atomique contrôle le groupe Framatome avec ses 36% de parts de capital suivit de EDF (11%), et du consortium de réalisation (CDR chargé de vendre des actifs du Crédit lyonnais) qui détient 4%, Alcatel-Alsthom, fabricant franco-américain notamment de turbines, possède les 44% restant de Framatome.
Puis les grandes manœuvres de restructurations et de montages financiers à foison sont validées par l’État : en juillet 1999 c’est une prise de contrôle plus importante de Framatome par une augmentation de participation de 51% à près de 80 % du capital au travers de différents « acteurs publics » dont EDF. Le Commissariat à l’Énergie Atomique, qui en 1976 avait transformé sa direction de la production » (la « DP ») en une société (Cogema / Compagnie générale des matières atomiques) regroupant l’exploitation de l’uranium en France et en Afrique francophone (Niger, Madagascar, Mali, Sénégal et Gabon) devient l’actionnaire industriel principal de Framatome.
Puis en 2001, la filiale « CEA Industrie » du commissariat à l’énergie atomique fusionne à son tour avec Framatome et la Cogema pour former un nouveau groupe dénommé pour quelques mois « Topco » puis renommé Areva. Des actionnaires privés entrent alors au capital. Puis, au début de l’année 2009, l’un deux, Siemens, annonce son retrait du capital d’Areva NP pour cause de sortie du nucléaire en Allemagne. Deux ans plus tard, à la mi-mars 2011, à quelques jours de la quadruple catastrophe nucléaire de Fukushima, Siemens rétrocède ses 34 % de capital à Areva NP pour la somme de 1,62 milliard. Areva NP est dès lors détenue à 100% par… Areva. C’est à dire que le Commissariat à l’Énergie Atomique en est pleinement le patron. Ce que finalement il n’a jamais cessé d’être. Retour à la case départ.
Le nucléaire coûte cher au contribuable et au pays
En 2015 la quasi faillite d’Areva conduit l’État français à valider un nouveau montage acrobatique financier pour sauver toute la filière nucléaire et surtout, au final, l’actionnaire majoritaire : le CEA. EDF devra racheter la partie construction de Areva et injecter plusieurs milliards d’euros (plus de 2 milliards), l’État (les contribuables) devra lui aussi injecter plus de 2 milliards et créer une société spéciale pour gérer la partie malade d’Areva et ses avoirs toxiques financiers. Tout comme cela avait été fait plusieurs années plus tôt lors du fiasco de la banque Crédit Lyonnais. On privatise les profits, on socialise les pertes. Mais d’où sortiront tous ces milliards alors que la France est fortement endettée, que EDF est elle aussi prise à la gorge avec un taux d’endettement de 84% tout en s’étant lancée dans des projets insensés : en Angleterre avec le projet de réacteur atomique EPR à Hinkle Point, en France en voulant prolonger de 10 ans le parc nucléaire obsolète à coup de milliards d’euros d’investissement.
EDF est bien au fait de sa situation financière précaire et proche de la rupture : elle a déjà enregistré la chute continue de son action en bourse depuis qu’elle a été mise sur le marché spéculatif. Dépréciation continue qui s’est finalement traduite par son éjection du CAC40. Dans ces conditions d’asphyxie et de survie précaire l’électricien hésite à reprendre Areva. D’autant moins si les contentieux que Areva a sur l’EPR en cours de construction en Finlande ne sont pas apurés. Effectivement, commencé en 2004, ce chantier colossal d’Areva dont la mise en service était initialement prévue mi-2009 a déjà pris 7 années de retard. Et sa date de mise en service est encore à nouveau repoussée à plus tard, peut-être en 2018 soit 9 ans de retard. Qui plus est : le coût initial de 3 milliards clef-en-main a explosé à 8,5 milliards d’euros sans que ce réacteur atomique EPR ne fonctionne encore. Qui paiera la différence ? Areva, le client? Ou le contribuable ?
Et, cerise sur le gâteau, le gestionnaire finlandais (TVO) qui a commandé cette merveille a porté plainte contre Areva et lui réclame des dédommagements de plusieurs dizaines de millions d’euros. Un peu échaudé par la prestation médiocre du nucléaire français se présentant comme le meilleur au monde. C’est que dès 2006 pendant la construction, l’agence finlandaise de la sécurité des radiations (Säteilyturvakeskus) a relevé pas moins de 700 dysfonctionnements et anomalies concernant la sécurité sur le chantier de ce réacteur atomique « nouvelle génération » made in France. L’autorité de sûreté finlandaise, la STUK, parle précisément « d’impréparation » d’Areva et de laxisme dans « la qualité du travail, l’organisation et le contrôle des activités sur le chantier ».
En outre, cette équivalente finlandaise de l’ASN française constate que dans la construction du liner d’acier qui protège le cœur du réacteur, les plans changent sans arrêt et de manière intempestive. Ce qui a pour incidence que certains usinages ont été effectués à partir de plans obsolètes. Et ne sont donc pas forcément conformes. Et, en plus, certaines réparations ont été faites sans respecter les procédures prévues. Ça rappelle furieusement l’impossibilité à conduire le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche) dans des conditions de sécurité et de planification pourtant élaborées par la nucléocratie elle-même. Le STUK dit avoir beaucoup de mal à inspecter le chantier en raison de ces changements intempestifs. Il conclut donc « A situation like this should not be possible in a well functioning quality system », ce qui se traduit par « Une situation telle que celle-ci ne devrait pas être possible dans un système de qualité fonctionnant correctement ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucl%C3%A9aire_d%27Olkiluoto)
Qui décide de quoi ?
Il y a quelques années, les 4 réacteurs atomiques du Tricastin exploités par EDF se sont vu imposer pour tourner un nouveau et terrifiant mélange de produit de fission atomique. Ce produit appelé improprement « combustible » (il n’y a pas de combustion dans un réacteur nucléaire) à base d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium (Mox) mis au point par le CEA et fabriqué par Areva. EDF n’en voulait pas car les réacteurs n’ont pas été conçus pour fonctionner avec cette matière à base de matériaux initialement produit pour la bombe atomique. Mais, argument financier mis en avant et décision d’autorité obligent, voilà les réacteurs du Tricastin « moxés ». Tout comme ceux de la moitié du parc nucléaire français dans la foulée. A l’image du réacteur n°3 de Fukushima qui a explosé le 11 mars 2011. (Oui, la catastrophe atomique de Fukushima est aussi française).
EDF en voulait d’autant moins de ce « mox » que les réglages et le pilotage ne sont pas les mêmes avec un moteur de camion survitaminé de 350 chevaux ou avec une vieille fourgonnette d’il y a 35 ans (âge actuel des réacteurs du Tricastin conçu pour une durée de 20 ans). Essayez de mettre de l’éthanol dans un moteur de tondeuse à gazon prévu fonctionner au vinaigre de vin…
Chacun comprendra aisément la seconde raison du refus initial d’EDF : la production moyenne de 25 Twh générée, bon an mal an, par les réacteurs du Tricastin était à 60 % (15Twh) consommée par les installations uranifères mitoyennes… appartenant à Areva (Eurodif) et non pas en premier destinés au réseau public d’électricité. Le client principal d’EDF Tricastin était donc Areva. Et Areva s’apprêtait à fermer ladite usine d’enrichissement d’uranium pour en lancer une autre moins consommatrice d’électricité. Avec en prime le souhait que EDF rachète à Areva ses deux tours gigantesques aéroréfrigérantes.
Évidemment dans tout ça, à aucun moment, ni les uns ni les autres n’étaient préoccupés par les impacts sanitaires délétères sur les populations locales et les pollutions/contaminations des terres agricoles de la vallée du Rhône. Ni par l’augmentation des incidents techniques inéluctables avec fuites radioactives à la clef et autres « anomalies », « écarts », « dysfonctionnements », « incidents« .
Le deal finit par se conclure : je te prends ton « mox » mais tu te gardes tes deux tours inutiles. Et je tente de maîtriser, au petit bonheur la chance, le pilotage des réacteurs moxés.
Bon, évidemment, les générateurs de vapeur des 4 réacteurs sont à risque car mal fabriqués par Areva-Creusot (1) voire peut-être victime de « falsification » selon les termes de l’ASN, le réacteur n°4 comporte un paquet de fissures et les vannes d’isolement ne fonctionnent pas correctement (2), le réacteur n°2 a tendance à bloquer en l’air ses barres de « combustible » (3) et pas que selon les contrôles de l’ASN (4), le personnel qui a piloté le démarrage de la centrale et acquis l’expérience au fil des avatars subis au long des années est parti en retraite et la nouvelle génération de remplacement n’a pas toute cette expérience de terrain – bouts de ficelles et chiffons gras pour colmater les fuites inclus- (mais ce sont eux qui seront accusés en cas d’accident majeur), les prises d’eau de refroidissement dans le Canal de Donzère-Mondragon se bouchent par des amas de branches lors des crues et orages, la centrale est construite sur une zone sismique (5), des déraillement des trains ou accident de route des camions qui livrent le « combustible nucléaire » ou transportent les déchets radioactifs se produisent chaque année, les pompes de secours en cas de séisme ne tiendront pas (6), l’entreposage des « combustibles » usés en piscine de refroidissement pendant quelques mois avant d’être expédié en train à l’Usine de retraitement de la Hague laisse à désirer (6): mais bon on est déterminé à continuer.
Et que personne n’ose protester. D’ailleurs on a bien verrouillé les choses : la plupart des principaux élus du coin sont des salariés ou ancien salariés du nucléaire (Areva, EDF, CEA) et on finance à tour de bras (pardon on subventionne) les assos locales et autres club sportifs. Vous ne nous croyez pas ? Bah tiens, rien qu’EDF-Tricastin verse aux collectivités locales du coin jusqu’à 14 millions d’euros par an sous couvert de taxe professionnelle. Et Areva n’est pas en reste ni le CEA.
Et tout ça pour empêcher le développement d’alternatives, pour maintenir la terreur militaire atomique sur le monde, imposer le massacre de milliers d’innocentes victimes de la radioactivité des installations atomiques.
De quoi rendre muet. Champagne pour les morts et les contaminés !
Notes :
1. https://tv.asn.fr/Rendez-vous-de-l-ASN/Conference-de-presse-ASN-et-IRSN-du-5-decembre-2016
2. Info ASN 27 janvier 2017 : Indisponibilité d’une vanne participant à l’isolement de l’enceinte – Centrale nucléaire du Tricastin – Réacteurs de 900 MWe – EDF. Le 19 janvier 2017, l’exploitant de la centrale nucléaire du Tricastin a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité d’une vanne participant à l’isolement de l’enceinte de confinement du réacteur 4. https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Indisponibilite-d-une-vanne-participant-a-l-isolement-de-l-enceinte2
3. Note d’information de l’ASN en date du 02/10/2008 00:00 : Le 8 septembre 2008, lors de l’opération de déchargement du combustible du réacteur n° 2 du Tricastin de la centrale nucléaire EDF, deux assemblages combustibles sont restés accrochés aux structures internes supérieures de la cuve du réacteur. Dans la situation actuelle, une éventuelle chute des deux assemblages pourrait avoir deux conséquences : un risque de criticité, à savoir le déclenchement d’une réaction en chaîne incontrôlée, et un risque de relâchement à l’intérieur et à l’extérieur de la centrale de produits de fission gazeux.
4. 15/09/2014 ; Projet de décision de l’ASN relative à la poursuite du fonctionnement du réacteur 2 de la centrale nucléaire du Tricastin après son troisième réexamen de sûreté : « Au vu de son analyse du bilan du troisième réexamen de sûreté du réacteur n°2 de la centrale nucléaire du Tricastin et des contrôles réalisés par ses équipes, l’ASN considère qu’il est nécessaire d’encadrer la poursuite de son fonctionnement par des prescriptions complémentaires visant à renforcer son niveau de sûreté. Aussi, en application de l’article L. 593-19 du code de l’environnement, l’ASN prévoit d’imposer, dans le projet de décision soumis à consultation du public, plusieurs prescriptions complémentaires à EDF. Ces prescriptions intègrent notamment des exigences applicables à des installations présentant des objectifs et des pratiques de sûreté plus récents. » https://www.asn.fr/Reglementer/Consultations-du-public/Archives-des-consultations-du-public/Reacteur-2-de-la-centrale-nucleaire-du-Tricastin-Saint-Paul-Trois-Chateaux-Drome
5. ASN 14/10/2002 : L’Autorité de sûreté nucléaire a été informée le 14 octobre 2002 par Électricité de France d’une erreur de conception affectant la résistance au séisme des réservoirs PTR et ASG des réacteurs du Blayais, de Chinon, Dampierre, Saint-Laurent et du Tricastin. https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Erreur-de-conception-affectant-la-resistance-au-seisme-de-reservoirs-d-eau-de-plusieurs-reacteurs-de-900-MWe
6. ASN 09/07/2013 . Non-conformité de montage des châssis des pompes de lavage des filtres à chaînes du circuit d’eau brute secourue. Sur les réacteurs à eau pressurisée exploités par EDF, le circuit d’eau brute secourue sert à refroidir un autre circuit appelé circuit de refroidissement intermédiaire qui assure le refroidissement de tous les circuits et matériels importants pour la sûreté du réacteur. Le circuit d’eau brute secourue est un circuit de sauvegarde et est constitué à ce titre de deux lignes redondantes comportant chacune deux pompes et deux échangeurs. Au cours d’un contrôle réalisé en février 2013, l’exploitant a mis en évidence que les vis de fixation qui étaient installées sur le châssis des pompes de lavage des filtres à chaînes du circuit d’eau brute secourue n’étaient pas celles prévues par les règles de conception de la centrale nucléaire. Après analyse de l’exploitant, il s’avère que la disponibilité du système de lavage, et par conséquent celle du circuit d’eau brute secourue lui-même, auraient pu être remises en cause en cas de séisme. https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Non-conformite-de-montage-des-chassis-des-pompes-de-lavage-des-filtres-a-chaines-du-circuit-d-eau-brute-secourue
7. ASN 30 avril 2002 – Baisse incontrôlée du niveau d’eau de la piscine d’entreposage des combustibles – Centrale nucléaire du Tricastin – Réacteurs de 900 MWe – EDF. Le 30 avril 2002, alors que des opérations de manutention de combustible étaient en cours lors de l’arrêt pour rechargement du réacteur n° 1, les opérateurs ont constaté que le niveau d’eau de la piscine d’entreposage du combustible était inférieur au minimum requis par les règles d’exploitation. https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Baisse-incontrolee-du-niveau-d-eau-de-la-piscine-d-entreposage-des-combustibles-uses-du-reacteur-n-1
SOURCE: http://www.coordination-antinucleaire-sudest.org/
Commentaires récents