SUISSE : LE REDÉMARRAGE DE LA CENTRALE DE LEIBSTADT ÉLECTRISE LE CLIMAT POLITIQUE

SuisseUn collectif de dix-neuf organisations s’inquiète de voir la centrale argovienne redémarrer avant que l’origine de ses problèmes soit identifiée. L’inspecteur fédéral répond qu’aucune décision n’a encore été prise. A la bourse européenne, la date du redémarrage a été retardée.

Le redémarrage de la centrale nucléaire de Leibstadt, à l’arrêt depuis août 2016, était attendu pour ce mercredi 15 février. C’est ce qui avait été annoncé par la direction à la bourse européenne de l’énergie (EEX) de Leipzig. Mais, mardi matin, EEX a décalé la date de deux jours. La reconnexion au réseau est officiellement agendée pour vendredi à 22h30, avec une réduction de production de 10% jusqu’à la révision annuelle prévue en septembre. Mais cela peut encore changer.

Car l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) a certes donné son accord pour que le réacteur soit rechargé avec les éléments combustibles mais pas pour sa remise en service. Elle ne donne aucune date. «L’IFSN n’a pas achevé l’examen de détail des documents fournis par la centrale», indiquait mardi son porte-parole Sebastian Hueber, qui précise que l’autorisation de redémarrage pourrait être assortie de conditions.

La reprise des activités de Leibstadt provoque la colère des milieux antinucléaires. «Nous refusons que la centrale soit autorisée à relancer la production sans que la cause exacte des problèmes rencontrés soit identifiée», s’offusque Florian Kasser, de Greenpeace Suisse. Dix-neuf organisations, dont le PS, les Verts, Greenpeace, le WWF et la Fondation suisse pour l’énergie, se sont adressées à la présidente de la Confédération Doris Leuthard, en charge de l’énergie, et à la présidente du conseil de l’IFSN, Anne Eckhardt. Elles exigent que ces problèmes soient clarifiés avant le redémarrage.

Mystérieux assèchements

Quels sont ces problèmes? Le cœur du réacteur est constitué de 648 assemblages combustibles contenant chacun 91 ou 96 crayons combustibles. Dès 2014, un phénomène d’assèchement d’origine inconnue a détérioré l’un de ces éléments, provoquant un échauffement et une oxydation anormaux. Durant la révision annuelle 2016, la même anomalie a été observée sur 47 assemblages et la centrale a été mise à l’arrêt. Cette suspension d’activité a été prévue jusqu’en février 2017. Entre-temps, l’IFSN a exigé de la direction qu’elle produise différents rapports et analyses qu’elle a promis d’examiner avec un panel d’experts internationaux.

L’objectif était de déterminer l’origine de ces assèchements. Plusieurs possibilités ont été évoquées. Interrogé par l’émission Rundschau de la TV alémanique, un expert allemand a déclaré que la cause la plus probable était une défaillance du système de refroidissement. Dans la même émission, le directeur du site, Andreas Pfeiffer, a cependant ajouté qu’aucun autre cas similaire n’était connu dans le monde et que l’analyse des causes risquait de «prendre des mois, voire des années».

Pétitions en ligne

Ces déclarations ont mis le feu aux poudres. Les antinucléaires sont désormais convaincus que l’IFSN donnera son accord pour que la production reprenne avant que les causes précises de cette corrosion soient clairement établies. «Comparons cela à un marathonien qui ressent une douleur dans la jambe. Il n’entreprend rien, la douleur passe, mais elle revient de manière plus aiguë plus tard et il ne peut plus courir», commente la conseillère nationale vert’libérale Isabelle Chevalley.

La mobilisation des dix-neuf organisations est complétée par des pétitions en ligne. L’une est pilotée par le chef du groupe parlementaire des Verts, Balthasar Glättli – elle avait été signée par plus de 15 000 personnes mardi –, l’autre par un citoyen argovien. À cela s’ajoute l’intervention du Land de Bade-Wurtemberg, à la frontière duquel se trouve l’usine nucléaire, et du Land autrichien du Vorarlberg, qui s’inquiètent eux aussi de la reprise de la production à Leibstadt.

15% de la production d’électricité

Malgré cela, tout le monde pense que l’IFSN autorisera la centrale à se reconnecter au réseau. Des intérêts économiques sont-ils en jeu? Florian Kasser en est persuadé. On murmure que l’arrêt de la production coûterait un million de francs par jour aux propriétaires du site, soit Axpo, Alpiq, les Forces motrices de Suisse centrale (CKW) et le groupe bernois BKW. Isabelle Chevalley réplique que toutefois cela ne change pas grand-chose dans la mesure où la production d’électricité se fait aujourd’hui à perte à cause du prix du marché, très bas.

Membre de la commission de l’énergie du Conseil national, Jacques Bourgeois (PLR/FR) exclut que cela ait une influence. «Seule la sécurité est prise en compte dans les décisions de l’IFSN. Si elle autorise le redémarrage, c’est qu’elle considère qu’elle est assurée. Les critères économiques ne jouent aucun rôle», affirme-t-il.

Il faut cependant rappeler que Leibstadt, en service depuis 1984, fournit, selon les années, entre 13 et 15% de l’électricité produite en Suisse, soit plus que Beznau I (à l’arrêt depuis mars 2015) et Mühleberg (le site sera définitivement fermé en décembre 2019), qui représentent chacun 4 à 5%. A court terme, son inactivité est compensée par des importations. Et à plus long terme? «Il n’y a aucun problème pour ces huit prochains mois, car on produit trop d’électricité en Europe et les besoins diminueront durant l’été. Il n’y a donc aucune raison de se précipiter», décrète Isabelle Chevalley. Sebastian Hueber précise que la décision ne sera prise que lorsque l’examen des rapports demandés sera achevé.

https://www.letemps.ch/suisse/2017/02/14/redemarrage-centrale-leibstadt-electrise-climat-politique