Occupée par l’armée russe, la centrale de Zaporijjia constitue l’un des enjeux du conflit ukrainien. Le plus grand site nucléaire d’Europe fait également planer une lourde menace sur tout le continent, en raison des bombardements qui la cernent.
Définie par le Kremlin comme un objectif majeur dès les premiers de l’invasion de l’Ukraine, la centrale de Zaporijjia est passée aux mains des Russes le 4 mars dernier, à l’issue d’intenses bombardements.
Depuis cette date, nul ne sait ce qui se déroule sur le site nucléaire et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s’inquiète. Les rapports quotidiens sur les combats dans la région font craindre une erreur de tir des belligérants.
Faut-il craindre une « catastrophe », selon les mots du président Zelensky ?
Voici cinq questions pour mieux comprendre la situation et les enjeux.
1 – Quelle est l’importance de la centrale nucléaire de Zaporijjia ?
Inaugurée lors des derniers feux de l’ère soviétique, en 1985 (soit un an avant la catastrophe de Tchernobyl), la centrale située près de la ville d’Enerhodar (55.000 habitants), sur la rive gauche du Dniepr, est devenue dix ans plus tard la plus puissante d’Europe, après la mise en service de son sixième réacteur.
D’une capacité totale de 6 000 mégawatts, elle est capable de produire jusqu’à 38 milliards de kWh (kilowattheure) par an et de fournir ainsi suffisamment d’électricité pour alimenter quatre millions de foyers.
2 – Pourquoi la Russie a-t-elle souhaité s’en emparer rapidement ?
Construite par l’URSS sur un territoire qui était alors le sien, la centrale nucléaire a toutefois changé de mains lors de l’indépendance de l’Ukraine en 1991, deux ans après la chute du mur de Berlin.
Mais selon Vladimir Poutine, le site de Zaporijjia revient de droit à la Russie et devrait alimenter la population russe.
En 2014, lors de la guerre du Donbass opposant les forces de Kiev aux séparatistes pro russes, ces derniers avaient envoyé un peloton afin qu’il s’empare de la centrale. Cette tentative avait rapidement été mise en échec.
Partie remise. Le 24 février dernier, dès le début de l’invasion de l’Ukraine, l’armée russe a progressé vers la centrale et mené d’intenses bombardements autour du site.
Huit jours plus tard, la centrale nucléaire de Zaporijjia était prise.
3 – Quel est l’objectif de Moscou ?
Le site se trouve stratégiquement placé entre le centre et le sud-est de l’Ukraine.
Depuis les conflits de 2014 dans le Donbass et en Crimée, le Kremlin souhaite relier les deux territoires et ainsi cerner l’Ukraine, tout en la privant de son accès à la mer d’Azov.
Située entre ces deux zones pro russes, la centrale nucléaire pourrait donc alimenter leurs populations en électricité, mais aussi affaiblir davantage la population ukrainienne.
Ces derniers jours, plusieurs médias américains ont d’ailleurs affirmé que les attaques russes contre Zaporijjia ont pour but de détourner l’électricité produite par la centrale vers la Russie.
« Ce serait le plus grand braquage d’électricité de l’histoire » affirme Thomas Popik, de l’ONG « Foundation for Resilience of Societies », « l’équivalent d’une annexion » ajoute Suriya Jayanti, ancienne responsable de l’énergie de l’ambassade des États-Unis en Ukraine.
4 – Pourquoi la situation est-elle dangereuse ?
48 heures avant la prise de contrôle par les hommes de Vladimir Poutine, les bombardements russes ont causé un important incendie sur le site nucléaire. Du fait de la violence des combats, les pompiers se sont trouvés dans l’incapacité d’intervenir. Ce n’est donc que le 4 mars, avec l’arrivée des troupes russes, que le sinistre a été maîtrisé.
La nature des dégâts est assez floue et les communications du Kremlin à ce sujet sont des plus laconiques. Les experts internationaux estiment cependant que la centrale est « fragilisée » et potentiellement dangereuse.
Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky la centrale fait office de « bombe à retardement » et une « catastrophe » menace l’Europe entière.
« Tout incident radioactif à la centrale nucléaire de Zaporijjia peut porter un coup aux pays de l’Union européenne, à la Turquie, à la Géorgie, et à des pays de régions plus éloignées. Tout dépend de la direction et de la force du vent », a précisé le président ukrainien.
Nettement plus puissante que Tchernobyl, Zaporijjia pourrait causer de terribles dégâts pour les populations et l’environnement, et ce pour plusieurs décennies. Le gouvernement ukrainien se prépare à toutes les éventualités et a même mené dans la ville voisine de la centrale, ce mercredi 17 août 2022, un exercice de simulation d’intervention en cas d’accident nucléaire.
Les secours ukrainiens se préparent à l’éventualité d’un incident nucléaire. © Dmytro Smolienko / REUTERS
En dépit de cette menace, les combats se poursuivent autour du site et les Ukrainiens tentent de reprendre possession de la centrale.
Moscou et Kiev s’accusent mutuellement de prendre le risque de déclencher un incident nucléaire.
5 – Un accord peut-il être trouvé pour sécuriser la centrale ?
Depuis fin juillet, plusieurs frappes Zaporijjia, faisant planer la crainte d’une catastrophe nucléaire.
La semaine dernière une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU s’est tenue en urgence pour tenter de trouver une solution viable et inciter les belligérants à s’éloigner du site.
Les Nations unies ont affirmé être en mesure de préparer une mission de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dans le complexe nucléaire, si Moscou et Kiev donnent leur accord.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a par ailleurs demandé l’arrêt immédiat des activités militaires près de la centrale. Les deux pays ont dit souhaiter qu’une mission de l’AIEA se rende sur place.
Stéphane Dujarric, porte-parole de Guterres, a expliqué que le secrétariat de l’ONU estimait avoir les capacités, en matière de logistique et de sécurité, pour permettre à une mission de l’AIEA de se rendre dans la centrale dans les plus brefs délais.
Le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, s’est dit prêt à envoyer une mission à Zaporijjia et a appelé Moscou et Kiev à coopérer. « La situation à la centrale nucléaire est alarmante », a-t-il indiqué sur Twitter. « Les actions militaires mettent en péril la sûreté et la sécurité nucléaires. Elles doivent cesser immédiatement. Une mission de l’AEIA nous permettrait de mener à bien les activités techniques nécessaires et d’exercer une influence stabilisatrice ».
Mais depuis ces déclarations d’intentions, aucune mission n’a été mise sur pied et l’Otan s’impatiente. L’organisation a ainsi réclamé une « inspection » urgente de l’AIEA.
Par Ouest France avec AFP et Reuters, publié le jeudi 18 août 2022 à 04h00
Photo en titre : Les services de secours ukrainiens ont effectué des exercices de simulation d’une catastrophe nucléaire, à proximité de la centrale de Zaporijjia. © Dimitar DILKOFF / AFP
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