Deux enjeux majeurs, qui ont des racines historiques, refont surface dans de nouvelles circonstances en Corée du Nord : un différend de nature idéologique et l’hypothèse théorique d’un affrontement nucléaire pour le résoudre.
Une crise en dents de scie, c’est l’image qui décrit le mieux la situation géopolitique dans la péninsule coréenne : un jour, nous assistons à des tests nucléaires effectués par le pouvoir nord-coréen, et un autre jour, nous sommes témoins d’un déploiement de 150 000 militaires chinois à la frontière sino-nord-coréenne. Quelques moments de répit arrivent quand le président chinois nous assure que le dialogue est entamé avec le leader Kim Jong-un. Tout de suite après, les États-Unis envoient par « précaution » le porte-avions USS Carl Vinson dans l’ouest du Pacifique, depuis Singapour. Quelques heures à peine après son élection, le nouveau président de la Corée du Sud, Moon Jae-in, se déclare prêt à aller au Nord pour amorcer des pourparlers « si des conditions sont réunies ». Pour défier l’ouverture au dialogue du président désigné, la Corée du Nord vient tout juste d’envoyer un missile qui s’abîme en mer du Japon.
Au-delà des actions qui, à première vue, semblent erratiques et confuses, deux enjeux majeurs, qui ont des racines historiques, refont surface dans de nouvelles circonstances : un différend de nature idéologique et l’hypothèse théorique d’un affrontement nucléaire pour le résoudre.
La Corée du Nord est le bastion ultime de la juxtaposition entre la doctrine communiste et l’État, tel que fut le cas dans les pays sous domination soviétique après 1945 et jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989. Elle est ainsi isolée du reste du monde de peur d’être contaminée par un virus de liberté qui pourrait être fatal au pouvoir dynastique en place. Seulement la Chine dispose d’une certaine emprise sur son fonctionnement économique, mais même son leadership est soumis à de rudes épreuves, comme en témoignent les critiques officielles extrêmement dures entre les deux parties dans les médias officiels. Dans ces circonstances, il est à prévoir qu’un éventuel changement de régime se déroule d’une manière violente, puisque la mise n’est pas la survie de la nation, comme dans le monde démocratique, mais bien la préservation et le triomphe de l’idéologie tant aimée.
À l’heure des négociations internationales sur le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la Corée du Nord décide en 2003 de se retirer du cadre normatif (environ 200 ententes) établi par la communauté internationale, pour développer à l’abri de tout contrôle son arsenal atomique. Celui-ci a enregistré récemment des progrès techniques significatifs dans une quête de puissance majeure : sur 25 millions d’habitants, le pays compte 1,2 million de soldats et 7 millions de réservistes. Ils disposent d’environ 10 000 canons, un millier de missiles à différentes portées et une vingtaine d’armes nucléaires pour défendre bec et ongles les acquis communistes.
Pour comprendre l’origine de ce fanatisme, il faut se tourner vers l’histoire, quand, en 1945, les forces alliées ont libéré la péninsule coréenne, à l’époque une colonie japonaise. Les pôles géographiques servent de miroir pour définir les zones de contrôle post-conflit : si, en Europe, l’Est revient à l’URSS et l’Ouest aux États-Unis, en Corée, le Nord devient une sphère d’influence soviétique tandis que le Sud est placé sous influence américaine. Dès que les deux mandataires se retirent, en 1948 et 1949 respectivement, pour laisser la place à la formation des gouvernements locaux, la Corée du Nord envahit le Sud. Les motivations de cet acte d’agression reposent sur un calcul géopolitique plus élaboré. Le très puissant Staline a donné son aval à l’invasion pour montrer aux pays européens de l’Est que le communisme est capable d’élargir sa base ailleurs dans le monde et que toute tentative d’émancipation sera vouée à l’échec (Budapest en 1956 et Prague en 1968 en savent quelque chose). La péninsule coréenne était convoitée par les Soviétiques depuis des siècles, étant vue comme une région stratégique vitale pour contrer une éventuelle hégémonie chinoise. Pour cette raison, la Chine a toujours conçu la péninsule comme « une clé » qui peut ouvrir la porte de l’Est asiatique. Aux yeux du pouvoir chinois, l’imminence de la réunification de la Corée sous les auspices de l’Union soviétique était réelle. Accueillir à leur frontière les Soviétiques en amis plutôt qu’en ennemis conférerait l’avantage d’éviter un encerclement par une puissance hostile.
Après plusieurs victoires des Américains sur le terrain, des négociations sont enclenchées sans qu’on en arrive à une conclusion. Les États-Unis se retirent du conflit sans proclamer la « victoire », une première dans leur parcours international à ce jour, tandis que la Chine maintient le statu quo, sa formule préférée quand elle n’est pas en mesure d’établir des arrangements qui lui sont convenables.
Dans une perspective immédiate, la balance du pouvoir penche, a priori, vers le couple sino-américain. Si la diplomatie déjà entamée s’affaisse, comment présenter l’intervention militaire à l’opinion publique ? Comme une menace nucléaire directe de la part du régime de Kim Jong-un contre l’ordre planétaire ? Les armes utilisées seront-elles conventionnelles ou nous nous dirigeons vers un conflit nucléaire ? Si oui, les frappes seront-elles limitées aux installations militaires de l’ennemi ou toucheront-elles la population civile ? Quelle position adoptera la Russie, dans ce nouveau contexte ? Est-elle prête pour la revanche historique ? La souhaite-t-elle ?
Mettre sous contrôle international l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord devrait être le but premier, pour le moment, des pourparlers des acteurs autour de la table. Le renversement du régime comporte un risque de violence dont l’ampleur est inconnue.
Nous sommes devant une situation semblable à celle qui précédait le déclenchement de la Première Guerre mondiale : personne ne voulait le conflit, mais au premier déclic toutes les puissances y ont embarqué.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/498965/le-nucleaire-comme-dernier-rempart-ideologique-en-coree-du-nord
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