Dans une tribune au « Monde », François Nicoullaud, ancien ambassadeur à Téhéran, assure que la diplomatie internationale dispose encore de moyens pour sauver l’accord signé avec l’Iran. L’Europe, en particulier la France, a une carte à jouer pour trouver une solution négociée.
Donald Trump, en « décertifiant » vendredi 13 octobre l’accord de Vienne, passé en 2015 entre l’Iran, d’une part, l’Allemagne, la Chine, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, d’autre part, vient de placer le Congrès américain en première ligne pour décider de la survie de l’accord. Le Congrès est invité à rechercher avec l’administration américaine et les alliés des États-Unis les moyens d’obtenir de l’Iran des modifications de l’accord de Vienne. Et, si ce dernier ne peut être amendé, Trump s’est engagé à en sortir, comme il peut en prendre l’initiative.
L’avenir de l’accord du 14 juillet 2015 est donc compromis.
Il est probable que l’Iran refusera de s’engager dans un alourdissement de ses obligations en matière nucléaire, sauf compensations que les autres parties n’ont aucune intention de lui accorder. À Téhéran, l’accord a été difficilement accepté par les radicaux du régime. Le gouvernement ne veut pas rouvrir cette boîte de Pandore. Quant à limiter son programme balistique, comme le réclament les Américains, soutenus par les Européens, il n’en est pas question.
Contrairement à la négociation nucléaire, qui portait sur un programme civil, il s’agit là d’un programme de défense. Les Iraniens considèrent, non sans raison, qu’ils n’ont pas à accepter des contraintes qui pèseraient seulement sur eux, et non sur leurs voisins, pour beaucoup mieux armés qu’eux. Enfin, Donald Trump ayant annoncé de nouvelles sanctions visant à punir l’Iran pour son comportement en matière de terrorisme et de droits de l’homme, l’Iran va être tenté de se braquer, comme il le fait quand il se sent agressé.
Fragilisation des modérés
Que peuvent faire les Européens ? En cas de retrait des Américains, ils ont déjà manifesté leur intention de conserver l’accord de Vienne. Les Russes et les Chinois suivront, et probablement les Iraniens, pour ne pas perdre les bénéfices de la levée des sanctions. L’accord pourrait donc cheminer néanmoins. Les nouvelles sanctions américaines seraient plus gênantes que naguère car, avec la mondialisation, les Américains ont découvert qu’ils pouvaient sanctionner, sans clauses d’extraterritorialité, les entreprises étrangères ayant des intérêts aux États-Unis, ou ayant recours au système financier américain. Des solutions de contournement finiront bien par être trouvées. L’accord serait toutefois fragilisé, ainsi que les modérés iraniens, le président Rohani en tête.
Mais il s’agit là pour l’Europe d’une position défensive. Que peut-elle tenter pour sortir de la crise et peut-être même conserver les États-Unis dans l’accord ?
On pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n’entameraient ni ses intérêts, ni sa fierté.
Puisque les alliés des États-Unis doivent maintenant être consultés, l’on pourrait demander à Washington de suspendre pour un temps ses menaces. Et à Téhéran de songer à des gestes visibles, qui n’entameraient ni ses intérêts, ni sa fierté. Au contraire.
Il en est trois à la portée des Iraniens. Le premier serait de ratifier sans attendre le protocole additionnel à leur accord de garanties avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) renforçant les contrôles sur leur programme nucléaire. Ce protocole, que les Iraniens ont signé en 2003 mais n’ont pas encore ratifié, s’applique de façon anticipée dans le cadre de l’accord de Vienne. Celui-ci prévoit aussi que ce protocole sera présenté à la ratification du Parlement iranien en 2023.
Pourquoi attendre 2023 sans bénéfice apparent, alors qu’Hassan Rohani dispose d’un Parlement plutôt bienveillant, et que nul ne connaît l’issue des élections législatives de 2020, ni de la présidentielle de 2021 ? L’adhésion au protocole additionnel est un passage incontournable pour tout pays qui veut se présenter en possesseur légitime d’un programme nucléaire pacifique. C’est ce à quoi aspire l’Iran.
Geste symbolique
Le deuxième geste serait de ratifier le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), que l’Iran a signé en 1996. L’Iran s’étant déjà engagé, par son adhésion en 1970 au traité de non-prolifération (TNP), à ne jamais acquérir d’arme nucléaire, il s’agirait d’un geste symbolique. Mais le symbole serait fort, car la République islamique contracterait pour la première fois de son histoire un engagement international majeur de non-prolifération nucléaire.
Le troisième geste serait d’adhérer au code de conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Ce code enjoint à ses adhérents de déclarer l’état de leurs stocks et de décrire annuellement leur programme en la matière, enfin d’annoncer leurs essais à l’avance. À l’âge de la surveillance satellitaire globale des activités balistiques, ce ne serait pas pour l’Iran un recul en matière de défense. Ce serait en revanche un signal de bonne volonté important.
Mais, à vrai dire, pourquoi l’Iran irait-il accomplir ces trois gestes, alors qu’il respecte déjà à la lettre l’accord de Vienne et que le responsable de la crise est Washington ? Il existe une possibilité de l’encourager dans cette voie. La plupart des pays du Moyen-Orient n’ont pas non plus adhéré à ces trois instruments internationaux. C’est le cas, notamment, de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. Pourquoi ne pas inviter tous les pays concernés à envisager ensemble une adhésion au protocole additionnel de l’AIEA, au TICE et au code de la Haye ?
Initiative française
Ils auraient un motif de s’asseoir à la même table. Ils auraient aussi l’occasion d’évoquer d’autres sujets qui les divisent et ce serait une première réponse à une revendication constante de l’Iran en faveur d’un système régional de sécurité collective. Certes, Israël serait absent. Mais les pays de la région, Iran en tête, qui refusent de reconnaître l’État hébreu, s’interdisent à eux-mêmes de l’inviter à les rejoindre.
Voilà donc une initiative à la portée de l’Europe, et en particulier de la France, qui a marqué son souci de trouver en cette affaire une solution négociée. Quant aux États-Unis, ils pourraient au moins faire l’effort de convaincre leurs amis de la péninsule arabique de se joindre au projet. La Turquie aussi, qui a déjà adhéré à ces trois documents, pourrait aider. De bons esprits diront que les chances de succès sont réduites, mais la diplomatie, c’est ne jamais se résigner au pire, c’est toujours essayer.
Article de François Nicoullaud (ancien ambassadeur de France en Iran, enseignant à Sciences Po Paris)
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/14/sortons-par-le-haut-de-la-crise-du-nucleaire-avec-l-iran_5201009_3232.html
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