L’apparition d’acteurs instables et l’agressivité des nouvelles doctrines renforcent le risque d’une guerre atomique.
Prolifération, escalade : dans le domaine des armes nucléaires, l’instabilité stratégique va croissant, s’inquiètent les officiels français. « De plus en plus d’acteurs ont des capacités nucléaires qui se renforcent, avec des doctrines qui produisent plus d’instabilité, tandis que le cadre juridique multilatéral s’affaiblit », résume ainsi le directeur général des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées, Philippe Errera. Ce diplomate, parfois rangé parmi les « faucons », a dressé devant l’Institut français des relations internationales (IFRI), mardi 9 janvier, un panorama des menaces telles que Paris les perçoit, de l’Iran à la Corée du Nord.
Aujourd’hui, « pour nombre d’acteurs, l’arme nucléaire ne sert pas qu’à dissuader, elle sert même de moins en moins à ça », souligne-t-il. Il serait, selon lui, dangereux pour la France de se contenter de projeter sur les autres puissances sa propre conception défensive. Dans la doctrine française de la dissuasion nucléaire, la bombe ne sert, en effet, pas à gagner une guerre: c’est une arme de légitime défense, par représailles. Or, dans un contexte sécuritaire très incertain, les puissances élargissent la gamme de leurs options militaires, estime ce spécialiste, avec des « risques accrus d’escalade jusqu’au franchissement du seuil nucléaire, par un déclenchement accidentel ou par la recherche d’une frappe en premier ».
L’Iran n’a pas violé ses engagements, souligne la France. Critiqué par le président américain, Donald Trump, l’accord international de juillet 2015, qui empêche pour dix ans le détournement du programme nucléaire civil iranien à des fins militaires, est jugé « solide », ce sur quoi les Européens sont d’accord. Dans une conversation téléphonique, jeudi 11 janvier, Emmanuel Macron avait rappelé à son homologue américain « l’importance » de ce texte.
« Parapluie nucléaire »
Reste que, pour Paris comme pour Washington, les engagements de Téhéran ne peuvent s’arrêter à l’accord, dont la durée de vie est limitée. Et la question balistique, encadrée par la résolution 2231 de l’ONU, n’est pas réglée. « L’Iran a des missiles techniquement capables d’emporter l’arme nucléaire compte tenu de leur portée, affirme Philippe Errera. Nous avons une longue liste du non-respect des règles par ce pays, dans son programme national comme dans ses transferts proliférant vers d’autres États. »
Quant à la Corée du Nord, elle inquiète au-delà même de ses progrès accélérés vers la maîtrise de la bombe. « Ce serait une erreur de considérer que, pour Pyongyang, une arme nucléaire de plus en plus opérationnelle ne servirait qu’à dissuader une attaque extérieure contre le régime, souligne M. Errera. Il y a déjà une évolution du discours des autorités sur la réunification de la péninsule coréenne et le développement du programme balistique lui-même. » En clair, la réunification des deux Corées serait envisagée comme « le résultat d’une action du Nord par des armes conventionnelles mais sous parapluie nucléaire ». Dans ce cadre, menacer le territoire américain par des missiles vise à empêcher Washington d’agir pour venir défendre ses alliés sud-coréen et japonais.
Les États-Unis eux-mêmes, dans la « nuclear review » commandée par le président Trump, qui sera publiée en février, prévoient une diversification des cadres d’emploi de l’arme suprême. « Cela ne contribue pas à la stabilité stratégique », souligne le haut fonctionnaire français. Un brouillon de ce document stratégique a fuité vendredi dans le Huffington Post. Il met en avant la nécessité renforcée d’une « flexibilité » de l’arsenal américain, et prévoit le développement des armes tactiques à énergie réduite.
Opacité de Moscou
La Russie, de son côté, achève, selon les plans prévus, la modernisation de sa triade (armes sol-sol, à long rayon d’action et sous-marines), en dépit de nombreuses difficultés. Moscou entretient l’opacité sur ses armes tactiques. « La menace est peut-être moins importante que durant la guerre froide, mais la Russie a une attitude beaucoup moins responsable s’agissant de l’intégration du nucléaire dans sa posture de défense globale », selon Philippe Errera. Il n’est pas certain, précise le diplomate, que les sphères dirigeantes russes aient un niveau de connaissance aussi partagé que par le passé de l’arme nucléaire, ce qui peut laisser place à des malentendus ou à des usages accidentels.
Autre facteur d’instabilité avancé, la Chine, seule parmi les cinq États « dotés » de l’arme nucléaire à accroître quantitativement ses stocks de matière fissile. Ses efforts de modernisation vont par ailleurs poser des difficultés à la dissuasion des vieilles puissances en ce qu’ils portent sur « le haut du spectre » : le spatial, le cyber et les armes de très longue portée.
http://www.lemonde.fr/international/article/2018/01/13/armes-nucleaires-paris-s-inquiete-de-risques-accrus-d-escalade_5241268_3210.html
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