Le secrétaire d’État en charge de la Transition énergétique, Sébastien Lecornu a passé trois jours près de la centrale de Fessenheim pour préparer l’avenir du territoire. Plutôt bien reçu, même si les salariés restent inquiets.
C’est finalement en catimini et avec trois élus alsaciens que Sébastien Lecornu a visité la centrale de Fessenheim. Le samedi matin 20 janvier, dès 8h, il n’y a croisé qu’une trentaine de salariés et découvert les installations. Le secrétaire d’État en charge de la transition écologique et solidaire avait entretenu le suspense sur sa venue ou non sur place tout le long de sa visite en Alsace.
La veille, environ 300 salariés et plusieurs journalistes attendaient devant les grilles. Sébastien Lecornu n’avait rien laissé filtré lors d’un point presse à la mi-journée. D’abord annoncé par un membre de la direction d’EDF, un contre-ordre est arrivé quelques minutes plus tard. Peu après 16h, les salariés repliaient les banderoles.
Anne Laslo, déléguée syndicale CFE Énergies est repartie déçue. « La veille, on s’était mis d’accord pour baliser une visite, avec certes des expressions fortes, mais pas de blocage ou de violence. Aujourd’hui, il y avait des cadres de la direction, pas des excités. ».
Samedi, à l’issue de la visite surprise, la CGT, syndicat majoritaire a dénoncé un « mépris » et « un manque de courage » de la part du plus jeune membre du gouvernement. D’autres proches du dossier observent que les troupes n’ont pas rappliqué le samedi matin pour monter à la hâte un « comité de sortie », dans cette usine où les syndicats sont proches de la direction.
Pourtant, tout avait bien commencé. Dès son arrivée, Sébastien Lecornu avait reçu les représentants des quatre syndicats de la centrale durant près de quatre heures. Son arrivée ensuite dans la soirée au conseil municipal de Fessenheim a été un peu chahutée, mais rien de marquant.
Avec le nouveau gouvernement, les syndicats ont repris le dialogue. Intimement, on sait que ne pas discuter, ce ne serait plus complètement défendre l’intérêt des salariés voués à partir. « Ce que je veux, c’est que dans dix ans on puisse dire que ça ne s’est pas si mal passé que ça », affirme Anne Laszlo.
93 personnes pour piloter la fermeture
Ce point d’orgue ponctue une visite événement de trois jours à Colmar, la préfecture du Haut-Rhin, à quelques dizaines de kilomètres de la centrale EDF. Lors du quinquennat précédent, aucun membre du gouvernement ne s’était déplacé. Même le délégué interministériel en charge de la reconversion Francis Rol-Tanguy avait rebroussé chemin. « Combien de fois ai-je dit à la majorité socialiste de se déplacer ? », soupire Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin (LREM, ex-PS).
La prise de contact visait à installer un vaste « comité de pilotage » de 93 personnes, qui inclut des élus, les syndicats, des représentants des milieux économiques, de l’Université, d’EDF, des Allemands, etc.
Ironie de l’affaire, c’est un groupe majoritairement composé de personnes opposées à la fermeture qui va décider de la suite. « On s’est fait une raison », résume à ce sujet l’Alsacien Jean Rottner (LR), président de la Région Grand Est. Sa collectivité est attendue sur les volets de la formation et la relance d’une ligne ferroviaire entre Fribourg en Allemagne et Colmar, via un pont sur le Rhin. Un projet dont l’État ne voulait plus, mais qu’il semble prêt à co-financer via le contrat de Plan Etat Région. Des compensations indirectes plutôt qu’un chèque, en somme. S’il a apprécié « la capacité à agir sur un territoire restreint », du secrétaire d’État, Jean Rottner demeure « pas complètement rassuré ».
À ce stade, comme les annonces qui visent à développer les énergies renouvelables ont été minimales, personne ne ressort vraiment fâché de ces trois jours. Le parcours antérieur de Sébastien Lecornu auprès de Bruno Lemaire (ministre de l’Économie, auparavant membre de Les Républicains) semble aussi avoir facilité le contact avec les élus locaux, quasiment tous de droite dans ce secteur.
Claude Brender, le maire (divers droite) du village de 2.300 habitants, reconnaît que « l’opération séduction a marché ». Samedi soir, à l’heure de l’apéritif après trois jours intenses, il se dit « un peu rassuré sur la méthode et le discours, plus concret que ce qu’on a pu connaître ». « C’est dommage que ce réalisme ne s’interroge pas sur la pertinence de la fermeture. On n’est pas naïf et on attend un accompagnement pour les territoires qui ne puisse pas être remis en cause au prochain changement de gouvernement ou de Premier ministre. » Quant au grand appel à projet sur les énergies renouvelables, l’édile n’en a été informé qu’en début de semaine : « Le renouvelable ne remplacera jamais entièrement une production de base, carbonée ou décarbonée. »
L’idée d’une zone fiscale franco-allemande
La tonalité est similaire pour la présidente du conseil départemental Brigitte Klinkert (LR) : « Je tiens à saluer l’esprit de dialogue pour comprendre la situation. Des élus ont pu lui remettre un document de travail commun. L’objectif est de faire un centre de recherche tri-national qui travaillerait sur le déploiement d’énergies renouvelables, le stockage de l’énergie et la mise en place d’une centrale de gaz vert, issu de la méthanisation. Pour les salariés, il faudra aussi un accompagnement social exemplaire. »
Dans cette partie grandeur nature de « Des chiffres et des lettres », la séquence sur « les lettres » a été bien négociée. Mais la partie sur « les chiffres » s’annonce plus épineuse. Président du conseil département jusqu’à 2017, le député Éric Straumann (LR) ressort « sans a priori négatif pour la suite », mais il pointe qu’il n’y a encore « rien de concret ». « Il doit bien y avoir une enveloppe vue l’ampleur de la chose », estime-t-il au regard des compensations fiscales (14,3 millions d’euros) et économiques.
Une de ses idées a été reprise, celle d’une zone à fiscalité particulière, avec vraisemblablement un début d’harmonisation franco-allemande. « Si la fermeture est décidée, c’est aussi sous pression allemande », rappelle l’élu colmarien. Reste à trouver l’équilibre entre mécanisme nécessaire et effet d’aubaine comme dans certaines zones franches. « Le but n’est pas que les entreprises du secteur déménagent de vingt kilomètres pour payer moins de taxes. »
Même pour les élus de la majorité, on ne donne pas un blanc-seing au gouvernement. La sénatrice Patricia Schillinger a apprécié « la franchise et que les Allemands soient invités », mais regrette que « l’agglomération tri-nationale de Saint-Louis soit absente ». « On reste vigilant et attentif, car rien n’est fait. Le gouvernement n’a pas le droit de faillir ».
Gare à l’artificialisation des sols et au déboisement
Également invitée au comité de pilotage, l’association écologiste Alsace Nature, repart aussi satisfaite. « Il y a eu un temps de lutte pour chacun, mais maintenant on est dans celui de la construction », analyse le président Daniel Reininger. « Pour la première fois, il y a quelque chose de décidé. Maintenant, tout dépend de la manière. Les gisements en énergies renouvelables sont supérieurs aux besoins, mais le problème, c’est leur disponibilité au moment où on en a besoin. Il y a un enjeu de stockage de l’électricité à développer et la présence de l’Université est importante. » M. Reininger s’inquiète des projets de mise à disposition de foncier pour les futures industries, l’expression d’un besoin par les entreprises allemandes. « La sauvegarde du secteur passe par la sauvegarde de la forêt alluviale et il ne faudrait pas refaire les erreurs du XXè siècle. » Sur ce point, « il reste 200 hectares utilisables autour du site », assure Brigitte Klinkert.
Les salariés les plus critiques
Pour une parole plus critique, il fallait se poster en vain devant la centrale. Ici, le choix de société de réduire la part de l’énergie nucléaire percute des destins personnels. Une parole peu entendue médiatiquement jusqu’ici se libère. Car le calendrier de la fermeture devient concret. « On aura droit à trois propositions et sinon c’est un licenciement pour faute grave », explique l’un d’eux. Se pose la question des conjoints. Sébastien Lecornu veut que l’État favorise la mutation quand ceux-ci sont fonctionnaires. Mais pour les autres, ce ne sera pas toujours possible.
Parmi les salariés, nombreux sont pessimistes : « Pour commencer les démantèlements, on attend des années pour que la radioactivité baisse. Il n’y aura rien à la place de l’usine pendant des décennies. Tout ce qui est dit, c’est de la ’poudre de perlimpinpin’. Regardez ce qu’il y a à Chooz, où on a démantelé des réacteurs. Il n’y a rien », s’agace un agent. Un autre salarié embraye : « Un pilote de réacteur nucléaire ne va pas monter des éoliennes. C’est comme si on disait à un chauffeur de bus de conduire un avion. »
De source syndicale, 330 des 736 agents au dernier décompte resteraient trois ans sur le site. La fermeture sera progressive, et le site toujours à risque tant qu’il y a du combustible présent. « Ceux qui sont mobiles sont sûrs d’avoir un bon boulot [dans une autre centrale, ndlr]. Ceux qui ne le sont pas pourront aller dans d’autres installations EDF aux alentours, mais pas tous », estime Anne Laszlo. La situation des 330 sous-traitants, qui ont moins de possibilité de reclassement, préoccupe en priorité les pouvoirs publics à ce stade.
Sébastien Lecornu, qui a tout fait pour se démarquer de Ségolène Royal, a prévu de revenir en Alsace les 12 et 13 avril pour une deuxième réunion du comité de pilotage. Il passera entre temps à Flamanville suivre l’évolution de l’EPR. Car la fermeture de Fessenheim est toujours liée à la date de son ouverture, « fin 2018 ou début 2019 ».
Pour télécharger la liste des membres du comité, cliquer sur :
https://reporterre.net/A-Fessenheim-le-secretaire-d-Etat-Sebastien-Lecornu-est-venu-preparer-l-apres
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