Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres dresse un sombre tableau de l’état du monde, constate notre chroniqueur François Nordmann.
En guise de message du Nouvel An, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies a émis une «alerte rouge». En prenant ses fonctions l’an dernier, il a placé son mandat sous le signe d’une «année de paix». Or c’est le contraire qui s’est produit. Le monde s’est mis en marche arrière. Le terrorisme continue à se répandre. De nouveaux périls sont apparus. Ainsi les craintes suscitées par les armes nucléaires sont aujourd’hui aussi vives que pendant la guerre froide. Les changements climatiques sont plus rapides que nous, les inégalités plus fortes, les violations des droits de l’homme plus graves. Tandis que la solidarité et la confiance sont en déclin, le nationalisme et la xénophobie progressent. La menace que représentent les néonazis s’accroît, 75 ans après la chute du régime nazi, ses symboles, sa mentalité et son langage demeurent très présents parmi nous.
Contenir l’unilatéralisme américain
La plupart des phrases qui précèdent – brèves, rythmées, sans emphase, frappant par leur netteté – sont des citations de l’appel du Secrétaire général, réitéré à deux reprises depuis lors. L’année 2017 a en effet été marquée par la brutalité des conflits en Syrie, au Yémen, en Afrique. Au Moyen-Orient, c’est un nœud gordien. Les essais nucléaires et balistiques de la Corée du Nord pourraient provoquer la reprise de la guerre dans la péninsule. Les catastrophes naturelles ont été particulièrement violentes et dévastatrices. L’unanimité autour de la protection des migrants obtenue en 2016 a volé en éclat un an plus tard. Pour relever les défis auxquels nous devons faire face, le monde doit refaire son unité, il faut un leadership ferme et audacieux, dit encore le Secrétaire général.
Il a tout de même pu marquer des points lors de l’Assemblée générale qui vient d’achever sa session de 2017. Comme il le demandait, les états ont mis la prévention au cœur des actions de maintien de la paix. Son plan de réforme du secrétariat a également reçu le soutien de l’Assemblée Générale. Les états sont allés au-delà de ses propositions en matière d’économie budgétaire, mais dans une mesure acceptable. Ils ont de même entériné la création d’un bureau pour mener la lutte contre le terrorisme. Mais Antonio Guterres a su contenir l’unilatéralisme américain pour éviter qu’il ne provoque des dommages irréparables à l’ONU. Les exemples sont abondants: le retrait de l’accord de Paris sur le climat, puis de l’Unesco, les menaces belliqueuses contre les États membres – la Corée du Nord – proférées à la tribune même de l’Assemblée générale, les pressions sur les états qui voteraient contre la position des États-Unis sur Jérusalem capitale de l’État d’Israël, la diminution d’un sixième des contributions volontaires à l’Unwra, la remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien, sont autant de mesures qui cherchent à affaiblir l’ONU et rendent chaque jour plus acrobatique la poursuite de son action. Certes, l’apocalypse n’a pas eu lieu, mais les risques pour la paix et la sécurité internationales, inhérents à la manière dont l’administration américaine traite la question nucléaire en Iran et en Corée du Nord, sont loin d’être écartés.
Pessimisme compréhensible
Les États-Unis ont abandonné leur rôle de défenseur de l’ordre libéral international qu’ils ont contribué à créer et à développer depuis les années 1940. De ce fait, les puissances favorables à un ordre autoritaire, antilibéral prennent de l’ascendance. En Syrie, c’est la Russie qui gère l’après-guerre à travers le «processus d’Astana» qu’elle a institué en contrepoint des efforts que l’envoyé spécial du Secrétaire général, Staffan de Mistura entreprend depuis Genève. Elle protège le régime Assad en recourant au veto au Conseil de sécurité. Plus souple, la Chine s’est rendue incontournable sur le dossier nord-coréen en adoptant les sanctions décrétées par l’ONU, qu’elle applique toutefois à sa façon. L’Arabie saoudite mène de son côté une guerre au Yémen qui fait fi des considérations humanitaires sans que l’ONU n’y puisse grand-chose. On comprend le pessimisme dont fait montre Antonio Guterres.
https://www.letemps.ch/opinions/2018/01/22/alerte-rouge-monde
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