Mercredi 7 mars, le secrétaire d’État Sébastien Lecornu a réuni le Comité de Haut niveau sur Cigéo. Il a annoncé un débat public autour du projet d’enfouissement de déchets nucléaires et des fonds pour la Meuse et la Haute-Marne dont 389 millions de travaux routiers, révèle Reporterre. Les associations dénoncent une concertation impossible au vu de la répression actuelle.
Après la matraque, la carotte. Après l’expulsion par 500 gendarmes de 14 occupants du bois Lejuc, après l’interdiction de manifester et le gazage du village de Mandres-en-Barrois <https://reporterre.net/Face-a-l-Etat-brutal-les-hiboux-de-Bure-manifestent-leur-sagesse> dimanche dernier, après le harcèlement judiciaire, le gouvernement joue la carte de la « concertation ».
Mercredi 7 mars au ministère de la Transition écologique et solidaire, loin du plateau de Bure, le secrétaire d’État Sébastien Lecornu a présidé son premier Comité de Haut niveau. Celui-ci réunit depuis 2005 les acteurs institutionnels du projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires — élus locaux de Haute-Marne et de Meuse, Andra, EDF, Orano (ex-Areva), Centre de l’énergie atomique (CEA), préfets — avec pour objectifs <https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/gouvernement-renforce-concertation-et-transparence-autour-du-projet-cigeo-bure> « de renforcer les outils de concertation, d’accélérer le développement économique du territoire et de statuer sur la répartition de la fiscalité associée au projet ».
La veille, une dizaine d’associations opposées au projet dénonçaient < https://cedra52.jimdo.com/2018/03/07/nous-ne-choisirons-pas-le-papier-d-emballage-de-la-m%C3%A9ga-poubelle-atomique-cig%C3%A9o-%C3%A0-bure/ > une mascarade, pointant « une concertation qui arrive quand tout est décidé » et dans « des conditions de répression qui empêchent le dialogue ».
Sébastien Lecornu en conférence de presse.
Plutôt que parler de répression, Sébastien Lecornu a affirmé en conférence de presse que l’État a dû intervenir « face à de nombreux actes de délinquance qui ont suscité localement beaucoup d’émoi ». Son credo : « Le retour à l’État de droit comme préalable à la concertation. » Autrement dit, une fois les « éléments radicaux » évacués, « le dialogue est ouvert avec les opposants légaux ».
Mais qu’est-ce qu’un « opposant légal » ? « Ils réduisent le champ de la légalité par des arrêtés liberticides qui nous empêchent de manifester », dénoncent les associations dans leur communiqué. D’autant plus que l’action du gouvernement à Bure pourrait bien elle aussi être entachée d’illégalité, comme le racontait Reporterre <https://reporterre.net/L-action-du-gouvernement-a-Bure-est-elle-legale-Rien-n-est-moins-sur> , et comme l’indiquait le Syndicat des avocats de France <https://reporterre.net/Selon-le-Syndicat-des-avocats-de-France-l-operation-policiere-a-Bure-ne> .
Côté concertation, Sébastien Lecornu veut lancer un débat public national sur les déchets nucléaires : « La question n’est pas de savoir si on fait Bure ou pas, mais qu’est-ce qu’on fait des déchets qui sont déjà là », martèle-t-il devant la presse. Sauf qu’un tel événement sous la houlette de la Commission nationale du débat public a déjà eu lieu en 2013. Il avait été boycotté par les opposants, critiqués par les pro-Cigéo comme par certains membres de la CNDP. « Ce débat proposait uniquement à la population d’exprimer ses craintes sur le dossier inachevé et bourré d’inconnues présenté par l’Andra », rappellent les associations. L’exercice avait cependant conclu qu’il fallait attendre avant de décider <https://reporterre.net/Dechets-nucleaires-le-projet-Cigeo-doit-attendre-conclut-le-debat-public> . Des conclusions qui n’ont pas été suivies par les autorités.
« C’est justement parce qu’il n’a pas été concluant qu’il faut refaire ce débat public », soutient M. Lecornu. Et qu’arrivera-t-il si, au terme des discussions, les Français décident qu’ils ne veulent pas de Cigéo ? « Alors je leur demanderai ce que l’on fait des déchets », élude le secrétaire d’État, qui aime à citer son ministre de tutelle Nicolas Hulot : « Lui-même a dit que Cigéo était la moins mauvaise des solutions, et l’Autorité de sûreté nucléaire parle de solution la plus raisonnable. »
Pour éclairer les débats à venir, Sébastien Lecornu mise sur « un centre de ressources en ligne sur tout ce qui a été commis sur Cigéo, pour ou contre », sur une instance de dialogue société – experts « pour remettre les scientifiques, les sachants, au cœur du débat » et des missions d’étude à l’étranger sur la question des déchets radioactifs « pour aller voir comment les autres font ». « Élus locaux et journalistes seront bienvenues », précise-t-il.
Dernier volet de son plan pour « garantir un climat serein et un niveau d’acceptabilité » autour du projet Cigéo, répondre « au sentiment d’abandon du territoire » en luttant « contre la désertification et l’enclavement ». Sans chiffrage précis, routes et lignes ferroviaires sont annoncées, ainsi qu’un effort sur la formation professionnelle : « Il y aura bientôt des emplois à pourvoir dans le travail de forage, de creusement, dans l’énergie, il faut donc former les jeunes de ces départements à ces métiers ». Autrement dit, en fait et lieu de développement local, l’État et les industriels de l’atome s’apprêtent à accélérer la transition nucléaire de la Meuse et de la Haute-Marne. Les infrastructures de transport sont en effet nécessaires à la construction du centre d’enfouissement. « Il y a des travaux qui sont bons pour Cigéo et bons pour le territoire, répond M. Lecornu. Je veux croire au cercle vertueux, Cigéo n’est qu’un moyen pour amorcer la pompe du développement économique. »
389 millions d’euros pour préparer les routes à l’acheminement des déchets
Et comme le révèle Reporterre, ce ne sont pas moins de 389 millions d’euros qui sont prévus pour transformer en 2×2 voies des routes autour de Bure. L’enjeu : préparer le réseau routier pour l’acheminement des déchets radioactifs à Bure – plusieurs camions par jour si le projet Cigéo se réalise.
Sont notamment prévus par le gouvernement :
- RN 67 entre Saint-Dizier et Semoutiers-Monçais, dans la Meuse : 150 millions d’euros ;
- RN 19 : 100 millions d’euros ;
- RN 135 entre Velaines et Tannois : 50 millions d’euros.
Le secrétaire d’État souligne cependant qu’il sera attentif à ce que les fonds alloués ne servent pas au « saupoudrage ». Référence faite, peut-être, aux lampadaires flambants neufs installés en ribambelle à Bure et dans les villages alentour, qui éclairent d’une lumière blanche les rues vides.
Lampadaires à Montreuil-sur-Thonnance (Haute-Marne).
Car malgré une trésorerie de plus de 700 millions d’euros, les Groupements d’intérêt public de la Meuse et de la Haute-Marne ne sont pas parvenus, en plus de dix ans, à stopper la désertification. En mars 2017, à bout de patience, le maire de Montiers (à quelques kilomètres de Bure), Daniel Ruhland, s’était fendu d’un entretien vindicatif contre Cigéo dans le journal L’Est républicain <http://www.estrepublicain.fr/edition-de-bar-le-duc/2017/03/07/daniel-ruhland-remonte-contre-l-andra> :
« Dans les années 93-94 (…) l’Andra nous promettait, si l’on acceptait le labo, que l’on ferait des écoles, des routes, qu’il y aurait un développement économique, que tout le monde bosserait.. Mais le compte n’y est pas. Les gens partent et personne ne vient. Il ne s’agit pas de filer des ronds pour refaire des trottoirs si demain il n’y a plus personne pour marcher dessus. Je suis convaincu que l’on est en train de désertifier notre territoire. » Le collège de sa commune est aujourd’hui menacé de fermeture <https://www.estrepublicain.fr/edition-de-bar-le-duc/2018/02/03/meuse-en-images-la-mobilisation-contre-la-fermeture-du-college-de-monthier-sur-saulx> .
Dans leur communiqué, les associations locales anti-Cigéo dénoncent une « politique de soudoiement financier », une « nucléarisation du territoire à marche forcée » et un « chantage à l’emploi ». Tout ceci accentue selon elles, du côté des habitants, « le sentiment de dépossession de leur destin ». Elles n’iront donc pas frapper à la porte que M. Lecornu a dit « laisser ouverte ».
Calendrier
Le Comité de Haut niveau se réunira désormais deux fois par an, en début d’année et au mois de septembre ;
Le débat public sur le Plan national de gestion des déchets radioactifs devrait avoir lieu en fin d’année 2018.
Une commission d’expertise internationale sur les colis bitumineux sera lancée dans l’année 2018, par l’État et l’ASN.
Le contrat de territoire devrait être signé par les collectivités locales et l’État d’ici la fin de l’année. L’objectif de ce contrat est de « définir les modalités de mise en œuvre des projets d’infrastructure et d’accompagnement économique nécessaires à l’accueil du projet Cigéo et au développement concomitant du territoire ».
Un groupe de travail réunissant les élus locaux sera constitué pour traiter la répartition de la fiscalité locale associée au projet.
Lorène Lavocat (Reporterre)
https://reporterre.net/Le-gouvernement-lance-un-debat-sur-les-dechets-nucleaires-mais-en-pose-d-avance
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