LE NUCLÉAIRE EST-IL VRAIMENT L’ÉNERGIE SANS CO2 LA MOINS CHÈRE ?

En présentant son programme pour l’énergie des dix années à venir, le gouvernement a laissé la part belle au nucléaire afin de développer le renouvelable, avec le souhait de maintenir un coût raisonnable de l’électricité pour le contribuable. Sauf que c’est en réalité le nucléaire qui va alourdir la facture.

Qui le dit ?

Sur France Inter ce samedi, quelque jours après l’annonce de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) par le gouvernement, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, s’est félicité dans « On n’arrête pas l’éco » des orientations prises par Emmanuel Macron en matière de nucléaire.

Le projet esquissé mardi par le chef de l’État fixe la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années et prévoit notamment la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici à 2035, sur les 58 exploités par EDF sur le territoire français. La part du nucléaire sera alors ramenée à 50 % dans la production d’électricité.

« Si on veut se débarrasser des énergies fossiles qui polluent, qui ont un temps de vie limitée, l’électricité c’est bien l’avenir » a insisté Jean-Bernard Lévy, qui plaide pour l’EPR et pour retarder l’arrêt des centrales nucléaires en France : « Notre recommandation c’est que tous les réacteurs aillent jusqu’à 50 ans, voire 60. Il ne faut pas les arrêter sur 15 ans parce que cela ferait des chocs que l’on ne saurait pas bien gérer sur le plan social ou sur le plan industriel. »

Pour étayer ses arguments, le PDG d’EDF pointe le coût très élevé du stockage qui, aujourd’hui, ne permet pas de moduler la distribution de l’énergie en fonction de la demande. « Quand on regarde les coûts, il faut regarder les coûts de l’électricité dont on a besoin, pas les coûts de l’électricité quand le vent souffle, quand le soleil brille. Les coûts du stockage sont aujourd’hui très élevés. »

Qu’en disent les spécialistes ?

Le ministre de la Transition écologique et solidaire l’a lui-même redit jeudi dernier, dans Le Parisien : « Les coûts de production de l’électricité augmentent car les centrales nucléaires sont vieillissantes et qu’on est obligés de faire des travaux. »

Auteur du livre Nucléaire, une catastrophe française, le journaliste Erwan Benezet s’est appuyé sur différents travaux de la Cour des Comptes, de l’Autorité de sûreté du nucléaire et de l’Ademe pour tenter d’appréhender le coût total de nos centrales. Il précise : « Aujourd’hui, EDF avance un chiffre de 33 euros du MWh » qui est faible parce que les coûts des centrales, prévues pour une durée d’utilisation de 40 ans, ont été amortis et qu’EDF ne tient pas compte des investissements à venir.

L’industrie nucléaire est l’une des rares économies à coûts croissants. « Plus vous avancez dans le temps, plus ça coûte cher » résume Erwan Benezet. « Quand EDF donne ces chiffres, il ne prend pas en compte, ou du moins pas suffisamment, l’après-nucléaire, c’est à dire le démantèlement des centrales, mais aussi la gestion des déchets, leur stockage avant retraitement puis leur enfouissement, sachant que les piscines où l’on entrepose des combustibles radioactifs arrivent elles-aussi à leur capacité maximale de stockage. »

Ni même d’ailleurs les investissements à venir pour renforcer la sûreté des réacteurs ou leur sécurité. « En 2011, après la catastrophe de Fukushima, on a refait des stress-tests qui ont abouti à toute une série de travaux à effectuer sur l’ensemble des centrales dans le monde, ce que l’on appelle le grand carénage et qui comporte à la fois le renforcement de la sûreté post-Fukushima, la maintenance et la prolongation de la durée de vie des centrales » précise l’auteur. 

Quel est le véritable coût du parc nucléaire français ?

La construction de 19 centrales avec 58 réacteurs nucléaires a coûté, jusqu’en 2012, plus de 220 milliards d’euros, selon les calculs de la Cour des Comptes. S’il est à ce jour impossible de donner une estimation fiable sur le coût du démantèlement des centrales et du stockage de l’ensemble des combustibles usagers, la Cour des comptes a estimé, en dix ans, qu’il faut mobiliser 100 milliards d’euros rien que pour assumer le coût du grand carénage.

Mais un autre point est à préciser, celui de la sécurité des sites et de leur capacité d’accueil. Les piscines de stockage, dont on fait peu de cas, sont dimensionnées pour accueillir du combustible pendant 40 ans. Résultat, la rupture est proche. « Ce renforcement des cinquante-huit piscines pourrait coûter jusqu’à 1,5 milliard d’euros par piscine de réacteur » déplore Erwan Benezet. « Celui des quatre piscines principales de la Hague, autour de 17 milliards d’euros ». 

Et en ce qui concerne le renforcement des cinquante-huit réacteurs (hors piscines), il faut compter jusqu’à 2,5  milliards d’euros par unité. Au total, c’est peut-être donc plus de 200 milliards d’euros qu’il faudrait débourser pour mener à bien ce gigantesque chantier. Soit entre trois et cinq fois les dépenses prévues par EDF pour prolonger la durée de vie des centrales. « Sauf que », écrit l’auteur, « ne pas le faire peut nous coûter encore plus cher ».

Et l’EPR ?

Au micro d’Alexandra Bensaid, Jean-Bernard Lévy a également plaidé pour poursuivre les investissements dans l’EPR. 

Mais l’expérience de Flammanville démontre le coût très élevé du nucléaire nouvelle génération : 11 milliards d’euros. Le tout sous couvert d’un « mensonge » généralisé, rappelle Erwan Benezet : « Quand il a été lancé, en 2007, le projet était estimé à 3,3 milliards d’euros pour une mise en service en 2012, mais tout le monde savait que les montants et les délais seraient intenables. » 

Un coût également élevé pour les deux réacteurs de la centrale de Hinkley Point. EDF doit verser 16 des 23 milliards d’euros estimés pour le projet, la Chine s’acquittant du reste de la facture.

Oui mais les emplois ?

Parmi les arguments d’EDF pour temporiser la sortie du nucléaire figure celui de l’incapacité de gérer la transition, sur le plan social, en 15 ans. Pourtant, l’Ademe, l’Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie, affirme qu’un million d’euros investi dans le renouvelable, c’est 15 emplois créés. La même somme investie dans le nucléaire ou le charbon, c’est six emplois.

Aujourd’hui, ajoute Erwan Benezet, « le renouvelable représente 100 000 emplois en France, des emplois qui ne sont pas, à ce jour, délocalisables » : « D’ici 2030, c’est un demi-million d’emplois, presqu’un million en 2050. »

À titre de comparaison, aujourd’hui, le nucléaire permet l’emploi de 220 000 personnes en France pour un secteur qui produit 75 % de l’électricité en France.

Conclusion

Si aujourd’hui, la production de l’électricité en France reste bon marché, c’est sans compter sur les coûts à venir de l’allongement de la durée d’utilisation des centrales qui oblige des investissements lourds pour poursuivre la production d’électricité nucléaire dans des conditions de sûreté et de sécurité satisfaisantes.

Mais les sommes conséquentes qui vont être dépensées, pour assurer le maintien de la production nucléaire sur une durée plus longue que prévue, sont aujourd’hui largement sous-estimées de l’avis des experts. Ces montants vont forcément avoir une incidence sur notre facture d’électricité, de l’avis même de François de Rugy, incidence peut-être supérieure à celle d’une stratégie d’investissement d’envergure dans la production d’énergie renouvelable, en parallèle du démantèlement des centrales nucléaires ?

Publié le mercredi 5 décembre 2018 à 7h00

par Julie Guesdon@Guesdon

https://www.franceinter.fr/environnement/le-nucleaire-est-il-vraiment-l-energie-sans-co2-la-moins-chere