PPE : LE PROJET DE DÉCRET DURCIT LE CRITÈRE DE SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT

Le gouvernement envisage de durcir la définition de la sécurité d’approvisionnement électrique. Cette modification rend plus difficile la réduction des capacités nucléaires et fossiles.

Le projet de décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) réserve une surprise : il propose de réviser le « critère de défaillance du système électrique » qui sert de base au dimensionnement du parc de production. Cette modification durcit un critère qui est déjà parmi les plus stricts d’Europe. Conséquence directe : son respect impose un parc de production très important et limite les possibilités de la fermeture de centrales. La nouvelle approche proposée par le projet de décret est déjà, en partie, à l’origine du report à 2035 de la réduction à 50 % de la part du nucléaire et de la prudence du gouvernement concernant la fermeture des centrales à charbon.

La sécurité d’approvisionnement conditionne la politique énergétique

La sécurité d’approvisionnement a toujours été un critère important de la politique énergétique. Mais depuis un an et demi, elle semble dicter directement certains choix clés de la stratégie française. En novembre 2017, RTE publiait des scénarios de l’évolution du parc nucléaire en fonction de la sécurité d’approvisionnement. L’entreprise recommandait alors de reporter la réduction de la part du nucléaire à 50 % au-delà de 2025, ce que le gouvernement validait le jour même. En novembre dernier, l’enchaînement se reproduit au sujet des centrales à charbon. Le gestionnaire de réseau estime qu’il faut étaler entre mi-2020 et 2022 la fermeture annoncée des cinq unités françaises. Cette option devient de fait la position officielle du gouvernement. Plus encore, la préservation de la sécurité d’approvisionnement ouvre aujourd’hui la voie à une exploitation de la centrale de Cordemais (Loire-Atlantique) au-delà de 2022.

Reste que l’évaluation de la sécurité d’approvisionnement s’appuie sur un « critère de défaillance » flou. Le code de l’énergie prévoit que la durée moyenne de défaillance du système électrique, pour des raisons de déséquilibre entre l’offre et la demande, ne doit pas dépasser trois heures par an. Implicitement, la notion de « défaillance » correspond aux coupures liées à un manque de production. Mais un rapport officiel, publié il y a un an par les ministères de la Transition écologique et de l’Économie, révèle que RTE fait du zèle. Le gestionnaire du réseau, chargé de calculer le risque de défaillance, « en fait aujourd’hui une interprétation plus large », notent les hauts fonctionnaires de Roquelaure et Bercy. La filiale d’EDF « [considère] qu’il y a « délestage » dès lors qu’un consommateur est exposé à des actions non consenties ». Une simple baisse de tension est ainsi considérée comme une défaillance. « Le cas de coupure n’est donc qu’un cas de défaillance parmi d’autres. » En conséquence, « le respect du critère de trois heures fixé par le code de l’énergie [signifie] moins de trois heures de coupure, selon RTE ». Plus grave, le rapport explique qu’« [il n’est pas] clair à ce stade que les pouvoirs publics aient bien donné leur accord »

Nouvelle définition de la défaillance

La méthode appliquée par RTE a une conséquence directe sur les choix énergétiques français. Plus on applique une définition large de la « défaillance« , plus on doit disposer d’un parc de production important et plus il est difficile de fermer des centrales nucléaires ou à charbon. D’ailleurs, le rapport ministériel notait que deux scénarios de RTE, qui ont servi de base à la PPE (Ampère et Volt), correspondent à moins de deux heures de coupure par an… Si le rapport se gardait bien d’évaluer l’impact d’un retour à la définition traditionnelle de la « défaillance« , il préconisait de demander à RTE de revoir ses scénarios de consommation électrique en appliquant le critère conventionnel.

Le rapport recommandait surtout de clarifier la règlementation en définissant les notions de « défaillance » et de « délestage ». C’est ce que propose le projet de décret relatif à la PPE. Mais il rejette les propositions formulées dans le rapport de mars 2018 et se contente de valider à posteriori les calculs de RTE. Le rapport ministériel proposait de fixer une valeur réglementaire de trois heures par an pour les coupures et d’y ajouter une deuxième valeur supérieure pour encadrer le recours aux leviers exceptionnels. Finalement, le ministère s’apprête à abaisser à deux heures la durée des coupures et à fixer à trois heures la durée moyenne de la défaillance annuelle. Cette dernière correspond au recours aux moyens exceptionnels : interruptibilité, appel aux gestes citoyens, la sollicitation des gestionnaires de réseaux de transport frontaliers (hors mécanismes de marché), dégradation des marges d’exploitation, baisse de tension sur les réseaux et, en dernier recours, le délestage.

Pas de révision des scénarios de RTE

Finalement, ce projet de décret vient clore le débat puisqu’il valide a posteriori la méthode appliquée par RTE. Surtout, en rejetant les recommandations des hauts fonctionnaires des ministères de la Transition écologique et de l’Économie, le gouvernement s’épargne une révision de la PPE qui tirerait les conséquences de scénarios basés sur un critère de défaillance conforme à l’esprit du code de l’énergie.

Enfin, le choix du gouvernement contraint un peu plus les futures décisions de la fermeture de centrales. D’ailleurs, le projet de PPE prévoit de fermer 4 à 6 réacteurs nucléaires d’ici 2028 : les deux de Fessenheim (Haut-Rhin), deux autres en 2027-2028 et potentiellement deux de plus en 2025-2026… si la sécurité d’approvisionnement le permet. Il n’est pas anodin de noter qu’avec une limite de trois heures pour les coupures, la France dispose déjà d’un des critères de défaillance les plus strictes d’Europe. La Belgique accepte une défaillance de 20 heures par an pour les scénarios les plus défavorables, l’Irlande fixe la défaillance à huit heures par an pour tous les scénarios et l’Allemagne et l’Italie n’ont pas de critères chiffrés, mais des objectifs de réserves de production stratégiques et de capacités de stockage.

Par Philippe Collet, publié le  06 mars 2019

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