SANCTIONS : L’IMPASSE IRANIENNE DE TRUMP L’ENTÊTÉ

Le président américain supprime à compter du 2 mai les dérogations accordées à huit pays importateurs de pétrole brut venu d’Iran. Gare à l’effet boomerang.

Qu’elle soit attendue ou redoutée, l’échéance approche. Ce jeudi 2 mai, Washington sabordera le régime dérogatoire consenti voilà six mois et permettant à huit nations –Chine, Inde, Turquie, Japon, Corée du Sud, Taïwan, Italie, Grèce- d’importer du pétrole brut iranien sans s’exposer pour autant aux sanctions extraterritoriales américaines. 

« Pression maximale »

Annoncée par la Maison-Blanche dès le 22 avril, cette suppression s’inscrit dans la stratégie de « pression maximale » censée, à en croire Donald Trump et les siens, contraindre Téhéran à mettre fin à ses « activités déstabilisatrices« , du Liban au Yémen, via la Syrie de Bachar al-Assad. La méthode retenue ? Réduire à néant les recettes que l’or noir procure à la République islamique -40% environ de ses ressources budgétaires-, donc étrangler financièrement celle-ci jusqu’à obtenir sa reddition. 

De droite à gauche, le secrétaire d’État américain John Kerry et ses homologues britannique, Philip Hammond, et iranien, Mohammad Javad Zarif, après la signature de l’accord, le 14 juillet 2015 à Vienne, (afp.com/CARLOS BARRIA)

Déjà, en novembre dernier, le rétablissement d’un train de mesures punitives, suspendu depuis l’accord nucléaire scellé en juillet 2015 à Vienne (Autriche) -accord dont les États-Unis se sont retirés voilà un an- , avait tétanisé les pays enclins à commercer avec le pilier persan de « l’axe du Mal » 

Au bonheur des faucons

Pari hasardeux, tout à fait conforme à la pensée magique trumpienne, mélange de calculs simplistes, d’ultimatums tonitruants et de caporalisme unilatéraliste. Si l’escalade ne garantit en rien la capitulation de la théocratie chiite, elle pourrait avoir pour résultat de renforcer les faucons du régime, partisans d’une relance de la course à l’atome militaire, mais aussi d’accroître l’exaspération des alliés et partenaires traditionnels des États-Unis, tant en Europe qu’en Asie. Il y a de l’effet boomerang dans l’air.  

   Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, à Machhad (est),               le 21 mars 2019, (afp.com/-)

Pour l’heure, on en est à la guérilla rhétorique, figure de style récurrente de la relation irano-américaine depuis la révolution de 1979. Cette nouvelle agression, riposte dès le 24 avril l’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême et détenteur à ce titre des leviers de l’exécutif, « ne restera pas sans réponse« . Mais encore ? Quatre jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif précise au siège new-yorkais de l’ONU, théâtre -ça ne s’invente pas- d’une session consacrée à l’avenir du multilatéralisme, qu’une sortie de l’Iran du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) figure parmi les « nombreuses options » envisagées. 

Haro sur les Gardiens

De même, le chef en titre de la diplomatie met alors en garde l’administration Trump contre les conséquences qu’aurait une « folle » tentative d’entraver l’accès au détroit stratégique d’Ormuz, par lequel transite 20% de l’or noir mondial et dont l’Iran se veut le protecteur.  

Cet échange d’amabilités fait écho à celui déclenché le 8 avril par une autre banderille made in USA. Ce jour-là, Washington place le corps des Gardiens de la Révolution, ou pasdaran, armée parallèle vouée officiellement à protéger la patrie des périls extérieurs et intérieurs, sur sa liste noire des « organisations terroristes étrangères« . 

Le président Hassan Rohani lors d’une réunion publique, le 4 décembre 2018, dans la province de Semnan. (afp.com/HO)

Celui qui le dit, il y est… Dès le lendemain, à la faveur de la Journée nationale des pasdaran, qui est aussi celle de la technologie atomique, le président élu Hassan Rohani accuse les États-Unis, suspectés d’abriter une poignée de chefs djihadistes de l’État islamique, de trôner « au sommet du terrorisme mondial« . Quant au Conseil suprême de la sécurité nationale, il range les forces américaines déployées au Moyen-Orient, dans la Corne de l’Afrique et en Asie centrale parmi les « groupes terroristes« . 

Guerre de l’ombre

Notons au passage que la théâtralisation par le « Grand Satan » yankee de la mise à l’index des Gardiens sert les intérêts de ces derniers. De fait, elle réduit au silence ceux qui, au sein même du pouvoir, déplorent l’emprise que ces gardes-chiourmes exercent sur l’économie nationale ou souhaitent restreindre leur engagement à l’étranger. Un signe : lors d’une récente séance du Majlis, le parlement de Téhéran, on a vu la plupart des députés arborer le treillis vert bouteille cher aux pasdaran. 

Un défilé des Gardiens de la Révolution, à Téhéran, lors de la célébration annuelle du déclenchement de la guerre avec l’Irak (1980-1988).(afp. photo/Atta Kenare)

Donald Trump mériterait que le clan des ultra-conservateurs lui élève une statue en or massif au cœur de Téhéran, d’Ispahan, de Chiraz, de Tabriz et de Macchad. Son harcèlement obsessionnel bâillonne les ultimes adeptes du dialogue et dope les va-t-en-guerre, impatients de voir la République islamique dénoncer à son tour l’accord conclu voilà près de quatre ans avec les « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) et intensifier son ambitieux programme balistique. 

Cité dans une étude récente de l’International Crisis Group, un conseiller du commandant de la Force al-Qods, unité d’élite des Gardiens de la Révolution, laisse planer la menace de raids fatals aux livraisons de brut venu d’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis et transitant par le détroit de Bab el-Mandeb, entre le Yémen et Djibouti. 

La « bande des B »

Le ministre Zarif fustige volontiers « la bande des B« . Dans sa ligne de mire, quatre des procureurs les plus implacables de la République islamique : l’Américain John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et les princes héritiers saoudien et émirati, Mohammed ben Salman et Mohammed ben Zayed. Tous, il est vrai, louangent le successeur de Barack Obama pour sa fermeté vis-à-vis de leur ennemi prioritaire. Même si, dans le Golfe, on tend à considérer que l’intéressé va un peu vite en besogne. Trump a ainsi prédit que ses pétromonarchies préférées allaient « plus que compenser » le recul de l’offre pétrolière résultant de son oukase, alors même que Riyad s’engage tout juste à contribuer à la « stabilisation » du marché, tout en excluant à ce stade une hausse significative de sa production 

Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salman, alias « MBS », reçu le 10 avril 2018 à l’Élysée. (Philippe Wojazer/REUTERS)

D’autres, à l’inverse, récusent l’imperium américain. La Russie dénonce une politique « agressive et imprudente« . La Turquie tempête et la Corée du Sud regimbe. Quant à la Chine, elle manifeste sa « ferme opposition« . Logique : Pékin s’est porté acquéreur de 628000 des 1,7 million de barils vendus chaque jour en mars par Téhéran, soit 37% du total exporté. 

Comment s’aliéner ses alliés?

Autant dire que l’Empire du Milieu pourrait être tenté de régler sa facture via la banque Kunlun, indifférente aux représailles US, réactivant ainsi une formule employée dès 2012 ; voire de durcir sa posture lors des prochains épisodes de l’éprouvant feuilleton des négociations commerciales sino-américaines. Allié régional essentiel de Washington et troisième importateur de naphte de la planète, l’Inde peine pour sa part à masquer son embarras : le dixième de ses approvisionnements vient de l’ancienne Perse.  

À l’Élysée, on entend maintenir le cap. « Avec ses partenaires européens, résume un communiqué officiel, la France entend poursuivre ses efforts pour que l’Iran tire les bénéfices économiques [de l’accord viennois], aussi longtemps qu’il respectera l’ensemble de ses obligations nucléaires. » En compagnie de l’Allemagne et du Royaume-Uni, Paris participe depuis des mois à la mise en œuvre d’un mécanisme financier de compensation affranchi de Sa Majesté Dollar et baptisé INSTEX. Processus laborieux qui suppose l’instauration, par Téhéran, d’un dispositif symétrique conforme aux normes financières internationales. Dans le meilleur des cas et au risque du paradoxe, le forcing américain pourrait donc hâter l’émergence de canaux alternatifs susceptible de fragiliser sa suprématie… 

L’Iranien lambda paie la note

« Nous exporterons notre pétrole autant que nécessaire et autant que nous le voudrons« , claironne l’ayatollah Khamenei, exhumant pour l’occasion l’un des mantras du régime des mollahs : loin de nous affaiblir, les sanctions iniques infligées par l’Occident renforcent notre cohésion et nous incitent à restreindre notre dépendance envers les hydrocarbures. 

Des Iraniens frappés par les terribles inondations survenues fin mars dans la province du Khouzestan. (afp.com/Mehdi Pedramkhoo)

Pas si simple. L’intensification du siège énergétique et financier imposé par Washington amplifie les travers d’une gouvernance à bout de souffle, dont témoignent l’archaïsme du système bancaire et l’obésité du secteur public. Pire, l’effondrement du rial, la monnaie nationale, et l’envolée d’une inflation jusqu’alors contenue à grand-peine, accablent les plus humbles. 

Une rupture « perdant-perdant« 

« Les loyers n’en finissent plus de flamber et les prix des denrées de base s’envolent, soupire un traducteur. La viande, c’est au mieux une fois par semaine. Seules deux catégories subsistent : les riches et les pauvres. La classe moyenne ? Disparue. » Sombre constat que corroborent les chiffres dévoilés voilà peu par le Fonds monétaire international. Selon ses experts, l’Iran est entré en récession en 2018. Son PIB a chuté de près de 4% l’an dernier et dévissera de six points cette année.  

On connaissait les accords « gagnant-gagnant« . Près de quarante ans après l’assaut que lança sur l’ambassade des États-Unis à Téhéran une cohorte d’étudiants électrisés par les harangues de l’imam Khomeiny, Trump réinvente la rupture « perdant-perdant ». 

Par Vincent Hugeux, publié le 02/05/2019 à 07h00 , mis à jour à 08h54

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/sanctions-l-impasse-iranienne-de-trump-l-entete_2075470.html

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