LA CANICULE DONNE UN COUP DE CHAUD À L’OPTION NUCLÉAIRE

Avec la vague de chaleur, EDF a dû arrêter provisoirement les deux réacteurs de Golfech et un réacteur du Tricastin. Solution au réchauffement climatique pour ses partisans, l’atome serait-il menacé par le thermomètre ?

Ses partisans vantent l’atome et son énergie 100% décarbonée «comme la meilleure réponse au réchauffement climatique». Mais la répétition des épisodes caniculaires risque de contrarier de plus en plus le fonctionnement des centrales nucléaires dans les années à venir. Avec la forte vague de chaleur qui accable la France ces derniers jours, EDF a été contraint d’arrêter dès mardi les deux réacteurs de 1300 MW de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne), pour des raisons environnementales : la température de la Garonne, dans laquelle est puisée l’eau qui alimente les générateurs de vapeur des réacteurs, dépassait le seuil réglementaire de 28°C. Et il fallait éviter que l’eau du circuit de refroidissement, habituellement rejetée dans le fleuve, ne réchauffe encore le cours d’eau au risque de menacer la faune et la flore.

Et ce jeudi, avec des pointes à plus de 40°C dans la vallée du Rhône, EDF s’apprêtait à arrêter pour les mêmes raisons le réacteur numéro 4 et à baisser la puissance du réacteur numéro 3 de la centrale du Tricastin (Drôme). Les centrales de Saint-Alban (Isère) et du Blayais (Gironde) ont également dû réduire leur puissance de fonctionnement. Et plusieurs autres centrales d’importance sont sous surveillance, sur le Rhône comme celle du Bugey. Les centrales installées sur le littoral (Flamanville, Penly, Gravelines…) et qui utilisent l’eau de mer comme source de refroidissement, ne sont, elles, pas concernées par ces aléas de température.

Pas de pénurie d’électricité

«L’approvisionnement en électricité n’est absolument pas menacé par ces arrêts ponctuels de tranches ou limitation de puissance», tient à préciser Étienne Dutheil, le directeur de la production nucléaire d’EDF interrogé par Libération. «À titre de comparaison, en hiver, on appelle jusqu’à 100 GW de puissance électrique en pointe, cet été on ne dépasse pas 60 GW malgré l’usage intensif de la climatisation qui se développe.» Au total, près de 20 réacteurs sur les 58 que compte le parc français sont d’ailleurs déjà à l’arrêt pour maintenance ou rechargement de combustible «sans que cela affecte l’équilibre du réseau», rappelle le patron du parc nucléaire d’EDF.

Mais au-delà du risque de voir des poissons flotter ventre à l’air si l’on rejetait l’eau réchauffée par les réacteurs dans les cours d’eau, la canicule peut-elle menacer le fonctionnement et la sûreté des centrales nucléaires ? Les réacteurs sont en effet de grosses bouilloires atomiques qu’il faut alimenter en eau en permanence, à la fois pour assurer leur refroidissement et produire la vapeur qui alimentera la turbine et l’alternateur produisant l’électricité. Et ils rejettent en chaleur l’équivalent de deux fois l’électricité produite, d’où la nécessité de les refroidir par «circuit ouvert» (on puise l’eau dans le fleuve et on l’y rejette ensuite) ou par échange d’air (les fameuses tours aéroréfrigérantes qui utilisent aussi de l’eau comme à Golfech).

«Référentiel grand chaud»

Quand il n’y a plus d’eau ou que sa température est trop élevée on risque une situation «critique», pour le dire poliment, et il faut arrêter le réacteur par sécurité. Mais même les anti-nucléaires le reconnaissent, on n’est pas du tout dans ce cas de figure avec la canicule actuelle. «La situation n’est pas préoccupante pour la sûreté même si certains équipements qui entourent les réacteurs comme des pompes, des joints ou des connecteurs peuvent être affectés par la montée en température, estime ainsi Yves Marignac, expert nucléaire indépendant du cabinet Wise-Paris. Mais si on approchait de ce que la réglementation nucléaire appelle « le référentiel grand chaud« , à savoir des températures supérieures à 45°C pendant plusieurs jours, il faudrait arrêter la plupart des réacteurs installés au fil de l’eau.»

On n’en est pas là. Mais le scénario chaud devant est brandit par les ONG anti-nucléaires pour demander une fois plus une sortie de l’atome : ce nouvel épisode de canicule montre que «le nucléaire est vulnérable au changement climatique. Dans un monde qui se réchauffe, ce n’est plus une option de poursuivre cette aventure dangereuse», martèle «Sortir du Nucléaire». Cette montée des températures est aussi l’occasion pour les «anti» de dynamiter le nouveau discours du «lobby» qui consiste à vanter l’atome comme la seule solution énergétique à même d’enrayer le réchauffement climatique. Pour sa part, Étienne Dutheil d’EDF fait juste remarquer que «plusieurs centrales nucléaires dans le monde fonctionnent par forte chaleur comme celle de Palo Verde dans le désert de l’Arizona». Et les Pays du Golfe ou l’Inde, où la température n’est pas clémente, ont des projets dans l’énergie nucléaire.

La fin des réacteurs en cours d’eau ?

Mais pour l’expert Yves Marignac de Wise-Paris, «comme les épisodes caniculaires sont amenés à être de plus en plus intenses et fréquents, l’industrie nucléaire ne pourra pas conserver longtemps des réacteurs en cours d’eau». La multiplication des arrêts de tranche à cause du thermomètre menace en effet à terme la rentabilité de ces coûteuses centrales. De son côté, EDF estime que sa production n’a été réduite que de 0,3 % par les arrêts de tranche liés aux épisodes caniculaires ces dix dernières années. Mais l’exploitant reconnaît que les arrêts de tranche pour raisons réglementaires liés à la température de l’eau sont plus fréquents. «En tout état de cause, nous avons beaucoup appris depuis l’été 2003. En lien étroit avec Météo France, nous anticipons plusieurs jours à l’avance les situations qui pourraient nous conduire à moduler ou arrêter des réacteurs», explique Etienne Dutheil, pour qui le principal problème lié à la canicule aujourd’hui c’est plutôt «les conditions de travail» des salariés qui travaillent dans les centrales. Notamment celles à l’arrêt : en salle des machines où il y a toujours des opérations de maintenance, la température monte vite et il n’y a pas de clim

Par Jean-Christophe Féraud — 25 juillet 2019 à 14h53

Photo : Les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Golfech, en mars 2015. Photo Pascal Pavani. AFP

https://www.liberation.fr/france/2019/07/25/la-canicule-donne-un-coup-de-chaud-a-l-option-nucleaire_1742005