LE PARLEMENT FRANÇAIS, GRAND ABSENT DU DÉBAT SUR L’ÉNERGIE

L’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas leur mot à dire sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), l’un des principaux outils de politique énergétique du pays, dont la nouvelle version sera présentée ce lundi. Un vrai déficit démocratique. Pour y remédier, la France pourrait s’inspirer du Parlement européen.

La nouvelle version de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit être présentée ce lundi. Très attendue par tous les acteurs du secteur, celle-ci dresse un tableau détaillé de la politique énergétique française d’ici à 2028. Mais elle ne sera votée ni par l’Assemblée nationale ni par le Sénat. Et pour cause : il s’agit d’un décret, publié par le gouvernement après consultation des secteurs concernés et un débat public. Les députés et les sénateurs ne sont même pas consultés officiellement par le gouvernement.

En juin 2018, cent députés de La République En marche s’insurgeaient, dans une  tribune publiée dans « Le Monde », contre l’absence de rôle réservé au Parlement dans ce domaine. Un an et demi plus tard, la situation n’a guère changé. Certes, les députés se flattent d’avoir remporté une victoire en imposant, dans la loi énergie et climat de novembre dernier, un rendez-vous quinquennal qui leur permettra de fixer les grands objectifs de politique énergétique. Ces derniers seront ensuite déclinés par le gouvernement dans de nouvelles éditions de la PPE.

Léger progrès

Mais ce progrès ne change pas fondamentalement la situation. Une telle loi existe déjà, bien qu’il ne s’agisse pas encore d’un rendez-vous récurrent. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015, fixe des objectifs de politique énergétique pour 2030. Elle prévoit, par exemple, que la consommation d’énergie finale en France à cette date devra être inférieure de 20 % à son niveau de 1990 ou encore que les énergies renouvelables devront assurer 32 % de la consommation d’énergie. Mais c’est bien la PPE qui détermine combien d’économies d’énergie devront être réalisées dans le secteur des bâtiments ou des transports ainsi que les mesures à adopter pour y parvenir. C’est elle aussi qui fixe les volumes des appels d’offres éoliens et solaires, essentiels au développement de ces filières.

Les professionnels des affaires publiques ne s’y trompent pas : les décisions les plus importantes sont prises par le gouvernement, et non dans les travées de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Plusieurs lobbyistes, effrayés par les prises de position antiéoliennes de quelques députés, s’en félicitent d’ailleurs à demi-mot.

Débats publics

La loi impose pourtant d’organiser plusieurs débats publics, aux résultats parfois contradictoires. À une première phase de consultation sur la PPE, de mars à juin 2018, succède une deuxième phase, qui démarre ces jours-ci et se poursuivra jusqu’à fin février. C’est sans compter le grand débat national, qui abordait les questions de fiscalité énergétique, ainsi que la Convention citoyenne pour le climat, qui se tient actuellement.

La technicité des sujets abordés, le manque de clarté des questions du gouvernement et les moyens limités consacrés au débat ont compliqué le débat sur la PPE. En outre, le gouvernement a parfois pris position, pendant le temps du débat, sur des sujets faisant encore l’objet de discussions. Résultat ? « Nos concitoyens considèrent que la participation est un leurre pour cautionner des décisions déjà prises »,  souligne la présidente de la Commission nationale du débat public, Chantal Jouanno, dans son compte rendu.

L’exemple européen

Souvent décrié pour son manque d’influence, le Parlement européen offre néanmoins des pistes pour améliorer le débat démocratique en France. La négociation du paquet « énergie propre » en est un bon exemple. Cet ensemble législatif de plusieurs milliers de pages vise à faciliter l’intégration des énergies renouvelables sur le réseau européen. Pendant plus de deux ans, il a fait l’objet d’intenses débats entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement. Ce dernier  est finalement parvenu à imposer des objectifs climatiques plus ambitieux, malgré les résistances initiales des États.

Pourquoi le Parlement a-t-il pu jouer ce rôle ? Les traités, tout d’abord, lui accordent un rôle égal à celui du Conseil en ce qui concerne la politique énergétique. L’expérience politique de certains députés, vieux habitués de la bulle bruxelloise, y a aussi contribué. Ces derniers bénéficient par ailleurs de moyens supérieurs à leurs homologues français : ils disposent ainsi de 25.000 euros par mois pour rémunérer leurs assistants, contre 10.600 euros seulement en France. Ce qui leur permet de recruter des assistants plus nombreux et plus expérimentés.

Le poids de l’histoire

Autre obstacle majeur à l’implication des députés français, le nucléaire a longtemps été considéré comme une chasse gardée de l’exécutif. « En France, il y a un vrai problème d’accès à l’information quand il s’agit du nucléaire », souligne le consultant indépendant Mycle Schneider. Lors d’une audition récente à l’Assemblée nationale, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a ainsi refusé de dévoiler le prix de l’électricité qui sera produite dans l’EPR de Flamanville, tout en admettant que celui-ci serait « beaucoup trop élevé ».

« Quand les députés veulent aller plus loin dans leurs recherches, ils se heurtent à la mauvaise volonté des acteurs, souligne la députée (LREM) Barbara Pompili, présidente de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire de l’Assemblée. Ces limites sont préjudiciables à la démocratie, car on nous demande de voter des budgets sans avoir tous les tenants et les aboutissants. »

La ministre de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne,  a annoncé le 8 janvier que la décision de construire de nouvelles centrales nucléaires serait repoussée au prochain quinquennat. Une bonne occasion pour l’Assemblée et le Sénat de jouer, le moment venu, leur rôle de contrôle démocratique.

Par Hortense GOULARD, publié le 20 janvier 2020 à 9h42, mis à jour le 20 janvier 2020 à 9h57

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