DIX ANS APRÈS FUKUSHIMA, LES JAPONAIS TOUJOURS DÉFIANTS ENVERS LE NUCLÉAIRE

Les régions sinistrées peinent à faire revenir leurs habitants. La décontamination coûte cher et a ses limites. Reportage.

Les rouges affrontent les bleus sur le terrain en synthétique vert, face à la mairie d’Iitate, village évacué au moment de la catastrophe nucléaire de Fukushima, provoquée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Dix ans après le drame, sous le frais soleil de la fin février, entre les vallons d’arbres dénudés par le froid, des enfants jouent au football, sous l’œil amusé des mamans venues les encourager. « Ils viennent de villages voisins« , explique une employée municipale. Il faut bien occuper un terrain peu utilisé par les locaux. Seuls 1.300 des 6.500 habitants ont choisi de revivre à Iitate, malgré les efforts du gouvernement et du département pour les convaincre de revenir. « Nous proposons des maisons vides et soutenons financièrement l’installation« , dit-on à la mairie. Un bureau s’en occupe spécialement. Malgré cela, l’augmentation de la population reste « très limitée« .

Un euphémisme qui illustre les difficultés à redresser une région meurtrie par les retombées radioactives dues à la catastrophe. Trois réacteurs ont fondu à la centrale, provoquant des explosions et d’intenses dégagements de substances radioactives. Le gouvernement a dû évacuer 240.000 habitants dans un rayon de 30 km autour de la centrale.

167 milliards d’euro     Le démantèlement des réacteurs devrait coûter 21.500 milliards de yens (167 milliards d’euros) et durer jusqu’en 2051.

Depuis, la compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), exploitant du site, travaille au démantèlement des réacteurs, une opération qui devrait coûter – officiellement – 21.500 milliards de yens (167 milliards d’euros) et durer jusqu’en 2051. Le gouvernement a mené, sur 25.000 km² de territoire, une vaste opération de décontamination – retirer 5 cm de sol, élaguer les arbres et passer les bâtiments au nettoyeur haute pression – dont le but était de ramener les taux d’exposition à 1 millisievert par an (norme en Belgique). Une pluie de subventions est tombée sur ces territoires, pour les rendre attractifs et favoriser le retour des évacués.

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Les subventions ont financé de nouvelles installations qui voisinent un champ de panneaux solaires, nouvelle source d’énergie d’un territoire qui ne veut plus entendre parler du nucléaire.

Subventions

Classé comme l’un des « plus beaux villages du Japon » avant 2011, Iitate a bénéficié de cette opération de décontamination. Elle a permis de restaurer une partie des zones agricoles qui faisaient la renommée de ce village engagé dans le bio. Les subventions ont financé de nouvelles installations comme le Madei Hall, tout de bois et de verre, abritant un magasin de produits locaux, un restaurant, et un petit parc, qui voisine un champ de panneaux solaires, nouvelle source d’énergie d’un territoire qui ne veut plus entendre parler du nucléaire.

25 mars     Le départ du parcours de la flamme des jeux olympiques de Tokyo d’un complexe sportif aménagé près de la centrale sinistrée présente que Fukushima Daïchi a surmonté une catastrophe sans précédent.

Dix ans après, les autorités se veulent positives. « Hors des zones d’évacuation, le taux de radiation ne dépasse pas 0,12 microsievert par heure (μSv/h), contre 2,74 en 2011. Nous sommes au niveau des grandes villes du monde« , se réjouit le gouverneur de Fukushima, Masao Uchibori. Et le départ du parcours de la flamme des Jeux olympiques de Tokyo, prévu le 25 mars, doit avoir lieu au J-Village, verdoyant complexe sportif aménagé à une vingtaine de kilomètres au sud de la centrale sinistrée, un événement censé « présenter au monde le Fukushima de ‘maintenant’, une région qui a surmonté une catastrophe sans précédent et continue de se redresser« , dixit Makoto Noji, responsable des sports au département.

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Peur des radiations

La situation mérite pourtant d’être nuancée. À l’instar d’Iitate, les zones évacuées peinent à faire revenir leurs habitants. À Namie, non loin de la centrale, seuls 9,3% sont revenus. Et il s’agit principalement de personnes âgées. 36.200 évacués de la région vivent toujours ailleurs. 65% ne souhaitent pas revenir, selon un sondage de novembre 2020 de l’agence Kyodo, dont près de la moitié par peur des radiations.

Les zones évacuées peinent à faire revenir leurs habitants. À Namie, non loin de la centrale, seuls 9,3% sont revenus.

La question de la radioactivité reste omniprésente dans le quotidien. « Il y a des panneaux électroniques un peu partout pour mesurer le degré d’exposition« , explique la mairie d’Iitate. Celui à l’extérieur du Madei Hall indiquait le 28 février 0,11 μSv/h. Celui à l’intérieur donnait 0,09μSv/h. Près de la mairie, un autre indiquait 0,29 μSv/h.

Avant d’être mis en vente, tous les produits locaux doivent être évalués. « Il faut une heure pour tester un produit« , explique M. Mori, employé de Madei chargé de la vérification dans un coin du magasin. « En général, les produits cultivés en serre ou dans les champs décontaminés ne posent pas de problème. C’est plus ennuyeux pour les produits de la forêt, notamment les champignons« . Il a ainsi mesuré un champignon à 32.000 Becquerels par kg, alors que la norme est à 100 Bq par kg. Preuve que la décontamination a ses limites, elle a ignoré les forêts, explique Greenpeace. Or ces véritables « dépôts radioactifs libèrent les substances radioactives quand il y a de fortes pluies et du vent« .

Ces nuances aux discours officiels alimentent une défiance persistante dans le nucléaire, dans un pays où 49,4% des habitants plaident pour la sortie progressive de cette énergie, contre 22,7% favorables à son maintien, selon une étude du Forum japonais de l’industrie de l’atome (JAIF).

« La façon dont l’entreprise (Tepco, NDLR) fonctionne suggère qu’elle n’a pas tiré les leçons de la catastrophe de mars 2011 »      Hajime Matsukubo   Centre d’information nucléaire pour les citoyens

Et il est difficile d’améliorer la situation car le drastique renforcement des normes de sécurité n’a pas guéri le secteur de son opacité. Après le tremblement de terre survenu au large de Fukushima le 13 février, Tepco a d’abord affirmé que tout allait bien, avant d’admettre des fuites d’eau contaminée et le dysfonctionnement « depuis juillet 2020 » de sismomètres installés au réacteur 3. « La façon dont l’entreprise fonctionne suggère qu’elle n’a pas tiré les leçons de la catastrophe de mars 2011« , en conclut Hajime Matsukubo, du Centre d’information nucléaire pour les citoyens (CNIC).

Cette mauvaise image pourrait affecter les ambitions environnementales de Tokyo. Sur les 54 réacteurs nucléaires exploités avant Fukushima, seuls neuf ont été relancés depuis la catastrophe. Le nucléaire ne générait que 3% de l’électricité nippone en 2019. Il a toutefois été qualifié en février d’ »indispensable » par le ministre de l’industrie, Hiroshi Kajiyama, pour parvenir à neutralité carbone d’ici 2050. Cet objectif a été fixé par le premier ministre, Yoshihide Suga et doit se traduire par la révision, en juin, de la politique énergétique nationale.

Un goût d’inachevé pour la reconstruction

Le long ruban de béton gris clair serpente sur les centaines de kilomètres de la côte orientale du Japon ravagés par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Érigée pour protéger les populations, la digue dresse une barrière entre les hommes et la mer et symbolise la reconstruction de la région traumatisée par la puissante vague, entrée jusqu’à 5 km à l’intérieur des terres. « Je regrette d’habiter loin de la mer, mais, aujourd’hui, je dors sans crainte« , explique une habitante d’Ofunato, du département d’Iwate.

Le choc du drame qui a fait 22.000 morts et disparus et détruit ou endommagé près d’un million de bâtiments et de nombreuses infrastructures, a conduit à une reconstruction axée sur la sécurité: la digue et de vastes zones résidentielles en hauteur, dans l’arrière-pays.

Une montagne a été rasée…

Dix ans après, les travaux s’achèvent, sauf dans les zones les plus contaminées de Fukushima, pour un montant de 31.300 milliards de yens (268 milliards d’euros), un effort qui a transformé les paysages. À Rikuzentakata (Iwate) une montagne a été rasée pour élever de 10 mètres la zone côtière. À Ishinomaki (département de Miyagi), le quartier du bord de mer de Minamihama, autrefois résidentiel, est devenu un parc.

Certains ont refusé la digue, comme ces habitants de Kamaishi (Iwate), soucieux de préserver le charme de la baie d’Otsuchi, aux contours dentelés d’aplombs rocheux couverts de pins, paysage typique de la région. D’autres ont refusé de déménager dans les nouveaux ensembles, jugés sans âme.

Cette reconstruction ne signifie pas que tout va bien.

Les traumatismes sont toujours là, de même que l’inquiétude d’un avenir incertain. Le gouvernement semble décidé à agir. « 2021 est la première année de la phase 2 de la reconstruction. Après le ‘hard’, place au ‘soft ‘ », a annoncé le ministre de la reconstruction, Katsuei Hiramasa, évoquant l’importance de créer des cadres permettant à ceux qui ont quitté la région de revenir, et de travailler pour le bien-être des populations.

Par Philippe Henri, publié le 05 mars 2021 à 23h36

Photo en titre : Une vue aérienne de la centrale nucléaire dévastée de Fukushima. Ce cliché a été pris en février 2021. ©EPA

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