Les importations d’uranium en provenance de Russie sont actuellement quasiment nulles, d’après les chiffres des douanes et d’Euratom. En revanche, la filière nucléaire française dépend bien de Moscou pour le réenrichissement de son combustible usé.
L’énergie nucléaire permet-elle vraiment à la France d’être indépendante vis-à-vis de la Russie ? Alors que la guerre en Ukraine contraint Paris à se passer de gaz russe, Cécile Duflot estime que l’atome « n’est pas une solution » pour garantir cette indépendance énergétique. Comme « nous ne produisons pas de combustible [nucléaire] sur notre sol », « on continue d’acheter de l’uranium à la Russie » a déclaré l’ex-ministre écologiste, désormais directrice générale de l’ONG Oxfam France, vendredi 30 septembre sur Public Sénat.
Sollicitée par franceinfo, Cécile Duflot explique que sa déclaration fait référence à un document de Greenpeace France publié le 30 mars (en PDF). Dans cette « note de décryptage » de l’ONG, il est effectivement écrit que la France a importé de Russie « 19 245 tonnes d’uranium naturel« (c’est-à-dire le minerai à l’état brut, extrait directement des mines), et « 8 213 tonnes d’uranium enrichi » entre 2000 et 2020.
Des importations de Russie quasi nulles
Cependant, selon les dernières données disponibles, les importations d’uranium naturel en provenance de Russie sont désormais presque nulles. Le comité technique Euratom (CTE), l’autorité chargée du suivi de l’application des contrôles internationaux sur les matières nucléaires, précise à franceinfo qu’en 2020, la France a acheté 6 282 tonnes d’uranium, principalement auprès du Niger (34,72% des importations), du Kazakhstan (28,95%), de l’Ouzbékistan (26,43%) et de l’Australie (9,91%). La Russie n’a exporté cette année-là dans l’Hexagone que 2 kg d’uranium naturel, une quantité quasiment négligeable.
Pour l’année 2021, les statistiques des douanes françaises confirment qu’il n’y a pas eu la moindre importation d’uranium naturel en provenance de Russie. En revanche, environ 110 tonnes d’uranium enrichi ont bien été acquises auprès de Moscou, soit 0,01% des importations françaises totales d’uranium.
Plus que sur l’approvisionnement en uranium en lui-même, l’influence de la Russie se fait sentir sur « le contrôle des routes de transport », note Anna Creti, professeur d’économie à l’université de Paris Dauphine-PSL. Pour parvenir en France, l’uranium extrait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan, d’où provenaient en 2020 plus de 63% des importations françaises, est en partie acheminé via le territoire russe. Jusqu’à présent, ce transit n’a pas été perturbé, les échanges commerciaux liés au nucléaire n’étant pas visés par les sanctions édictées en réponse à l’invasion de l’Ukraine.
Le réenrichissement du combustible usé sous-traité à un groupe russe
Si les importations d’uranium de Russie paraissent modestes, elles traduisent cependant une interdépendance entre la filière de recyclage du combustible nucléaire française et la filière russe d’enrichissement d’uranium. La France importe en effet de Russie de « l’uranium de retraitement enrichi » (URE), un minerai issu du recyclage du combustible usé des centrales françaises, confirme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen).
Afin d’être recyclable, un combustible déjà utilisé doit être réenrichi, grâce à des centrifugeuses qui vont augmenter sa proportion d’uranium 235, un type d’atome plus efficace dans la fission nucléaire. Pour des « raisons de coûts », EDF a sous-traité cette phase de réenrichissement à Tenex, une filiale du groupe russe Rosatom, explique Anna Creti. D’après Valérie Faudon, cette sous-traitance de l’enrichissement à Rosatom« ne pose pas de problème d’approvisionnement » car, actuellement, « aucune centrale française n’utilise encore de l’uranium de retraitement enrichi venant de Russie ».
L’utilisation de l’uranium de recyclage n’est effectivement censée débuter qu’en 2023, précise EDF dans son rapport annuel (en PDF). Les importations d’uranium de retraitement enrichi en provenance de Russie ont néanmoins déjà débuté, d’après Greenpeace. L’ONG a révélé le 25 août qu’une livraison de 52 fûts d’uranium enrichi en provenance de Saint-Pétersbourg avait été déchargée au port de Dunkerque.
Selon Valérie Faudon, ces importations d’URE peuvent être stoppées sans nuire au fonctionnement des centrales. « Si on nous demande de faire tourner l’ensemble des réacteurs avec de l’uranium naturel, on le fera », assure-t-elle. Trouver une alternative à la filière russe ne serait « pas si facile« , tempère néanmoins Anna Creti. Si la France devait réenrichir elle-même son combustible usé, « elle devrait construire sa propre installation » de conversion d’uranium recyclé, ce qui posera la question de la rentabilité du processus de recyclage.
La France exporte un « grand volume » de matières nucléaires vers la Russie
Dans le sens inverse, la France exporte également un « grand volume » de matières nucléaires vers la Russie, souligne Pauline Boyer, experte transition énergétique pour Greenpeace France. Fin 2020, le groupe français Orano a signé un contrat avec Rosatom pour lui fournir 1 150 tonnes d’uranium usé. « L’uranium envoyé en plusieurs transports a été converti puis réenrichi en Russie afin de fabriquer du combustible pour les réacteurs russes », confirme Orano auprès de franceinfo.
« Alors que l’Ukraine appelle à cesser tout commerce, y compris nucléaire, avec la Russie, le gouvernement français laisse l’industrie nucléaire française travailler avec Rosatom » déplore Pauline Boyer. Or, ce groupe russe « a pris possession de la centrale ukrainienne de Zaporijjia » et participe, en la « mettant en danger » par son occupation, à la « menace nucléaire« dans le conflit ukrainien.
Sollicité par franceinfo au sujet des importations d’uranium en provenance de Russie, EDF dit suivre « avec attention la situation en Ukraine ». Le groupe déclare en outre « qu’il pourra prendre des décisions sur son périmètre d’activité en fonction de l’évolution du conflit ». De son côté, Orano souligne que le contrat avec Rosatom est désormais « soldé » et « qu’aucun nouveau contrat portant sur l’achat ou la vente de matières nucléaires n’a été signé [par le groupe] depuis le déclenchement de la guerre. »
Par Quang Pham, publié le 07/10/2022 07h07
Photo en titre : Un train de transport d’uranium à destination de la Russie, le 25 janvier 2010 à Cherbourg dans le Cotentin. (JEAN-PAUL BARBIER / AFP)
NDLR : rappel : « Mais les sanctions étasuniennes n’incluaient pas ses achats d’uranium d’origine russe. L’industrie nucléaire produit 20 % de l’électricité de Washington et il serait coûteux de substituer un autre fournisseur à la Russie, qui représente près de 20 % des importations étatsuniennes d’uranium. Curieusement, bien peu d’ONG ont protesté de la continuation de ces relations commerciales entre Washington et Moscou.«
Source de cet extrait : https://www.latribune.fr/opinions/blogs/commodities-influence/guerre-en-ukraine-et-sanctions-pourquoi-le-nucleaire-americain-continue-a-importer-de-l-uranium-russe-916258.html
De toute façon, depuis 20 ans il n’y a plus d’uranium exploité en France donc 100 % du combustible nucléaire (enrichi ou pas) est importé (de Russie ou d’ailleurs). C’est une drôle de conception de l’indépendance énergétique de la France !!
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