Garantir l’indépendance énergétique de la France est l’argument avancé par les tenants du nucléaire. Mais la France est-elle réellement autonome dans ce domaine, qui n’exploite plus de mine d’uranium sur son territoire depuis 2001 ?
Le 9 novembre 2021, dans une allocution télévisée, le président de la République Emmanuel Macron annonce que la France va construire de nouveaux réacteurs nucléaires « pour la première fois depuis des décennies ». Cela, « pour garantir l’indépendance énergétique de la France, pour garantir l’approvisionnement électrique de notre pays et atteindre nos objectifs, en particulier la neutralité carbone en 2050 ».
La question de l’indépendance énergétique est, de fait, un argument régulièrement avancé par ceux qui souhaitent faire la promotion de cette source d’énergie : le nucléaire nous mettrait à l’abri de la dépendance aux hydrocarbures. C’est d’ailleurs pour réduire cette dépendance que Valéry Giscard d’Estaing a lancé le programme nucléaire civil en France, un an après la crise pétrolière de 1973.
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Mais il existe dans ce discours ce qui ressemble à un impensé : pour fabriquer de l’électricité, les centrales nucléaires ont besoin d’uranium, métal lourd aux propriétés radioactives. Une fois placé dans le réacteur de la centrale et par fission nucléaire, l’uranium produit une énorme quantité de chaleur. Cette chaleur vient faire bouillir de l’eau qui, devenue vapeur, fait tourner une turbine et crée de l’électricité, comme une sorte de dynamo à grande échelle. Seul problème : la France n’extrait pas d’uranium sur son territoire.
Quatre fournisseurs étrangers
Ou plutôt, la France n’exploite plus de mine d’uranium sur le territoire national depuis 2001. La prospection pour de l’uranium a commencé en France en 1949 : il s’agit alors de trouver du combustible pour la future bombe nucléaire made in France. Les géologues trouvent de l’uranium sur 400 sites, et 247 mines (en profondeur ou à ciel ouvert) sont exploitées, comme le rappelle l’Atlas mondial du nucléaire (Autrement) : « Dans la plupart des mines, les rendements étaient très faibles ; dans moins de 20 sites, la production dépassait 1 000 t par an. » Très vite, la France choisit de diversifier son approvisionnement en uranium.
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Dès 1960, la France ouvre sa première mine d’uranium au Gabon. Suivent d’autres pays, dont le Niger, dès 1971.
De nos jours, l’uranium utilisé dans les réacteurs français provient en majorité de quatre pays : le Kazakhstan, l’Australie, le Niger et l’Ouzbékistan. Le comité technique Euratom, l’autorité chargée du suivi de l’application des contrôles internationaux sur les matières nucléaires, précise à FranceInfo qu’en 2020 la France a acheté 6 282 t d’uranium, principalement auprès du Niger (34,72 % des importations), du Kazakhstan (28,95 %), de l’Ouzbékistan (26,43 %) et de l’Australie (9,91 %). À ces quatre sources principales il convient d’ajouter le Canada.
À quel point cette dépendance pose-t-elle problème ? Tout dépend du pays. Premier pays exportateur d’uranium en France, le Niger est un État instable. Depuis son indépendance en 1960, le pays africain a connu quatre coups d’État, ainsi que deux tentatives en 2011 et 2021. En 2010, sept personnes, dont cinq Français travaillant pour Areva (désormais Orano) et Satom (groupe Vinci), ont été enlevées sur le site minier d’Arlit, dans le nord du pays, par des hommes armés membres d’al-Qaida au Maghreb islamique. Ces otages n’ont été libérés qu’en 2013.
En transit par la Russie
La situation au Kazakhstan (premier producteur mondial et détenteur des deuxièmes réserves mondiales d’uranium derrière l’Australie) et en Ouzbékistan est tout autre. S’ils sont loin d’être des démocraties, ces deux pays ont des régimes stables. Shavkat Mirziyoyev, 64 ans, est le président de l’Ouzbékistan depuis 2016. Avant cela, il était Premier ministre depuis 2003.
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Et si le Kazakhstan a vu une importante révolte exploser en janvier 2022, c’est « la première depuis l’indépendance du pays en 1991 », analyse Michaël Levystone, spécialiste de la Russie et de l’Asie centrale, et chercheur associé au Centre Russie/NEI de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Astana, la capitale, est un interlocuteur intéressant pour son sous-sol, mais aussi par ses liens très forts avec la Russie, et son approche multisectorielle : il se voit comme un pont entre la Chine, la Russie et l’Europe », continue l’analyste.
Reste la question du transport. L’uranium kazakh est produit dans le sud du pays avant d’être mis dans des wagons, direction Saint-Pétersbourg en Russie, d’où il est chargé sur des bateaux en partance pour Hambourg, en Allemagne, puis en train vers la France, selon des données découvertes par l’ancien banquier et très bon connaisseur du pays Dominique Menu, dans un prospectus fourni à de potentiels futurs investisseurs au moment de l’introduction de la compagnie minière Kazatomprom à la Bourse à Londres, en 2018. Quant à l’uranium produit en Ouzbékistan, il est d’abord convoyé en train vers le Kazakhstan, avant d’emprunter le même chemin.
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Avec la guerre en Ukraine commencée en février 2022 et la multiplication des sanctions économiques qui en découlent, on imagine combien le transport d’un combustible vital à la France par la Russie de Poutine peut faire l’objet de délicates négociations géopolitiques – difficile en effet de parler d’indépendance énergétique quand plus de 55 % de l’uranium consommé en France transite par la Russie…
La question de la pollution
Cette situation semble néanmoins avoir évolué, au moins en partie, depuis la guerre en Ukraine. Dominique Menu rapporte ainsi les propos de la nouvelle ambassadrice kazakhe en France, qui explique qu’une partie de l’uranium serait désormais envoyée vers l’Europe par d’autres voies. Très probablement convoyée par bateaux sur la mer Caspienne jusqu’à Bakou en Azerbaïdjan, avant de rejoindre l’Europe par la Géorgie, et éventuellement la Turquie. Impossible en revanche de savoir quels pourcentages de l’uranium kazakh et ouzbek sont concernés.
À ces questions entourant l’acheminement de l’uranium jusqu’en France s’ajoute une dernière problématique : ces extractions en dehors de la France externalisent aussi les questions de la pollution.
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En 2020, le Niger est devenu le cinquième plus grand producteur au monde, sans que cette richesse apporte aucun bénéfice au peuple nigérien. En dépit de l’exportation de 152 000 t d’uranium, ce qui équivaut à 40 milliards de dollars, ce pays reste l’un des plus pauvres du monde, mais avec un héritage : les déchets nucléaires.
Selon le documentaire l’Uranium de la colère, réalisé par Martin Boudot et diffusé sur France 5 en 2021, au Niger, à Arlit, on trouve des niveaux de radioactivité parfois deux, trois ou quatre fois plus élevés que ceux de Tchernobyl, même à l’intérieur des maisons. En cause, l’utilisation de déchets de la mine pour la construction des habitations… Depuis 2010, Orano (qui exploite la mine d’uranium) a lancé sur place des observatoires de la santé, sans constater de victimes.
Par Arnaud Aubry, publié le 09 novembre 2022 à 14h04
Photo en titre : La mine d’uranium de Tamgak, à Arlit, au Niger, d’où provient une partie du combustible utilisé dans les réacteurs français. • REUTERS/JOE PENNEY
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