Nouveau nucléaire, EPR2, maintenance des centrales… C’est à un appel d’air sans précédent sur l’emploi que la filière française de l’atome se prépare à connaître. En réponse, trois ministres ont lancé ce vendredi matin à Caen « un plan Marshall des compétences ». Principal défi ? Attirer la génération Z vers ces métiers dans un contexte de désamour pour les cursus scientifiques et techniques.
Pas de bras, pas de kilowatts. C’est l’équation que va devoir impérativement résoudre la filière nucléaire au cours de la prochaine décennie si elle ne veut pas répéter les erreurs commises sur le chantier de l’EPR de Flamanville. Et la tâche se révèle immense. En atteste l’étude Match réalisée par le GIFEN sur les besoins de recrutement. Selon le Groupement des Industriels de l’atome, quelque 100 000 nouveaux emplois seront à créer dans les dix ans avec un pic sur la période 2027-2030 lorsque débutera la construction des EPR2. Soit une augmentation de 25% du volume de l’activité (hors gains de productivité). Un défi comme la filière n’en a pas connu depuis les années 60 et 70.
En guise de réponse, le gouvernement lance donc ce qu’il appelle « un plan Marshall des compétences ». Échafaudé par l’Université des Métiers du Nucléaire (UMN), il a été présenté ce matin à l’université de Caen en présence de pas moins de trois ministres, Agnès Pannier Runacher pour la transition énergétique, Sylvie Retailleau pour l’enseignement supérieur et Carole Grandjean déléguée à l’enseignement et à la formation. La feuille de route très dense concoctée par l’UMN en dit long sur l’effort à fournir. Elle comporte sept axes et une trentaine d’actions concrètes dont certaines restent à financer. « Pour réussir, il va falloir activer tous les leviers simultanément », prévient Hélène Badia, sa présidente, interrogée par La Tribune.
Créer des formations, c’est bien. Les remplir, c’est mieux
Pour autant, l’ex directrice de l’unité logistique et maintenance d’EDF n’en fait pas mystère. Un sujet se classe en haut de la pile : celui de l’attractivité des métiers alors que la jeune génération boude les spécialités scientifiques et techniques, à commencer par celles liées à l’atome.
« Dans les établissements scolaires proches des centrales où les familles sont acculturées au nucléaire, les classes sont remplies, mais c’est beaucoup moins vrai ailleurs », admet-elle.
On ne s’étonnera donc pas que, parmi les mesures phares proposées par l’Université des Métiers du Nucléaire figure l’élargissement des bourses d’études accordées aux élèves de CAP, Bac Pro et BTS à hauteur de 600 euros par mois (5 400 euros/an), au nombre de 200 aujourd’hui. « C’est une mesure très efficace, défend Helène Badia. Les boursiers deviennent généralement apprentis dans l’entreprise qui les a parrainés ».
D’autres dispositions incitatives sont déjà actées telles que le détachement de salariés « ambassadeurs » dans les classes de 5ème, le développement de stages d’immersion dans les entreprises de la filière pour les élèves de 3ème ou encore le déploiement de sessions découverte des métiers. « Il ne s’agit évidemment pas de mettre un fusil dans le dos aux élèves, mais de faire valoir les opportunités », rassure la présidente de l’UMN. Un message à ceux, enseignants ou parents, qui craindraient un forcing exagéré au détriment d’autres branches. « L’enjeu n’est pas de contraindre, mais d’attirer les talents », insiste-t-on en écho au cabinet d’Agnès Pannier Runacher, signe que le sujet est sensible.
Recherche de nouveaux profils
Le public jeune n’est pas la seule catégorie adressée par ce « plan Marshall ». L’UMN plaide aussi pour une inclusion plus large des femmes sous-représentées dans le nucléaire, des habitants des quartiers politique de la ville ou encore des résidents des zones rurales. Pôle Emploi (bientôt France Travail) est appelé à la rescousse pour monter des programmes de recrutement par le sport ou par simulation. « Il faut renforcer le flux de reconversion », souligne le texte.
Dans le même élan, l’UMN préconise un recours accru à la main d’œuvre étrangère. Un sujet potentiellement urticant. Sa porte-parole ne cache pas souhaiter que les métiers de la filière soient classés parmi ceux « en tension » qui bénéficieront d’une politique d’accueil accommodante dans la future loi sur l’immigration. Mais les jeux ne sont pas faits.
Formation : une offre foisonnante, mais peu lisible
Sur le volet des formations enfin, il est rappelé que la France souffre moins d’une abondance de cursus que de leur dispersion sur le territoire et d’un manque de coordination entre les établissements. « Les 7 500 formations ne sont pas toujours positionnées au bon endroit, ni dans les bons domaines », résume Hélène Badia. Le phénomène est particulièrement visible en Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes, deux régions très nucléarisées où l’activité est appelée à croître rapidement.
L’une des solutions pourrait passer par la réforme des lycées professionnels annoncée par Emmanuel Macron, selon le ministère de l’enseignement.
« L’État va apporter des leviers aux recteurs et aux présidents de Régions pour ajuster la carte des formations, accélérer la modernisation des plateaux techniques et former les enseignants avec des financements qui pourront aller jusqu’à 70% », promet-on dans l’entourage de Carole Grandjean.
Parmi les autres mesures, est également envisagée la création de 20 000 places de formations courtes « à colorisation nucléaire » post Bac Pro. Ne restera plus qu’à les remplir.
Le plan normand pour diplômer 4 500 jeunes
42 millions d’euros, c’est la coquette enveloppe de France Relance dont va bénéficier la Normandie pour mettre en œuvre son projet 3NC (Normandie Nucléaire Nouvelles Compétences). Doté de 7 millions supplémentaires par la Région, il est le premier lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt sur les compétences lancée par l’État pour hausser le niveau de jeu de la filière nucléaire. Objectif dudit plan ? Préparer le territoire aux futurs chantiers du Grand Carénage, des EPR de Penly, mais aussi celui de la construction de la giga piscine d’entreposage des combustibles usés prévue par EDF sur le site d’Orano La Hague.
3NC, qui associe les 3 universités normandes, les établissements d’enseignement supérieur et les industriels, vise à compléter et enrichir la carte des formations pour diplômer d’ici 2030 « 4 500 jeunes dont 3 500 de l’infra bac au bac +2 et près de 750 jeunes du bac +3 et au-delà. Il s’agit également de préparer la suite en sensibilisant près de 30 000 jeunes (de l’infra bac au bac +2) », nous précise-t-on dans l’entourage d’Hervé Morin. « C’est le plus ambitieux des projets qui nous a été soumis », indique-t-on au ministère de l’enseignement.
Dans le cadre de la loi de la programmation de la recherche, le gouvernement a également décidé d’allouer 20 millions d’euros pour la modernisation du GANIL (Grand Accélérateur National d’Ions Lourds), un établissement de recherche et d’enseignement implanté à Caen.
Par Nathalie Jourdan, publié le 09 Juin 2023 à 17h00
Photo en titre : Selon le Groupement des Industriels de l’atome, quelque 100 000 nouveaux emplois seront à créer dans le nucléaire d’ici à dix ans. (Crédits : Reuters)
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