Tribune : Pour l’économiste Cédric Philibert, il est possible d’atteindre l’objectif de « zéros émissions nettes » d’ici 2050 grâce à l’électrification par les renouvelables, sans attendre le nucléaire.
La progression semblait inexorable : hormis 2020 pour cause de pandémie, les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentaient d’année en année, battant à chaque fois de nouveaux records. L’année 2023 devrait cependant marquer un premier point d’inflexion, selon le think tank Ember Climate : les émissions liées à la production d’électricité pourraient enfin reculer, grâce à la croissance très rapide de l’éolien et du solaire, qui produisent désormais respectivement 7,5 % et 4,5 % de l’électricité mondiale ; ils n’en produisaient ensemble que 6 % en 2015.
L’hydroélectricité et le nucléaire sont encore les premières sources d’électricité bas carbone, avec respectivement 15 % et 9 % de la production mondiale, mais plus pour longtemps. Car le déploiement éolien et solaire s’accélère partout : l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de rehausser à 440 gigawatts (GW) sa prévision d’installations nouvelles en 2023, et envisage 550 GW supplémentaires en 2024. Il avait fallu cinq ans après les accords de Paris de 2015 pour en ajouter seulement 328 GW… Résultat, la production éolienne et solaire mondiale aura doublé entre 2021 et 2025, fournissant 20 % de l’électricité, et 38 % avec les autres énergies renouvelables.
Pas de quoi se réjouir, objecteront certains : l’électricité ne représente dans le monde qu’un cinquième de l’énergie finale (carburants, combustibles et électricité à disposition des consommateurs). Si on y ajoute l’énergie absorbée par les centrales électriques et les raffineries (demande totale d’énergie, ou « énergie primaire »), le tableau apparaît plus sombre encore : l’éolien et le solaire n’en représentaient en 2021 que 2 %. Peut-on vraiment imaginer, comme l’AIE dans son scénario « Zéro émissions nettes » (ZEN), qu’ils en représentent 40 % d’ici 2050 ?
En 2050, l’électricité aux 2/3 par l’éolien et le solaire
Les chercheurs imaginés par Martin Hirsch dans son roman Les Solastagiques (Ed. Stock), paru en mai 2023, répondent par la négative, sans même se donner la peine d’en discuter tellement cela paraît évident. Et pourtant… le GIEC affirmait en mars que l’éolien et le solaire constituent le plus important levier d’action contre le dérèglement climatique, d’autant que pour l’essentiel il ne coûte rien, ces énergies étant devenues moins chères que toutes les autres dans un nombre croissant de situations.
Comme notre stratégie nationale bas carbone, notre stratégie européenne et celles de nombreux pays, le scénario ZEN de l’AIE ne peut se comprendre hors de l’électrification accélérée des bâtiments, de l’industrie et des transports : l’électricité représentera en 2050 la moitié de l’énergie finale, et près de 40 % de la demande totale d’énergie. Et sera produite aux deux tiers ou plus par l’éolien et le solaire.
Ce n’est pas un scénario de décroissance : le volume de l’économie mondiale doublera… tandis que la demande totale d’énergie restera pourtant stable. C’est le résultat d’économies d’énergie au sens usuel du terme, pour une part, et pour une autre de l’électrification elle-même. Car l’électricité est bien plus efficace que les carburants et les combustibles. Les centrales thermiques à gaz, charbon ou uranium, transforment en électricité un tiers seulement de la chaleur produite.
L’essor des véhicules électriques et des pompes à chaleur
Les moteurs des véhicules thermiques transforment en énergie mécanique un tiers de l’énergie des carburants. Les chaudières modernes sont, elles, efficaces à presque 100 % Pour les bâtiments, l’eau chaude et une partie de la chaleur industrielle, l’électricité apparaît au moins trois fois plus efficace quand elle anime des pompes à chaleur, puisant des calories dans l’environnement extérieur.
En somme, la progression de l’électricité éolienne et solaire agit trois fois sur nos gaz à effet de serre : les pompes à chaleur et les véhicules électriques réduisent la demande d’énergie finale, les énergies éolienne, solaire (et hydroélectrique) réduisent la demande d’énergie primaire, et elles se substituent aux fossiles pour produire l’énergie qui reste nécessaire.
Les véhicules électriques et les pompes à chaleur sont en train de prendre leur envol. L’électrification des procédés industriels démarre, et les innovations se précipitent ; elles ramèneront sans doute la perception de l’hydrogène, « outil à tout faire » en réalité peu efficace, à ses usages spécifiques dans la chimie et la sidérurgie.
Un enjeu crucial pour l’Europe
Le Réseau de transport d’électricité (RTE) a récemment avancé à 2035 sa prévision de croissance de la demande d’électricité pour 2050, soit 15 ans avant qu’un quelconque « nouveau nucléaire » vienne épauler l’ancien, déclinant. Le monde disposera-t-il des capacités de production nécessaires, et des surfaces suffisantes pour réaliser ce scénario ? Si quelques alarmistes estiment que nous n’aurons pas assez de minéraux, l’Institut national japonais d’études environnementales (NIES) et d’autres ont montré que l’extraction minière totale, aujourd’hui dominée par les huit milliards de tonnes de charbon extraits chaque année, diminuera dans la transition énergétique.
Les surfaces réellement occupées et artificialisées par l’éolien, le solaire et les réseaux électriques ; resteront dérisoires en comparaison de celles dévorées chaque année en France par la construction de logements, bureaux, commerces, routes… Les capacités de production photovoltaïque, en Chine et bientôt aux États-Unis, en Europe et en Inde, sont déjà largement au niveau requis par le scénario ZEN de l’AIE. Celles de batteries seront rapidement au bon niveau, celles de pompes à chaleur et, surtout, d’éoliennes, sont encore insuffisantes.
C’est là un enjeu crucial pour l’Europe : l’éolien, maritime et terrestre, lui est indispensable car sa production épouse mieux que le solaire les variations de notre demande d’électricité, plus forte en hiver. Et son avance industrielle et technologique sur l’éolien est aujourd’hui menacée par les progrès rapides en Chine et aux États-Unis.
Par Cédric Philibert (Économiste, ancien analyste à l’Agence internationale de l’énergie), publié le 03 juillet 2023 à 19h00 NB : Cédric Philibert est l’auteur de Éoliennes pourquoi tant de haine ? (Les Petits Matins/Institut Veblen, mars 2023).
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/03/l-eolien-et-le-solaire-constituent-le-plus-important-levier-d-action-contre-le-dereglement-climatique_6180376_3232.html
NDLR: un peu d’optimisme de temps en temps , ça fait du bien. Mais où se trouve la limite entre optimisme et rêve?
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